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Transition énergétique : les défis d’un avenir zéro charbon 

Malgré les ambitions affichées, le charbon continue d’avoir la cote.
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Le compte à rebours est lancé : six ans seulement séparent Maurice de son objectif zéro charbon. Cependant, les données actuelles sont préoccupantes : la consommation de charbon ne cesse de croître, compromettant ainsi la réalisation de cet objectif ambitieux. Les enjeux de cette transition énergétique sont considérables. 

L’horloge tourne. Maurice s’est engagé à atteindre l’objectif zéro charbon d’ici 2030, mais l’échéance se rapproche à grands pas. Six ans seulement nous séparent de cet objectif ambitieux, mais de nombreuses incertitudes planent sur sa réalisation. Entre les enjeux politiques, les contraintes économiques et les pressions internationales, l’île Maurice se trouve à un tournant décisif. Deux trajectoires s’opposent : un avenir bas carbone ou un maintien de la dépendance au charbon. Quelles en seraient les répercussions économiques, environnementales et sociales ?

Khalil
Khalil Elahee

Selon Khalil Elahee, chargé de cours à l’université de Maurice, la réalisation de l’objectif zéro charbon d’ici 2030 permettrait à Maurice de renforcer sa résilience économique. Le pays se libérerait de sa dépendance aux importations de charbon et aux fluctuations des prix sur le marché international, notamment la montée des cours du charbon et du dollar. « Cette indépendance énergétique pourrait aussi réduire le déficit commercial, car les devises resteraient au pays », commente-t-il.

Il est convaincu que la transition vers une économie basée sur la biomasse, en remplacement du charbon, représente une véritable opportunité pour Maurice. Cela ne se limite pas à une simple substitution énergétique, mais ouvre la voie à des bénéfices économiques substantiels pour le pays. Selon Khalil Elahee, en misant sur la biomasse, Maurice pourrait non seulement répondre à ses ambitions environnementales, mais aussi dynamiser son économie locale. 

La création d’emplois verts, directement liés à la production et à la gestion de la biomasse, constituerait un atout majeur pour le marché du travail, souligne-t-il. En parallèle, cette transition favoriserait la mise en place d’une économie circulaire, un modèle où les ressources sont optimisées et les déchets valorisés, permettant ainsi une gestion plus durable des ressources naturelles et une réduction des impacts environnementaux. « Sur le plan régional, une collaboration avec les partenaires africains pour développer l’industrie de la biomasse pourrait renforcer la durabilité de cette filière dans la région », ajoute Khalil Elahee. 

Mathieu
Mathieu Dacruz

Mathieu Dacruz, activiste éco-politique et représentant de Maurice aux sommets Youth4Climate et Stockholm+50, avertit toutefois que sur le plan économique, une société sans charbon pourrait entraîner une hausse des prix de l’électricité. « Le Budget 2024-25 prévoit la production de biocarburants à Maurice et à Rodrigues pour remplacer le charbon, un projet qui engendre des coûts importants », précise-t-il. « Il revient donc au gouvernement d’assurer son rôle de régulateur pour garantir un approvisionnement électrique à la fois sûr et abordable. » Il rappelle, dans la foulée, que « plusieurs sources de financement internationales sont disponibles pour soutenir les États insulaires dans leur transition énergétique ».

De plus, poursuit Mathieu Dacruz, il est important de comprendre que, même si Maurice atteint cet objectif, l’impact au niveau international serait limité, car les émissions de carbone de notre petit pays sont négligeables. « C’est pourquoi j’insiste sur le fait que cet objectif zéro charbon doit être accompagné de mesures d’adaptation significatives pour faire face aux dérèglements climatiques. En outre, Maurice et les autres États insulaires en développement ont la responsabilité de se mobiliser sur la scène diplomatique pour exiger une réduction des émissions de gaz à effet de serre », dit-il. 

Conséquences environnementales 

Du point de vue environnemental, l’abandon du charbon entraînerait une réduction conséquente des émissions de CO2, contribuant ainsi à la lutte contre les changements climatiques. Khalil Elahee fait également ressortir que cela résoudrait le problème des cendres toxiques, un déchet actuellement difficile à éliminer et potentiellement dangereux pour les nappes phréatiques. « De plus, la qualité de l’air s’améliorerait, en particulier dans des zones comme St Aubin, où les fumées des centrales à charbon représentent un risque pour la santé publique », souligne-t-il. 

