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Usagers de drogue : l’enfer au féminin 

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Le fléau de la drogue touche de plus en plus de familles. Et des femmes se retrouvent elles-mêmes prises dans cet engrenage. Alors que le Dangerous Drugs (Amendment) Bill a été voté et que le gouvernement a pris des résolutions, des femmes souffrent et appellent à l’aide. 

Il est 20 h 30 vendredi 18 novembre. Nous sommes dans un village de l’Ouest à la rencontre de M.H. Cette mère de famille est dans tous ses états. Et l’on comprend avec les autres membres de la famille que ce n’est pas la première fois qu’elle vit une telle situation. Sa fille de 18 ans n’est toujours pas rentrée. Cela fait plusieurs mois qu’elle est absente de la maison la nuit. 

M.H. pensait au début qu’elle avait un petit ami. Elle est cependant tombée des nues en apprenant que sa fille se drogue. « Je ne sais pas comment et quand elle a commencé ni avec qui. Mo zis kone a ki pwin mo leker mama fer mal akoz sa sitiasion-la. Mo nepli anvi viv momem… » pleure-t-elle. 

Elle relate, toujours en larmes, que sa fille lui vole de l’argent dans son porte-monnaie et ne se contrôle plus. « Elle n’écoute personne et si j’ose la rappeler à l’ordre, elle se montre très violente. » 

Cette triste situation se répète aussi chez d’autres familles. H.K., mère de quatre enfants, raconte que c’est d’abord son compagnon qui se droguait. « Mo ti pe zis get li apre monn anvi konpran ki ena ladan ek monn tomb dan piez-la mwa osi. » Elle dit vouloir en sortir mais n’est pas encore prête à faire le premier pas. 

Pour beaucoup de familles, le combat n’est pas gagné. Le manque de soutien, d’informations, de ressources fait qu’elles ne peuvent pas venir en aide à leurs proches. 

« Nous ne savons pas quoi faire, nous sommes impuissants. Ki solision ena, dir nou? »

La voix de Sylvanie 

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Sylvanie espère une bonne réhabilitation.

Son bébé a fait la Une des journaux dans l’affaire du shelter l’Oiseau du Paradis. À plusieurs reprises, son histoire a été mentionnée sans qu’elle en soit au courant. Sylvanie M. l’avoue, elle est complètement déconnectée de la réalité. 

Mère de 4 enfants à 27 ans, elle avance que la vie ne lui a pas fait de cadeau. Elle ne s’apitoie pas sur son sort. Concède avoir fait de mauvais choix parfois, qui l’ont conduite à cette situation. 

Accusée d’avoir abandonné son enfant, elle a été étiquetée d’être une mauvaise mère. Elle a pris la parole pour la première fois cette semaine pour raconter son histoire. Avec ses mots. Elle explique qu’elle ne souhaite pas se dédouaner mais voudrait que les gens ne la jugent pas sans avoir essayé de se mettre dans ses souliers. 

Sylvanie habite à Résidence La Cure. Elle a été scolarisée jusqu’aux premières années du secondaire. « Par laswit, mo finn fer bann move swa. » Elle ne veut pas blâmer ses amis. « Je ne peux pas dire que c’est à cause d’eux que je suis tombée dans cet enfer. Oui, j’ai essayé avec eux mais j’avais le choix de ne jamais essayer ou de ne pas continuer. Je suis fautive. »

Elle explique que cela lui a valu de passer des années d’enfer à tenter de s’en sortir. « Mo pa kone kifer mo pa resi sorti ladan. Enn ta fwa monn seye mem. Mo pa resi. » Elle veut cependant remercier les membres de sa famille qui sont là pour elle. « Mo mama, mo ser, zot tou zot la pou mwa. Zot konpran mwa, zot ed mwa. »

Deux de ses enfants habitent avec elle. « CDU finn pran enn zanfan ek mwa dan konfinma kan mo finn akouse lopital. Mo pa mem kone pou ki rezon. Zanfan ti bien. Zot inn fer lapolis vini ek inn dir mwa mo pa kapav pran li. Zordi mo pa mem kone kot li été. »

