Faits Divers

Trafic de drogue à Résidence Kennedy: c’est le Far West

Certaines rues de Résidence Kennedy sont les fiefs de trafiquants notoires. D’où l’hostilité des habitants lors d’une opération de police, le jeudi 3 décembre. L’absence de patrouille y est aussi pour quelque chose, les transactions se faisant au su et au vu des voisins qui hésitent à dénoncer les parrains par peur de représailles. La scène est irréelle. Surtout pour un après-midi en beau milieu de semaine. Par grappe, des hommes et des femmes affluent devant une maisonnette sans charme dans une rue étroite aux abords du terrain de football de Résidence Kennedy, à Quatre-Bornes. Un regard à gauche, un coup d’œil à droite, des billets de banque froissés sont subrepticement glissés entre les mains du maître des lieux. En échange, ils repartent, les yeux étincelants, en possession d’un petit colis enroulé dans du ruban adhésif isolant.
Visiblement sous l’influence de la drogue, cette troupe braillarde déambule dans tous les sens. La circulation est souvent bloquée plusieurs minutes durant. Les rares automobilistes qui s’aventurent dans cette partie de Résidence Kennedy prennent leur mal en patience. Ils évitent les coups de klaxon intempestifs. Plus particulièrement contre les autres « clients » qui rappliquent à tombeau ouvert dans leurs véhicules tape-à-l’œil après avoir allègrement emprunté un sens interdit. Mieux vaut ne pas non plus prendre en grippe les « amis » du propriétaire de la maisonnette venus veiller au bon déroulement des transactions et qui ont garé leurs véhicules, des grosses cylindrées pour la plupart, n’importe comment. S’ils ne sont pas assis face à la maisonnette, ils sont perchés sur la muraille du terrain de foot devenue leur poste d’observation. Chaque nouveau véhicule qui passe est sujet à une opération « guet figir ». Un signal est lancé à l’arrivée de tout véhicule suspect, ce qui est très rare.

Le NCG sur la sellette

Le rôle du National Coast Guard dans la lutte contre les stupéfiants a été évoqué ce vendredi devant la Commission d’enquête sur la drogue. Son commandant, Saurabh Thakur, a été entendu sur les moyens à sa disposition pour coincer les trafiquants. L’Indien a expliqué qu’il n’a pas d’embarcation spéciale pour les opérations antidrogues et dit collaborer régulièrement avec la Mauritius Revenue Authority et l’Adsu pour des fouilles en mer. Il a aussi déclaré qu’il est plus facile pour le NCG d’effectuer des fouilles, l’Adsu nécessitant bien souvent des mandats de perquisitions. Les travaux de la commission reprennent la semaine prochaine.

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Une centrale d’achat en plein air

Ici, les voisins préfèrent rester zen. Tout un pan de ce quartier a été transformé en une centrale d’achat en plein air. Les patrouilles de police sont quasiment inexistantes. La brigade antidrogue de Rose-Hill y a bien monté une opération l’an dernier et elle a dû faire face à une forte résistance. Pas des habitants, mais majoritairement des « clients » venus d’ailleurs. Malgré l’arrestation du propriétaire de la maisonnette et d’une femme pour trafic de stupéfiants, le business a repris de plus belle. Des antivol ont été installés sur le mur d’enceinte pour enlever l’envie aux « misie-la » de pénétrer dans la cour lors d’une opération surprise. Un autre trafiquant vend sa dope par-dessus de son mur. Il est facilement reconnaissable. Il change de SUV comme ses chaussettes et il les revend sur les pages dédiées sur Facebook, où l’on peu avoir un aperçu de son train de vie festif. Le jeudi 26 novembre, c’est à peu près la même « foule » hostile qui a « enveloppé » des hommes de l’assistant Commissaire de Police Choolun Bhojoo qui ont monté une opération de « controlled delivery » près de la maisonnette aux abords du terrain de football. Louis Steve Nelson Nicolas, un maçon de 36 ans fiché à l’Adsu, a été arrêté pour trafic de drogue après avoir tenté d’arracher un colis express des mains d’un enquêteur. Le paquet provenant d’Afrique du Sud et bourré de 1,5 kilo d’héroïne évalué à Rs 15 millions était destiné à une femme du nom de Sania Ramsamy. Quand l’Adsu a contacté la jeune femme pour la livraison, elle a envoyé Louis Steve Nelson Nicolas au casse-pipe. Quand celui-ci s’est rendu compte qu’il était tombé dans un guet-apens, il a rameuté les « clients » qui pullulent à Résidence Kennedy. Un habitant de l’avenue L’Unité, Romain Jean Curtis Anodin, 18 ans, est parmi ceux qui ont tenté d’empêcher les policiers de mener à bien leur mission. Il a été arrêté le même jour pour « rebellion ». Sania Ramsamy, elle, est activement recherchée, de même qu’un troisième suspect, Jean Kenzy Giani Moonsamy.

