Le rapport 2015 sur les maladies non transmissibles indiquait que 16,7 % des personnes interrogées présentaient des symptômes de la dépression. Pour le psychologue clinicien Vijay Ramanjooloo, il faut casser le tabou sur cette maladie, afin que ceux qui en souffrent puissent avoir les traitements appropriés.
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La dépression a connu une hausse de 18 % dans le monde durant ces dernières dix années selon l’Organisation mondiale de la santé. Qu’est-ce qui explique cette situation ?
Il est intéressant de voir les causes sous l’axe sociologique et psychologique dans une société où la technologie est en train de prendre le dessus à grande vitesse. Elle a de nombreux avantages, mais aussi des inconvénients. Ce qui m’amène à la citation d’Albert Einstein qui avait dit : « Je crains le jour où la technologie dépassera les capacités humaines ».
Pour des raisons socioéconomiques, les gens doivent travailler plus avec un coût de la vie très cher. Cette situation entraîne beaucoup de stress. Il y a le stress normal, mais s’il est constant et sur une longue période, la situation est difficile à gérer. Cela peut mener certaines personnes à l’usure. D’où le syndrome du burn-out, car nous avons dépassé notre capacité physiologique et psychologique par rapport aux stimulations de notre vie de tous les jours.
Du point de vue psychologique, la dépression est devenue un mot « valise » qu’on galvaude. Mais il faut faire attention, la dépression est une maladie qui a des signes et symptômes spécifiques. On ne peut dire qu’on souffre de dépression à tort et à travers.
Donc il ne faut pas confondre déprime et dépression ?
Oui en effet, il y a souvent confusion sur ce sujet. On peut avoir un coup de blues en lien avec une situation donnée, mais c’est temporaire. Cela peut être une baisse de moral ou une tristesse passagère. Le fait d’être en voyage peut aussi donner le mal du pays et cela peut occasionner une courte période de déprime.
Ce qu’il faut retenir c’est qu’une déprime est dans une durée limitée pendant laquelle on a encore le contrôle de nous-mêmes. La dépression par contre dure plus longtemps. En psychiatrie, il y a trois axes pour définir cette maladie : thymique, cognitif et physique. L’entourage doit être attentif à cela, car ce sont des signes de la dépression.
Quelles sont les causes de la dépression ?
Elles peuvent être psychologiques ou sociales comme les accidents de la vie : décès, problèmes sentimentaux, séparation, divorce, difficulté à s’intégrer dans un milieu social, bullying à l’école, mauvaise image de soi, etc. C’est toujours normal d’avoir des signes qui ressemblent à la dépression. Il faut cependant veiller à ce qu’ils ne grossissent pas. Pour cela, il est bon d’avoir un encadrement pour prévenir cela.
Au niveau biologique, des études ont démontré que la dépression peut être causée par les neurotransmetteurs qui circulent dans le cerveau.
« Il faut faire preuve de beaucoup de compréhension, d’écoute
et d’empathie »
Il y a aussi la dépression majeure avec sentiment de douleur morale très fort, qui nécessite la prise de médicaments ou encore réactionnelle après un traumatisme (dépression poste traumatique).
Il est important de mentionner la dépression masquée dont nous ne voyons pas les symptômes, mais qui peut se manifester par une baisse d’énergie, la fatigue musculaire ou des troubles digestifs.
Les troubles bipolaires ont des signes qui ressemblent à la dépression. Il y a également la dépression post-partum qui survient lors d’un changement hormonal, pendant les règles. Le baby-blues est un sentiment de vide après l’accouchement chez les femmes.
Dans le processus de deuil, la dépression est une étape de l’acceptation.
Peut-on avancer que les gens sont plus vulnérables ou que les responsabilités trop nombreuses ce qui provoque un stress difficile à gérer ?
Le médecin et physiologiste français Claude Bernard disait que tout est une question de terrain. Génétiquement et physiologiquement nous ne sommes pas pareils, ce qui fait qu’on va réagir différemment aux stress de la vie. La dépression se manifeste ainsi de différentes façons chez chaque individu sans qu’on soit plus fort ou plus faible.
Les chiffres du rapport 2015 sur les maladies non transmissibles montrent que les femmes sont plus atteintes par la dépression que les hommes, pourquoi cela ?
À mon avis, cela va au-delà d’une affaire de genre. C’est plus une question de « terrain ». La société accepte davantage le fait que les femmes montrent leurs émotions que les hommes qui ont tendance à masquer leurs sentiments.
Donc, en dépit des chiffres, cela ne veut pas dire que les femmes sont plus faibles que les hommes en ce qu’il s’agit de la dépression. C’est plutôt une question de terrain, biologique, psychologique et histoire personnelle.
Il y a aussi le fait que nombreux sont ceux qui vivent dans le déni et n’admettent pas qu’ils peuvent être dans une phase de dépression, pourquoi cela ?