L’autre enfant dont elle a accouché en août dernier est toujours admise aux soins intensifs. Elle dément avoir abandonné l’enfant à sa naissance. « Si mo ti bizin abandonn li mo ti pou al premie ou deziem zour mem. Kan monn gagn desarz ki monn kit lopital. Mo ti pe vinn get mo zanfan. Finn arive mo pann ena kas transpor mo pann kapav vini me kan monn revinn get li, zot inn anpes mwa. Zot dir mwa CDU ki pou pran zanfan-la. Monn per monn ale. »

Elle a été arrêtée le lundi 7 novembre sous une accusation de Family abandonment (article 260(3) du code civil mauricien). Elle a par la suite été libérée après avoir fourni une caution de Rs 3 000 le vendredi 12 novembre. Elle réclame le droit de voir sa fille et d’obtenir de ses nouvelles, disant qu’elle n’a jamais su que l’enfant était admise aux soins intensifs. 

Plus important, elle demande de l’aide. « Je voudrais pouvoir bénéficier d’un programme de réhabilitation pour m’en sortir. » À côté d’elle, sa maman Brinda lance un appel aux autorités et à tous, pour que sa fille soit soutenue au lieu d’être montrée du doigt. 

Toxicomane depuis l’adolescence : «Lorsque j’ai fait une dépression, j’ai sombré à nouveau»

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Elle n’a que 32 ans mais on lui en donnerait beaucoup plus. M., mère d’un fils de 4 ans, a sombré dans l’enfer de la drogue il y a une quinzaine d’années. « J’étais très jeune, j’habitais un faubourg de la capitale et beaucoup de monde de mon entourage consommait de la drogue. À l’adolescence, j’ai aussi commencé à consommer des stupéfiants. »

Selon M., c’est aussi sa relation avec son compagnon âgé de 34 ans qui a contribué à sa toxicomanie. « Mon compagnon est toxicomane et on se fréquente depuis notre adolescence. À ce jour, nous sommes toujours ensemble malgré les hauts et les bas. »

Elle dit avoir tenté à plusieurs reprises de décrocher. « C’est très compliqué. La dépendance reste plus forte que l’envie d’arrêter. À chaque fois l’envie de recommencer prend le dessus. » 

Elle a tenté, tant bien que mal, de contourner l’envie de se droguer. « J’essayais d’avoir un enfant depuis plusieurs années, mais ma santé ne me le permettait pas. J’ai sombré dans une dépression et j’ai recommencé de plus belle à consommer de la drogue. Cela a été une descente aux enfers… »

Si aujourd’hui, M. est inscrite au programme de traitement de la méthadone, elle affirme ne constater aucun changement. Le seul changement notable, c’est sa dégradation physique.

Le regard difficile des gens

Selon la mère de famille, son quotidien est difficile, surtout au moment d’affronter le regard du public. « C’est difficile de passer à côté des critiques des adultes comme des enfants, on doit prendre sur soi et les accepter. ‘Get sa madam-la, kifer li koumsa?’ Les paroles sont parfois très dures envers moi… »

De plus, les proches du couple se sont aussi éloignés. Selon M., si elle pouvait revenir en arrière, elle aurait fait un autre choix. « Je n’aurais pas touché à la drogue si je savais ce qui m’attendait. Aujourd’hui, je regrette tellement, car je me suis privée d’une vie meilleure et je prive aussi mon enfant d’un meilleur avenir », reconnaît-elle.

A-t-elle un conseil à donner à ceux qui s’apprêtent à toucher aux drogues ? « Ce n’est pas un chemin à prendre, je le déconseille aux jeunes. Cela ne fera que ruiner votre vie. » 

21 femmes admises pour consommation de drogue

Nous avons sollicité l’hôpital psychiatrique Brown Sequard pour en savoir plus sur les admissions pour addiction à la drogue. Il s’avère que pour 2021, 21 femmes ont été admises. La tranche d’âge la plus touchée est celle des 19 - 30 ans.

