Vanda Maria Da Silva Bheenick ne cache pas son amertume. Un an après la disparition de son époux en mer, elle peine à joindre les deux bouts. Elle déplore l’égoïsme de la Mauritius Ports Authority qui, soutient-elle, ne se soucierait guère du sort des familles des victimes du naufrage du sir Gaëtan Duval à Poudre-d’Or.
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De la fenêtre de sa maison non terminée à la rue Beau Plan, Calebasses, Vanda Maria Da Silva Bheenick, 46 ans, nous salue et nous invite dans sa cuisine. Le visage crispé, la veuve du capitaine Mowsadeck Bheenick ne peut dissimuler ses émotions.
Rien que d’entendre le nom de son défunt époux, les larmes lui montent aux yeux. La Brésilienne raconte avoir connu l’innommable, lorsqu’elle a appris sur Facebook le naufrage du remorqueur Sir Gaëtan à Poudre-d’Or dans la nuit du lundi 31 août 2020. Mowsadeck Bheenick a récemment été déclaré mort, bien que son corps n’ait jamais été retrouvé.
« Il était le pilier de la famille. Grâce à lui, nous avions une vie confortable. Sans lui, nous avons perdu nos repères. Il faisait tout pour nous. C’était un mari et un père très aimant », confie la mère de famille avec une infinie tristesse. « Ki mo pou dir ankor… Enn an inn pase ek li ankor difisil pou mwa ek mo bann zanfan aksepte ki zame inn trouv li. Me nou pena le shwa. Nou bizin kontign viv kouma nou kapav », ajoute-t-elle dans un kreol où perce l’accent brésilien.
Depuis que Mowsadeck Bheenick n’est plus là, elle dit faire de mon mieux pour subvenir aux besoins de ses enfants. « Ce n’est pas facile. Tous les mois pour payer les factures et faire bouillir la marmite, tout en m’occupant de l’éducation de ma fille de 12 ans, c’est la galère. »
Vanda Maria Da Silva Bheenick ne cache pas son amertume envers la Mauritius Ports Authority (MPA), pour laquelle son époux a travaillé pendant 23 ans. « Ce sont les syndicats qui ont honoré la mémoire des victimes de cette tragédie. Qu’a fait la compagnie pour nous ? »
La veuve du capitaine Bheenick parle d’un manque de soutien de la MPA : « Mon mari a consacré des années à travailler pour eux. Compte tenu de la nature de ce métier, ils auraient dû fournir au moins une pension aux mères des enfants de leurs employés. Comme moi, les épouses des autres victimes qui ont péri en mer doivent assurer l’avenir de leurs enfants. » L’affaire a été portée en cour. Mais en attendant une décision... « qu’est-ce qu’on fait ? Nous sommes livrées à nous-mêmes et personne ne se soucie de ce que nous endurons au quotidien ! » lance Vanda Maria Da Silva Bheenick.
Oui, la famille a reçu la lump sum du capitaine Mowsadeck Bheenick. Mais cet argent ne suffit pas. « Je ne sais plus comment faire. D’un côté, il faut économiser pour les études de mes enfants, de l’autre, il faut acheter à manger et payer les factures tous les mois. Ce n’est vraiment pas évident », indique la mère de famille en larmes.