Mathieu Dacruz partage cet avis. « Le charbon étant l’une des sources d’énergie les plus polluantes, son élimination améliorerait considérablement la qualité de l’air, en réduisant les émissions de poussières et de gaz toxiques, tels que le dioxyde de soufre et l’oxyde d’azote », explique-t-il. 
Teejvin Woodun, jeune militant écologiste, explore en profondeur les implications des changements climatiques et les stratégies à adopter pour y faire face. Selon lui, la lutte climatique se divise en deux grandes écoles de pensée : la mitigation et l’adaptation. « La mitigation se concentre sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, tandis que l’adaptation vise à ajuster nos systèmes et infrastructures pour les rendre résilients face aux impacts inévitables des changements climatiques », explique-t-il.

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Teejvin Woodun

Dans le contexte local spécifique, Teejvin Woodun rappelle que bien que ne contribuant qu’à peine à 1 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, le pays souffre de manière disproportionnée des conséquences des changements climatiques. « Les grandes puissances économiques, qui génèrent la majorité des pollutions mondiales, sont responsables de la majorité des émissions. En comparaison, Maurice, ainsi que d’autres petits États insulaires en développement, subissent les effets des changements climatiques, notamment à travers des phénomènes tels que les inondations et les tempêtes », dit-il. 

Ainsi, pour Teejvin Woodun, Maurice doit faire de l’adaptation une priorité par rapport à la mitigation. « La raison est que, même si la réduction des émissions de gaz à effet de serre est importante, l’accent mis sur l’adaptation est crucial pour permettre au pays de gérer les défis climatiques qui se présentent. L’accent sur l’adaptation inclut des mesures pratiques et immédiates pour renforcer la résilience des communautés et des infrastructures face aux impacts des changements climatiques. » Teejvin Woodun est aussi d’avis que l’élimination du charbon doit s’inscrire dans un projet plus ambitieux de transition énergétique et écologique.

Université de transition écologique

Que propose-t-il concrètement ? Pour guider efficacement Maurice dans cette transition, il propose la création d’une Université de transition écologique. Cette institution serait spécifiquement dédiée à la gestion des défis climatiques et à la promotion des pratiques durables. Teejvin Woodun insiste sur l’importance de la transition écologique pour faire face aux impacts des changements climatiques, qui se manifestent particulièrement à Maurice par des phénomènes comme les inondations récurrentes. 

Pour avancer dans cette direction, il plaide pour une meilleure accessibilité aux outils numériques, tels que le modèle d’élévation numérique.

Les conséquences d’un éventuel échec

Et si nous ne parvenions pas à honorer notre engagement de sortir du charbon d’ici 2030, quelles en seraient les conséquences ? Khalil Elahee met en garde contre une dépendance persistante à un combustible fossile, avec les risques associés de fluctuations de prix et d’instabilité économique.

« Les contrats prolongés avec les IPPs (Independent Power Producers) pour l’utilisation du charbon, et l’inefficacité persistante de certaines centrales, comme celle de St Aubin, empêcheraient le pays de faire une transition complète vers des énergies renouvelables. Le National Biomass Framework, bien qu’un plan solide, souffre d’une mise en œuvre trop lente, compromettant les bénéfices économiques potentiels de la biomasse », explique-t-il.

Sur le plan environnemental, la poursuite de l’utilisation du charbon représenterait un contre-sens écologique pour Maurice, retardant la réduction des émissions de CO2 et maintenant les risques pour la santé publique liés aux cendres et aux fumées, poursuit Khalil Elahee. C’est pourquoi il insiste sur la nécessité d’agir dès maintenant pour s’assurer que, même en cas d’échec de l’objectif pour 2030, le charbon soit complètement éliminé d’ici 2035. 