Âge Nombre d’admissions
0-12 ans 0
12-18 ans 2
19-30 ans 13
31- 40 ans 5
41-50 ans 1
51 ans + 0
Total 21

 

Kunal Naik, addictologue : «La discrimination est plus forte envers les femmes toxicomanes»

kunal

Selon les études publiées en début d’année concernant la consommation de stupéfiants, entre 10 % et 13 % concerne les femmes. L’addictologue Kunal Naik fait valoir que la consommation chez les femmes est plus stigmatisante et qu’il y a beaucoup plus de discrimination à leur égard étant donné leur rôle de « care giver » dans la société. « En ce sens, la discrimination est beaucoup plus forte. »

Selon lui, il est important de prendre en considération le fait qu’il y a une différence entre la consommation chez un homme et une femme. « Il y a certes des choses en commun concernant les raisons de la consommation, mais pour les femmes cela laisse plus d’espace pour les abus, notamment physiques, sexuels, de genre, entre autres. »

Kunal Naik affirme aussi qu’un programme d’accompagnement différent doit être mis en place pour la femme. « Par exemple, à l’étranger, il y a des programmes adaptés pour les femmes enceintes et des mères de famille, entre autres. Ailleurs, ils prennent en considération les ‘gender differences’. »

Au cœur de Chrysalide

Située dans l’Ouest, l’association Chrysalide accueille les femmes prises dans l’engrenage de la drogue. Elle propose un accompagnement résidentiel à certaines de ces femmes mais le défi reste considérable. Chrysalide propose également un accompagnement en externe aux femmes qui pour certaines raisons ne peuvent pas venir en résidentiel. Georgette Talary, directrice du centre, nous en parle. 

« La première étape consiste en la désintoxication médicale. Cette phase est effectuée avec l’aide d’un médecin. Nous parlons de l’orientation, des règles, du programme, des protocoles avec la patiente. Il est important qu’elle puisse travailler sur l’estime de soi, l’hygiène de vie et la motivation pour bien réussir la réhabilitation », explique-t-elle.

À chaque étape, il y a une évaluation. « Cela se fait depuis le début car il est important de bien comprendre les besoins de la personne pour mieux mettre en place un plan personnalisé. » Après la première étape, les patients passent à la communauté thérapeutique, indique la directrice. « C’est pour mettre en pratique tout ce qu’elles ont appris. Elles se retrouvent avec leurs pairs et un minimum d’intervention de la part du personnel. Elles travaillent alors sur leurs traumatismes, les éléments déclencheurs qui ont conduit à l’addiction. »

En 2004, nos résidentes avaient en moyenne 35 ans. Aujourd’hui, elles sont âgées de 20, 21, 22 ans et nous avons même des demandes pour des mineures»

Les patientes apprennent aussi à se remettre en question, à être plus responsables avant de passer à l’étape de la pré-réinsertion. « Tout est décidé avec la personne. Elle choisit si elle veut reprendre ses études, travailler, suivre une formation. Nous faisons alors un suivi avec la famille à raison de deux rencontres par semaine que nous espaçons par la suite. Petit à petit, la personne apprend à devenir plus autonome, c’est le but de la réinsertion. Elle peut alors décider si elle veut garder contact avec nous ou pas. »

Georgette Talary insiste sur le fait que l’addiction est une affaire familiale. « Si un membre de la famille est addict, c’est toute la famille qui souffre. De la même manière, une réhabilitation ne peut pas être réussie si les membres de la famille ne s’impliquent pas. Ces personnes sont souvent en manque de leurs familles. Il est donc important qu’elles puissent être en contact et que la famille participe à ce processus de réhabilitation. » Un autre défi, souligne Georgette Talary, est de mettre en place une structure prenant en charge les besoins des enfants.

Elle dit noter un rajeunissement des usagers de drogue féminins. « En 2004, nos résidentes avaient en moyenne 35 ans. Aujourd’hui, elles sont âgées de 20, 21, 22 ans et nous avons même des demandes pour des mineures. » Il est urgent, avance-t-elle, de créer un centre spécialisé pour ces jeunes filles. « Elles ont besoin d’aide et leur place ne se trouve pas dans les RYC/CYC. »

Chrysalide veut aussi faire appel à des volontaires pour continuer sa mission. « Nous avons beaucoup à faire et nous avons besoin de personnes qui pourraient nous aider dans les divers programmes. Nous allons bien sûr leur offrir une formation pour mieux évoluer dans nos structures. »

 

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