Interview

Vera Baboun: « Le peuple palestinien mérite la paix »

Invitée à Maurice par le Premier ministre adjoint Xavier-Luc Duval, Vera Baboun parle de son combat pour la cause palestinienne. Elle effectuera deux causeries à l’hôtel du gouvernement et au collège de Lorette de Curepipe mercredi et vendredi. [blockquote]« La reconnaissance d’un état de Palestine signifiera une nouvelle vie pour nous. Après six décennies d’occupation, il est grand temps qu’une solution pacifique soit trouvée. »[/blockquote] Quel effet cela fait d’être la première femme maire de Bethléem ? Ça a été un grand challenge. Mais il ne faut toutefois pas oublier que j’ai été élue tant par des hommes que des femmes. Des musulmans et des chrétiens. Une femme maire a donné davantage de visibilité à Bethléem, tant sur le plan national qu’international. Comment s’est déroulée la campagne menant à votre élection ? Elle a été très rude. Il y avait six blocs en lice. J’étais sur tous les fronts. J’étais quand même confiante en une victoire. Nous avons fini par remporter neuf des quinze sièges. Est-ce que cela a été difficile de se faire élire en tant que chrétienne dans une ville majoritairement musulmane ? Bethléem est arabo-chrétienne depuis des siècles. Aujourd’hui, avec le mur de l’apartheid érigé au Nord afin de séparer la Cisjordanie d’Israël, beaucoup de chrétiens ont émigré en Amérique du Sud. Arabes et chrétiens ont toutefois su vivre en parfaite communion et font face aux mêmes défis. Cependant, ce n’est pas normal pour nous, habitants de Bethléem, d’être entourés par une barrière de séparation. Vous dites souvent que vous vivez dans une ville étranglée par le conflit israélo-palestinien. Comment vivez-vous cette situation au jour le jour ? C’est très difficile. 66 % de Bethléem est sous le contrôle total des Israéliens, notamment le Quartier C. 49 % de ces 66 % sont considérés comme une zone militaire alors qu’une réserve naturelle s’étale sur 19,4 %. Avec ce qui reste comme espace, nous ne pouvons pas aller de l’avant avec des projets de développement. Nous faisons aussi face à un manque d’eau chronique. Nous devons en acheter aux Israéliens mais ce qu’ils nous procurent au quotidien ne nous suffit. Dans une zone, alors que la demande est de 15 000 m3 d’eau par jour, ils ne nous fournissent que 10 000 à 11 000 m3. Pourtant, nous abritons trois camps pour 15 000 réfugiés. Rien qu’à Bethléem, 19 colonies juives ont été installées. Comment avez-vous vécu l’occupation israélienne ? Il n’y avait pas de mur auparavant mais nous avons toujours été un territoire occupé. Puis, à la fin des années 80, il y a eu la première Intifada. J’étais une jeune mariée et mon époux a été emprisonné pendant plus de trois ans. Nous étions en train de tout perdre. Notre espace, notre temps, notre dignité et nos vies. Cette occupation nous diminue. Après 20 ans dans l’enseignement supérieur, qu’est-ce qui vous a poussé à être maire ? Je voulais un nouveau départ. En 2012, le Fatah m’a demandé de rejoindre ses rangs. C’était un moyen de reprendre le flambeau de mon époux qui a été prisonnier politique et qui est mort en martyr il y a sept ans. Avez-vous pu réaliser vos objectifs depuis votre élection en 2012 ? Il y a le volet national et international. Sur le premier plan, je me bats pour Bethléem, la ville palestinienne. Sinon, c’est Bethléem, le berceau du christianisme. Je ne cesse pas d’évoquer la cause palestinienne aux dignitaires étrangers qui passent par la ville. Dans une localité enclavée, vous ne pouvez pas mener à bien vos actions auprès des citadins. En plantant un mur autour de Bethléem, les Israéliens ont tué l’esprit d’entrepreneuriat. Le taux de chômage est de 27 % et la moitié de la population est âgée de moins de 29 ans. Nous comptons beaucoup sur le tourisme pour survivre. Là-aussi, les Israéliens font en sorte que les touristes qui viennent à Bethléem ne passent que cinq heures alors qu’ils restent plus de cinq jours à Jérusalem. Pour travailler, les jeunes doivent sortir de la ville… Bethléem étant sous contrôle israélien, comment font les jeunes pour en sortir ? Il faut la permission des Israéliens. Moi-même, en tant que maire, je dois avoir leur feu vert rien que pour me rendre à Jérusalem ou en Jordanie. Seuls 6 % des habitants ont le droit de se déplacer jusqu’à Jérusalem. Toute demande d’autorisation passe par une montagne de vérifications bien que Bethléem et Jérusalem soient des villes-sœurs. La Basilique de la Nativité se trouve à Bethléem alors que le Saint-Sépulcre, le tombeau du Christ, est à Jérusalem. Sans compter la mosquée Al-Aqsa. Le tourisme est le pilier de votre économie. Comment faire pour augmenter les arrivées avec autant de problèmes ? Nous avons les infrastructures pour accueillir autant de touristes que nous voulons. Valeur du jour, les arrivées tournent autour de 2 millions de visiteurs par an. Le plus gros challenge, c’est de les retenir. Ils viennent pour prier à la Basilique de la Nativité et visiter les boutiques de souvenirs avant de partir. Je ne cesse pas de demander aux tour-opérateurs de permettre aux touristes de découvrir la ville. De leur permettre de voir comment chrétiens et musulmans cohabitent en parfaite harmonie. Ils ne pourront jamais interagir avec les habitants s’ils ne s’y promènent pas. Est-ce une coïncidence ? Benjamin Netanyahu est en tournée en Afrique et vous vous êtes dans l’océan Indien. J’ignorais le programme du Premier ministre israélien. J’ai été invitée à Maurice par le Premier ministre adjoint Xavier-Luc Duval lors de sa visite en Palestine l’an dernier. Je suis d’avis qu’il faut resserrer les liens entre nos deux pays. Que ce soit sur les plans politique, touristique ou du développement. Nous Palestiniens, nous devons continuer à défendre notre cause là où nous le pouvons. L’initiative française pour la paix israélo-palestinienne est une bonne chose mais beaucoup reste à faire. La paix est synonyme de dignité, de justice et de normalité. La reconnaissance d’un état de Palestine signifiera une nouvelle vie pour nous. Après six décennies d’occupation, il est grand temps qu’une solution pacifique soit trouvée. Nous le méritons amplement. Le soutien de Maurice pèsera-t-il lourd dans la balance ? Bien sûr ! Il est essentiel pour nous. Maurice est à la croisée des chemins, entre l’Afrique et l’Asie. Tout soutien est un pas en avant pour améliorer le sort de mes semblables. Il va ouvrir la voie au soutien de l’Afrique à l’initiative française.
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