Cependant, tempère Mathieu Dacruz, l’échec de l’objectif zéro charbon en 2030 n’aurait qu’un impact limité sur les émissions de carbone à l’échelle mondiale. Mais en tant que pays fortement touché par le changement climatique, Maurice doit jouer un rôle exemplaire dans la réduction des émissions de carbone, plaide-t-il. Le pays doit « montrer l’exemple » avant de demander aux autres de réduire leurs propres émissions, avance-t-il.

Il est essentiel de considérer l’ensemble des enjeux environnementaux pour évaluer les progrès de Maurice, ajoute Mathieu Dacruz. « La simple réduction de l’utilisation du charbon ne suffit pas pour juger de notre engagement écologique. Il est également nécessaire d’examiner les avancées dans la lutte contre la pollution plastique, la préservation des zones sensibles comme les zones humides et les dunes de sable, ainsi que la gestion des risques liés aux catastrophes et la formation des populations les plus vulnérables, telles que les agriculteurs et les pêcheurs », pense-t-il. La transition écologique, fait-il comprendre, est un processus complexe qui nécessite une approche globale.

Le paradoxe énergétique 

Après une baisse enregistrée en 2022, les données publiées par Statistics Mauritius le vendredi 7 juin 2024 pour l’année 2023 sont encore plus préoccupantes. Alors que Maurice avait atteint une production d’énergie verte de 19,2 % en 2022, marquant déjà un déclin, ce chiffre est passé à 17,6 % en 2023. Ce qui représente un recul supplémentaire. 

Les sources d’énergies renouvelables exploitées à Maurice comprennent l’hydroélectricité, l’énergie solaire, la bagasse, l’énergie éolienne et le biogaz provenant des décharges. Selon les données de Statistics Mauritius, seule la production d’énergie à partir de la bagasse a enregistré une légère augmentation de 0,4 %. 

Pour les autres sources, la tendance est à la baisse. À titre d’exemple, la production d’énergie hydroélectrique est passée de 4,1 % en 2022 à 2,9 % en 2023. Les chiffres de Statistics Mauritius indiquent que la production d’énergie hydroélectrique est passée de 11 031 tonnes à 8 121 tonnes pendant la période mentionnée. 

En ce qui concerne l’énergie éolienne, qui représentait 0,5 % en 2022, elle est passée à 0,3 % en 2023, avec une production d’énergie en baisse, passant de 1 331 tonnes à 743 tonnes. Celle à partir du biogaz des décharges a également diminué, passant de 0,6 % en 2022 à 0,4 % en 2023. Elle a ainsi chuté de 1 480 tonnes à 1 145 tonnes. La production à partir d’énergie solaire a également enregistré une baisse. Elle est passée de 5,0 % en 2022 à 4,6 % en 2023, soit de 13 284 tonnes à 12 793 tonnes. 

Paradoxalement, les données de Statistics Mauritius montrent une augmentation notable de la production à partir du charbon, passant de 938,9 mégawatts en 2022 à 1 095,4 mégawatts en 2023. De plus, les dépenses du Central Electricity Board (CEB) en charbon, loin de refléter les ambitions affichées d’une transition énergétique, ont connu une volatilité marquée ces dernières années. Après avoir quasiment doublé entre 2014 et 2016, atteignant un pic de Rs 6,5 milliards, elles ont connu des fluctuations importantes, culminant à un nouveau record de Rs 7,3 milliards en 2021-2022. 

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Les différentes statistiques officielles révèlent une dépendance croissante au charbon et à l’huile lourde.
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Les solutions énergétiques comme le photovoltaïque existent et doivent être mises à profit.

(Digital Elevation Model), qui est actuellement inaccessible au public. « Ce modèle, en rendant les données hydrologiques plus transparentes, permettrait une compréhension plus approfondie des dynamiques locales de l’eau », affirme-t-il. 

Dans cette optique, Teejvin Woodun propose un projet universitaire participatif. « Les étudiants et citoyens pourraient ainsi collaborer pour analyser et résoudre les problèmes de drainage et d’eau à Maurice. Une telle approche contribuerait non seulement à améliorer les réflexes d’adaptation du pays face aux changements climatiques, mais aussi à développer des solutions locales plus adaptées aux défis environnementaux spécifiques auxquels Maurice est confronté », estime-t-il.