Le déni peut exister comme mécanisme défensif dans certaines maladies. Ce n’est jamais évident de parler de sa maladie, surtout pour la dépression, car c’est associé à la santé mentale. Certaines personnes ont besoin de montrer qu’elles sont fortes.
Si on reste dans le déni, c’est grave, car on ne recherche pas les traitements disponibles. Une des conséquences c’est que la situation risque de se détériorer et cela peut mener au suicide.
Comment peut-on briser le tabou autour de cette maladie ?
Le plus important c’est d’en parler et de ressentir cette écoute et l’empathie de son environnement social et médical. Il faut que la personne sente qu’on comprend ce qu’elle vit et qu’elle arrive à dire ce qui ressent. La personne qui risque de se suicider aura tendance à s’isoler si elle ne ressent pas un climat de compréhension et de non-jugement. Il faut éviter cela en créant un climat propice pour que la personne puisse mettre des mots sur ses maux.
La prévention est le maître mot pour de nombreuses maladies, est-ce que cela peut s’appliquer également pour la dépression ?
La prévention est importante et c’est la première étape. Mais encore faut-il qu’on aille vers un changement de comportement. Dans bien de cas ce n’est pas parce que je sais que je peux modifier mon comportement. Nous devons donc nous concentrer sur le comportement. Il est temps de mettre en place des structures pour aider les gens pour les aider à changer leur comportement et qu’ils prennent les mesures qui s’imposent pour ne pas être malades.
C’est comme pour les accidents de la route, on sait qu’il ne faut pas boire et conduire et qu’il ne faut pas faire d’excès de vitesse. Mais de nombreuses personnes le font quand même. On sait que la cigarette n’est pas bonne pour la santé, mais on n’agit pas en conséquence. C’est ce comportement-là qu’il faut arriver à changer.
Quelle approche adopter envers une personne ou un proche ou un ami qui a changé de comportement en se repliant sur lui-même ?
Il faut faire preuve de beaucoup de compréhension, d’écoute et d’empathie. Il faut aussi trouver les mots justes comme dire à l’autre : « j’ai l’impression que tu es fatigué ; tu ne sembles pas aller bien ; sache que tu peux compter sur moi ». Il faut rester dans les choses simples comme disait Mère Teresa. On n’a pas besoin d’être forcément psychologue pour le faire.
Ce qu’il faudrait éviter c’est de porter un jugement, faire des reproches et adopter une attitude moralisatrice. Plus on fait la morale à une personne dépressive plus elle risque de s’enfoncer. Il faut juste qu’elle se sente comprise et aidée. Il suffit d’être là gratuitement.
Parler de la dépression : premier pas vers la guérison
« Pour la personne faisant une dépression, le fait de parler à une personne de confiance est souvent le premier pas vers le traitement et la guérison », souligne le directeur du Département santé mentale et abus de substance psychoactive de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Dr Shekhar Saxena.
Il s’avère cependant que la peur de la stigmatisation fait que ces personnes ne bénéficient pas du soutien dont elles ont besoin. Ce qui leur permettrait de pouvoir continuer à être actives et productives au sein de la société et d’être en bonne santé. Première cause de morbidité dans le monde, la dépression touche environ 300 millions de personnes selon les estimations de l’OMS. Ce chiffre représente une hausse de 18 % de cette maladie durant ces dix dernières années.
À travers sa campagne « Dépression : parlons-en » dans le cadre de la Journée mondiale de la santé, le 7 avril, l’OMS espérait briser les tabous. Cela afin que les personnes atteintes de cette maladie partout dans le monde puissent chercher de l’aider et obtenir un soutien. « Ces nouveaux chiffres tirent la sonnette d’alarme pour que tous les pays repensent leurs approches en matière de santé mentale et s’en occupent en lui accordant l’urgence nécessaire », explique la directrice générale de l’OMS, le Dr Margaret Chan. L’OMS espère aussi régler le problème de préjugés et de discrimination qui entoure souvent cette maladie.
Les axes de la dépression en psychiatrie
Thymique : changement significatif au niveau de l’humeur. Des manifestations émotionnelles telles que l’hyper émotivité, l’instabilité émotionnelle, l’apparition brutale des émotions avec des crises de larmes et d’angoisse, baisse de l’estime de soi, sentiment de désespoir, grosse culpabilité et désir de mourir ou de se faire du mal. Il y a le risque du passage à l’acte.
Cognitif : ralentissement au niveau de la pensée, trouble au niveau de la mémoire et baisse de concentration. Il y a aussi le sentiment douloureux. Il y a rumination mentale et pensées noires/négatives.
Physique : sensation d’épuisement intense, sommeil perturbé - soit on est dans l’insomnie ou hypersomnie. Douleurs musculaires, migraines, perte ou gain pondéraux, perte d’énergie ou baisse de la libido, lombalgie, douleurs abdominale et articulaire sont aussi des symptômes.
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