Récidivistes notoires

D’après les éléments en possession de l’Adsu, ce réseau est opéré par un oncle des frères Chowrimootoo. Steve Abraham et Curly, deux autres habitants de Résidence Kennedy, ont été condamnés à 25 ans de prison en juillet 2014 pour trafic d’héroïne. Au cours d’une perquisition à leur domicile, le 16 mai 2011, 114 grammes d’héroïne estimés à Rs 1,7 million avaient été découverts sous un matelas. Abraham avait reconnu les faits alors que Curly — déjà impliqué dans deux autres affaires, où les passeurs étrangers sont morts après que des capsules de drogue qu’ils transportaient se sont ouvertes dans leur appareil digestif — a plaidé non coupable. Curly Chowrimootoo était, lors de cette perquisition, en liberté conditionnelle pour possession de 100 grammes d’héroïne. Il a tenté de « négocier » avec les enquêteurs, en pure perte. Outre le fait d’être impliqué dans un cas d’importation d’héroïne par une Pakistanaise, son frère est fiché auprès de l’antidrogue pour divers délits. À Résidence Kennedy, les quatre cents coups des deux frères et des proches sont un secret de Polichinelle, mais nul n’ose parler ouvertement par peur de représailles.

Parade imparable d’un trafiquant

« C’est devenu une plaisanterie à Résidence Kennedy. On sait dans quelles rues habitent les gens honnêtes et où opèrent les trafiquants. C’est facile de faire la différence. Dans le premier cas, les gens partent travailler très tôt et rentrent au crépuscule. Dans l’autre cas de figure, ils se tournent les pouces et passent leurs journées sous la varangue d’une boutique au morcellement Gungadin pour écouler leur stock. Ils sont également reconnaissables grâce aux grosses voitures à bord desquelles ils circulent », expliquent un jeune. « On sait très bien ce qui se trame. Mais nul ne va les dénoncer. Nos familles vivent ici et on ne veut surtout pas avoir des problèmes. Quand il arrive qu’une transaction se déroule sous nos yeux, on préfère regarder ailleurs », enchaîne une mère de famille. « Un des trafiquants a trouvé une parade imparable. Il vient en aide à certaines familles dans le besoin. Ainsi peut-il compter sur leur soutien en cas de descente policière. Il a une couverture bien rodée », raconte un habitant. « L’Adsu sait très pertinemment ce qui se trame à Résidence Kennedy. Malheureusement, il faut des preuves avant de pouvoir coincer les trafiquants. Quand on met une opération en route, avant même que nos véhicules n’arrivent sur place, ils ont déjà été prévenus. On ne peut pas non plus demander à la Special Supporting Unit de venir en renfort, ça va tourner à l’émeute », fait ressortir un gradé. Le trafic de stupéfiants à Résidence Kennedy a donc encore de beaux jours devant lui. Avec, parallèlement, le trafic de gandia et de produits synthétiques, qui fleurit.
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