Le militant écologiste met en avant un autre aspect : « Il ne faut pas se contenter d’annoncer un objectif zéro charbon. Actuellement, le charbon représente 33,6 % de l’énergie utilisée à Maurice, tandis que le pétrole en constitue 53,7 %. Le pétrole est un autre combustible fossile, qui continuera d’être utilisé, même si le charbon est éliminé. Ainsi, une véritable transition énergétique nécessite une action sur l’ensemble des sources d’énergie polluantes, pas seulement le charbon. »

Solutions et alternatives technologiques possibles

Il ne suffit pas de promouvoir l’élimination du charbon comme un simple slogan. Pour réussir une transition énergétique, il est crucial d’envisager des solutions alternatives et innovantes. Actuellement, les technologies disponibles permettent de développer des approches plus durables et adaptées à notre contexte local. Khalil Elahee en cite quelques-unes.

Hydrogène vert

L’hydrogène vert émerge comme une solution prometteuse, notamment lorsqu’il est produit à partir de l’énergie solaire ou éolienne. Ce processus, qui comprend le dessalement de l’eau de mer et son électrolyse, requiert des investissements substantiels dans la recherche appliquée pour maximiser son potentiel et sa viabilité.

Gestion de l’énergie avec des systèmes locaux intelligents

Pour une gestion plus efficace de l’énergie, il est essentiel de mettre en œuvre des systèmes localisés intelligents qui favorisent la démocratisation, la décarbonation, la décentralisation et la digitalisation. Les villes intelligentes doivent intégrer ces micro-réseaux intelligents pour optimiser la distribution et la consommation d’énergie.

Maîtrise de la demande

La maîtrise de la demande énergétique est cruciale et doit être accompagnée par le développement des énergies renouvelables. Cela inclut la modernisation des réseaux électriques pour améliorer leur efficacité et leur capacité à intégrer des sources d’énergie renouvelable.

Subvention du solaire photovoltaïque pour le secteur domestique

Pour encourager l’adoption à grande échelle du solaire photovoltaïque dans les foyers, des subventions sont nécessaires. Les Fonds verts pour le climat pourraient jouer un rôle clé en soutenant ces initiatives.

Renforcement de la mise en œuvre et gouvernance énergétique

Bien que des plans intéressants existent, leur mise en œuvre doit être renforcée par une gouvernance énergétique plus rigoureuse. Une gestion améliorée est indispensable pour assurer la résilience économique, climatique et écologique à long terme.

Enjeux éthiques et environnementales

Plusieurs mesures ont été mises en avant dans le dernier Budget pour encourager l’énergie photovoltaïque. « Cependant, plusieurs aspects nécessitent une attention particulière avant d’adopter cette technologie à grande échelle », commente Mathieu Dacruz. 

La gestion des panneaux solaires en fin de vie est un enjeu crucial, fait-il remarquer. Leur durée de vie étant limitée, il est indispensable de mettre en place des solutions de recyclage efficaces. De plus, la production des batteries de stockage d’énergie, souvent associée à des pratiques minières controversées en Afrique notamment, soulève des questions éthiques et environnementales. « Ainsi, il est impératif de veiller à ce que les technologies choisies soient à la fois écologiquement et humainement responsables. »

Les micro-réseaux, ou microgrids, représentent une solution intéressante, surtout en Afrique en raison de la taille du continent. « Pour Maurice, un projet pilote pourrait être envisagé, mais il est douteux que cette technologie soit rentable ou nécessaire à l’échelle de l’île entière. La pertinence de cette solution dans le contexte local doit être soigneusement évaluée », fait-il comprendre. 

Mathieu Dacruz critique, dans la foulée, ce qu’il appelle l’« écologie Social Media », souvent associée à du greenwashing et à des solutions qui ne sont applicables qu’aux pays occidentaux. Il cite l’exemple des véhicules électriques, dont les batteries nécessitent des minerais dont l’extraction pose des problèmes éthiques, et l’impact environnemental dépend de la source d’énergie utilisée pour leur recharge. Mathieu Dacruz considère que l’hydrogène pourrait représenter une alternative prometteuse pour le secteur automobile, avec un potentiel significatif pour l’avenir.

 

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