
C’est un ancien gardien qui parle avec franchise après des années passées derrière les murs du centre pénitentiaire : pour lui, l’incarcération des jeunes résulte d’un « cocktail » de raisons. La drogue figure au premier rang, mais elle n’est que la face visible d’un enchevêtrement de causes profondes : familles brisées, absence d’encadrement, environnement social défavorisé et manque de perspectives.
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Il affirme que la majorité des jeunes admis au Correctional Youth Centre (CYC) sont analphabètes, malgré parfois plus d’une décennie sur les bancs de l’école. « Ils ont un certificat de Prevoc 1 ou 2, mais ne savent même pas écrire leur nom. Sans éducation, ils sont perdus », explique-t-il.
Le milieu familial et le quartier d’origine jouent aussi un rôle déterminant. Beaucoup de ces jeunes grandissent dans des localités stigmatisées où les adultes eux-mêmes sont de mauvaise influence. La drogue y circule facilement, « comme des petits pâtés », dit-il. À cela s’ajoute l’attrait du pouvoir facile : rouler en grosses cylindrées, jouer les « Big boss », vendre de la drogue ou servir de guetteur pour les trafiquants.
Selon lui, l’absence de suivi après un séjour au CYC est une faille majeure. Une fois libéré, un jeune retourne dans son environnement sans accompagnement. « Il faudrait une organisation qui le suive et respecte des engagements. Je ne jette pas la pierre aux ONG ou au CYC, mais peuvent-ils faire plus, avec de meilleurs outils ? » s’interroge-t-il.
Il souligne qu’un jeune de moins de 16 ans devrait normalement réintégrer l’école. Mais après des mois d’absence, est-ce vraiment envisageable ? Pour les autres, la voie devrait être la formation professionnelle. « Mais qui va vérifier qu’il assiste aux cours ? Qu’il progresse ? Qu’il développe les compétences nécessaires ? » questionne-t-il.
Son expérience lui a aussi appris que certains jeunes récidivent volontairement. Quand il demandait à certains pourquoi ils revenaient en prison, ils répondaient simplement : « Mo vinn refer lekor. » En prison, ils se sentent en sécurité, bénéficient de soins, mangent trois fois par jour et dorment à l’abri. « C’est une vie ‘normale’ pour eux. Certains commettent un délit juste pour échapper à la rue ou à la police », explique notre interlocuteur.
Il insiste : ce n’est pas nécessairement pour accéder à la drogue que certains y retournent, même si le milieu carcéral n’est pas exempt de soupçons concernant la circulation de stupéfiants. « Ils sont environ 5 à 8 % à faire le va-et-vient », estime-t-il.
Dans une ‘cour’ avec une centaine d’autres détenus, tout le monde parle le même langage. Il est plus facile d’être soi-même en prison que dehors.»
Pour lui, la prison devient un cercle vicieux. Un délit en entraîne un autre. Entre les « remand sheets », certains purgent plusieurs peines en décalé, ou sortent après paiement d’amendes par des proches. Mais là encore, il soulève une question essentielle : « Comment payer une amende de Rs 3 000 à Rs 10 000 sans emploi ? ».
Selon lui, vivre dans la précarité est parfois un choix. « Certains travaillent juste assez pour s’offrir leur dose du soir. Se nourrir ou s’occuper de leur famille passe après. »
L’ancien gardien distingue plusieurs profils de détenus. Ceux qui ont commis une erreur de parcours, récupérables. Les trafiquants, qui purgent de longues peines. Et les « habitual criminals » (HC), difficiles à réinsérer. Il se montre sceptique face à l’idée que tous les usagers de drogues soient malades. « Ils recherchent un plaisir. Même après désintoxication, ils replongent souvent. »
Il rappelle qu’en prison, il existe un cadre structuré : réveil à heure fixe, repas, activités, télévision, appels aux proches. « En prison, toutes les conditions sont réunies pour qu’un détenu se sente humain », dit-il. Il note aussi le travail effectué par le diocèse, les ONG et les services de réinsertion pour apporter un soutien psychosocial.
Mais une fois dehors, l’ancien détenu est souvent rejeté alors qu’à la prison il se regroupe avec d’autres rejetés. Ensemble, ils se persuadent qu’ils n’ont pas leur place dans la société. D’où ce constat amer : « Ils préfèrent la prison à la liberté, car là-bas, ils sont compris et acceptés. » Il décrit également la prison comme un microcosme. « Dans une ‘cour’ avec une centaine d’autres détenus, tout le monde parle le même langage. Il est plus facile d’être soi-même en prison que dehors. »
Notre interlocuteur observe aussi un changement dans l’attitude des jeunes. « Beaucoup sont devenus paresseux. Dans leur tête, revendre de la drogue ou voler est plus facile que travailler honnêtement. Même en prison, ils cherchent à trase », affirme-t-il.
Pour lui, une réflexion nationale est urgente. Il appelle à une étude approfondie sur les usagers de drogue et les mécanismes de récidive. Car selon lui, sans suivi, sans insertion, sans soutien psychologique ou professionnel, la prison reste pour certains la seule alternative à une vie trop dure à affronter en liberté.

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