Vanda Maria Da Silva Bheenick avoue que cela lui fend le cœur de ne pouvoir offrir que l’essentiel à sa fille Ilmah. « Kan fini pey tou seki bizin, enn soulie pa kapav aste pou li. Kan so papa ti la, li pa ti mank nanye. So papa ti pe amen li promne ek ti pe bien gat li. Aster nou rest dan lakaz ek nou pa sorti em, pou limit nou ban depans. »
Certes, elle aurait pu mettre le cap sur le Brésil pour y recommencer une nouvelle vie. Mais elle refuse de le faire. « Je ne peux pas être égoïste et priver ma fille de sa vie ici. De plus, la qualité de l’éducation à Maurice est meilleure qu’au Brésil. Malgré les difficultés financières, je reste ici pour qu’elle ait un meilleur avenir. »
Aujourd’hui, les espoirs de cette femme meurtrie reposent sur son fils. Suivant la disparition de son père, Irfan Bheenick a dû interrompre ses études de pilote en Afrique du Sud et rentrer à MauriceIl a pu trouver un petit boulot. « Bien qu’il ne gagne pas beaucoup de sous, cela lui permet au moins de payer ses dépenses. Nous n’avons pas de rentrée d’argent, il doit se débrouiller du mieux qu’il peut en attendant des jours meilleurs… s’il y en a. »
C’est une lourde responsabilité qui repose sur les épaules du jeune homme. « Il est mon seul espoir pour l’avenir de ma fille. Je ferai tout ce que je peux pour les aider. malheureusement, Irfan devra désormais s’occuper de son avenir pour faire celui de sa petite sœur par la suite. »
Elle n’avait que 19 ans quand elle a rencontré son mari au Brésil
Elle avait 19 ans lorsqu’elle a rencontré Mowsadeck Bheenick. Elle vivait alors à São Luis, à Maranhão. « Un membre de l’équipage du bateau sur lequel il travaillait avait été victime d’un accident, après qu’un des compartiments a été gravement endommagé. Il était bloqué pendant deux mois au Brésil. Je travaillais dans le magasin de ma tante et c’est là que nous avons fait connaissance », raconte Vanda Maria Da Silva Bheenick avec nostalgie.
Il n’y avait que le téléphone fixe à cette époque et ils s’envoyaient des lettres pour leurs prochains rendez-vous. « Une fois, il m’avait dit de l’attendre à l’aéroport, mais il n’était pas venu. Je m’étais dit qu’il n’était pas un homme sérieux et que je perdais mon temps. Le lendemain, il a débarqué. Nous nous aimions et nous avons décidé de nous marier. » Par amour, elle l’a suivie à Maurice. Une histoire d’amour qui a connu une fin tragique. « Je n’aurais jamais pensé que cela m’arriverait, mais je ne regrette rien », dit-elle en essuyant ses larmes.
Irfan Bheenick : « Ma petite sœur est la plus grande victime »
La petite Ilmah, 12 ans, ne pipe mot. Elle joue avec ses chats, tout en écoutant notre conversation. Mais dès que le nom de son père est mentionné, elle a les larmes aux yeux, qu’elle tente de cacher maladroitement.
Si l’école, ses copines de classe et PUB G lui permettent de ne pas penser constamment à cette tragédie, elle chérit le souhait que son père réapparaisse par magie. Qu’il la serre dans ses bras, comme il le faisait à chaque retour de voyage en mer.
Pour Irfan Bheenick, 21 ans, « notre vie a basculé et c’est ma petite sœur qui est la plus grande victime ». « Elle est privée de notre père, qu’elle aimait tant, elle doit aider ma mère à la maison et elle ne peut avoir autre chose que ce qui est essentiel. Ce n’est vraiment pas facile pour elle. Depuis cette tragédie, elle s’est renfermée sur elle-même », raconte le jeune homme.
Irfan Bheenick sait qu’il doit soutenir sa famille aujourd’hui. Comme le faisait son défunt père auparavant. « Je suis conscient de mes responsabilités et j’espère pouvoir nous sortir de là. » Pour assurer l’avenir de sa famille, et de sa soeur notamment, il veut reprendre ses études de pilote en Afrique du Sud. Lorsque son père a disparu, il était en pleins examens. « Toute ma vie a basculé. J’essaie de garder un mental fort pour avancer vers l’avenir », dit-il.
Un beau parcours
Né à Brisée-Verdière, le capitaine Mowsadeck Bheenick a eu beau parcours. Boursier du collège Royal de Port-Louis, il se lance dans le métier de la mer à l’âge de 18 ans. Après avoir travaillé comme marin pendant cinq ans à bord du navire Jonas, il entame des études en Inde pour devenir capitaine et suit une formation en Australie. En 1997, il se joint à la MPA. Il y restera 23 ans jusqu’au drame survenu en août 2020.
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