Monde

Une vie sans eau dans la deuxième ville de Côte d'Ivoire

Un agent distribue de l'eau à la population ivoirienne de Bouaké, le 2 juin 2018

"C'est un cafard qui sort du robinet en ce moment", résume, fâchée, Honorine Babalou, couturière de 20 ans, en transportant sur sa tête une bassine d'eau livrée par un camion citerne dans les rues terreuses d'un quartier populaire de Bouaké, la deuxième ville de Côte d'Ivoire, confrontée à une pénurie d'eau depuis trois mois liée au réchauffement climatique. Le lac du barrage de la Loka qui fournissait les 3/4 de l'eau de la ville est à sec ou presque. Ses 28 millions de m3 se sont réduits à une peau de chagrin, rendant ubuesque un panneau "Pêche et baignade interdites" devant un champ d'herbe désormais située à plusieurs centaines de mètres du point d'eau. 

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"C'est le changement climatique. Il pleut beaucoup moins, le soleil est plus fort depuis quelques années", souligne Yeboué Ouffoué, chef du petit village d'Angoua-Yaokro situé près du barrage construit à la fin des années 1970. Ancien préfet, aujourd'hui âgé de 85 ans, l'homme a le recul nécessaire pour constater l’évolution sur la durée. Il s'inquiète pour les 300 habitants: "Ici, on vit d'agriculture. Mais, avec le manque d'eau, on ne peut plus planter comme on le voudrait. Il y a une baisse des revenus, c'est évident. Les temps sont durs". 

A Bouaké, qui compte 800.000 habitants, la situation est critique. "Nous sommes entrés dans une ère de rationnement de l'eau", reconnait le maire de l'ancienne capitale de la rébellion, Nicolas Djibo, qui pointe du doigt le réchauffement climatique mais aussi l'action de l'homme qui a détourné l'eau de ses voies naturelles avec des carrières dans la région. A l'université Alassane Ouattara 2, de nombreux jeunes qui habitaient sur les campus sont rentrés à la maison, faute d'eau, confient des étudiants en géographie.

Le maire de la ville, située dans le centre de la Côte d'Ivoire, espère une solution "durable" d'ici deux ans avec le raccordement de l'ancienne capitale de la rébellion au lac de Kossou, à une centaine de km. Une opération qu'il estime à une trentaine de milliards de francs CFA (45 millions d'euros) qui devraient être financés en partie par la Banque Mondiale. En attendant, des forages en ville ont été lancés et la distribution d'eau par camions citernes s'organise.

"On est accueilli comme le messie ou quelque chose comme ça", plaisante Mohamed Lamine Diakité, un des conducteurs d'un camion de 10.000 litres d'eau. Il avertit de son arrivée avec quelques coups de klaxon et aussitôt les habitants arrivent en courant. Dans le quartier de Sokoura, des femmes alignent sur le sol des centaines de bassines, seaux et tonneaux pour la distribution sous un soleil de plomb. Les hommes sont rares, la corvée incombe essentiellement aux femmes.

"C'est pas possible de vivre comme ça", affirme Mariam Koné, commerçante, mère célibataire de trois enfants qui s'occupe de sa mère malade. "On peut passer deux, trois jours sans se laver. Avant on buvait l'eau du robinet. Aujourd'hui, nous les adultes, on se prive mais les enfants ne comprennent pas. On est obligé d'acheter de l'eau minérale. Elle a augmenté de 400 (60 centimes) à 800 (1,2 euros). On dépense plus, on va faire faillite", se plaint-elle.

Dans le quartier 2-Bodjo, les récriminations sont similaires. "C'est trop dur. Ça ne nous arrange pas. On n'a pas d'eau pour se laver ou pour boire. Quand le camion ne vient pas, on est obligé de prendre l'eau dans les puits ou dans le marigot. Pour boire même. Ça nous rend malade", explique Chigata Soro, 30 ans, qui vend de la nourriture chaude au bord de la route. "Il nous faut de l'eau. On demande pas grand-chose quand même!" D'autres sont plus vindicatifs: "On nous dit mesures d'urgence, attendre deux ans, on ne n'est pas levé un matin pour découvrir que le barrage était vide. Le gouvernement, les autorités, la Sodeci (Société de distribution d'eau) quelqu'un a mal géré", s'insurge un habitant en colère.

"Pas touche à mon eau!", crie Sabine Koné dans la queue. Une voisine a tenté de lui prendre un peu d'eau. "On se défend: l'eau est devenue comme un trésor", explique l’étudiante de 20 ans. "En plus, elle voulait plonger son bidon sale dans ma bassine. L'eau qu'on prend est potable, elle allait la souiller!. L'eau c'est la vie!"

AFP / ISSOUF SANOGO 

 

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