À 18 ans, un accident de la route a bouleversé sa vie à jamais. Tétraplégique depuis le 26 septembre 2019, Inca Shady Mookoowallah a dû réapprendre chaque geste, chaque sensation, chaque regard posé sur le monde. Aujourd’hui, à 24 ans, depuis la Cité Briquetterie à Sainte-Croix, elle raconte une reconstruction intime, faite de douleurs, de renoncements, mais surtout d’une force intérieure rare, d’une maturité précoce et d’une foi profonde en la vie. Un témoignage bouleversant, où la fragilité devient puissance.
Il y a des dates qui s’impriment dans la mémoire comme une cicatrice invisible. Pour Inca Shady Mookoowallah, le 26 septembre 2019 n’est pas seulement un jour du calendrier. C’est une ligne de fracture. Avant, il y avait la jeunesse, l’indépendance, les rêves simples et immenses à la fois. Après, il y a eu le silence, l’hôpital, l’immobilité, et cette réalité brutale qui s’impose sans demander la permission.
« Le chauffeur a perdu le contrôle de la voiture », dit-elle simplement. Quelques mots pour résumer l’irréversible. Ce jour-là, Inca a 18 ans. En une fraction de seconde, sa vie bascule. Fracture cervicale C5, spinal cord injury. Le diagnostic est sans appel : elle est devenue tétraplégique.
Ce qu’on ne dit pas assez, c’est que l’accident ne s’arrête pas au choc. Il continue, longtemps après, dans les chambres d’hôpital, dans les nuits sans sommeil, dans les regards des autres, dans le corps qui ne répond plus.
« Sa inn boulvers mo lavi, parski monn retrouv mwa a zero. Bizin rekomans aprann tou bann kitsoz basik dan lavi. » Se laver. Manger. Se retourner. Respirer sans paniquer. Tout ce qui était acquis devient un apprentissage douloureux.
Inca, autrefois indépendante, se retrouve soudain dépendante. Totalement. « Mo ti enn dimounn indepandant… e finalman, monn retrouv mwa avek enn oxsilier de vi. E sa dimounn-la, se mo mama. »
Dans cette phrase, il y a tout. L’amour inconditionnel. La dignité mise à l’épreuve. La pudeur sacrifiée. Et cette relation mère-fille qui se transforme, se renforce, se réinvente.
Les rêves suspendus, mais pas éteints
Avant l’accident, Inca est étudiante. Elle a des projets clairs, des ambitions ancrées dans le soin à l’autre. Psychologue ou Health Care Assistant : deux métiers de cœur, deux vocations tournées vers l’humain.
Mais l’accident interrompt brutalement ce chemin. « Malerezman, mo pann kapav kontinie mo letid apre laksidan. » Il y a là une douleur sourde, celle des rêves qu’on regarde s’éloigner sans pouvoir courir derrière. Une injustice que personne ne peut réparer.
Et pourtant, Inca refuse de s’enfermer dans l’amertume. « Mo pa krwar ki nanie inn kase. Honestly. » Une phrase forte. Presque déroutante. Là où beaucoup verraient une vie brisée, elle parle de révélation.
Une famille comme pilier
Si Inca tient debout — autrement — c’est aussi grâce à son entourage. Sa maman, d’abord, devenue ses bras, sa force, son soutien quotidien. Son petit frère, présent, attentionné, toujours prêt à aider. Et quelques amis fidèles, rares mais précieux.
« Mo krwar boukou dan mo lantouraz. Mo fer bann tri. Mo bien gete kisannla ki merit mo latansion. » L’accident agit comme un filtre. Il révèle les absences, mais aussi les présences indéfectibles. Il apprend à choisir, à protéger son énergie, à se recentrer sur l’essentiel.
La rééducation : du corps à l’âme
La reconstruction d’Inca ne se limite pas au physique. Elle est globale, profonde, exigeante. Dans ce parcours, certaines rencontres deviennent décisives.
Il y a Rizwan Chumroo, son rééducateur: « Li ed mwa pa zis fizikman, me mantalman osi. » Chaque séance est un combat, mais aussi une victoire intime. Un millimètre gagné. Une confiance retrouvée. Un espoir entretenu.
Et puis, il y a le soutien psychologique, indispensable. Mr Anwar Modarbaccus, son psychologue, l’accompagne dans ce chemin intérieur, souvent plus difficile encore que la rééducation physique. Parce que réparer l’âme demande du temps, des mots, des silences.
« Aujourd’hui, mon rêve est toujours d’être psychologue »
Ce qui frappe chez Inca, c’est cette cohérence profonde entre ce qu’elle a vécu et ce qu’elle souhaite devenir. « Asterla, mo rev se vinn enn psy. Sa ti touzour mo rev. Me zordi, mo dan enn sitiasion kot mo konpran santiman lezot ankor pli bien. »
Sa souffrance devient compréhension. Son vécu devient compétence. Sa vulnérabilité devient force. Elle sait ce que signifie tomber. Elle sait ce que signifie dépendre. Elle sait ce que signifie lutter contre l’invisible. Et c’est précisément pour cela qu’elle se sent encore plus légitime pour accompagner les autres.
Les mots surprennent, parfois dérangent. « Mo pran sa aksidan-la kouma enn benediksion. »
Pas par déni. Pas par naïveté. Mais par lucidité. « Linn ouver mo lizie lor boukou kitsoz ki avan mo ti krwar acquis. » La marche. La santé. Le temps. Les gens. La vie elle-même. « Li plis enn revelasion ki enn maler. » affirme-t-elle.
Bien sûr, elle ne nie pas la perte. « Wi, parski enn kote, mo lavenir inn brize, parski mo pa pou kapav realiz sertin lobzektif. » Mais elle refuse que cette fracture définisse toute son existence.
Une maturité forgée dans l’épreuve
À 24 ans, Inca parle avec une sagesse désarmante : « Mo persepsion lavi inn sanze. Monn gagn boukou plis maturite. » Elle parle de gratitude, de tri, de lâcher-prise. De ce qui mérite l’attention, et de ce qui ne la mérite plus.
Elle choisit le positif, non pas parce que tout est facile, mais parce que c’est un choix quotidien, presque militant. « Mo pran kitsoz pli pozitif ki negatif. » di-elle.
Inca Shady Mookoowallah ne se définit pas par son fauteuil. Ni par son accident. Ni par ce qu’elle ne peut plus faire.
Elle se définit par ce qu’elle est devenue : une jeune femme lucide, forte, profondément humaine, capable de transformer une tragédie en chemin intérieur.
Son histoire n’est pas celle d’une vie arrêtée. C’est celle d’une vie réinventée.
À Sainte-Croix, dans la Cité Briquetterie, une jeune femme continue de rêver, de comprendre, d’aimer, d’espérer. Debout autrement. Mais debout quand même.
Et peut-être est-ce là, finalement, la plus belle définition du courage.





