Le jeune Chief Analyst du National Investment Trust donne son opinion sur l’accord de libre-échange continental africain signé récemment. Teddy Blackburn en profite pour égratigner l’offshore mauricien et livre sa recette pour que le pays puisse passer dans la catégorie de ceux à haut revenu : ne pas imiter Singapour.
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Maurice vient de signer l’accord pour la création d’une zone de libre-échange continentale africaine. Qu’est-ce que cela peut apporter au pays ?
Ce qui m’a surtout frappé, c’est que cet accord soit passé quasi-inaperçu. Il y a un accord de libre-échange sur le continent africain qui couvre plus de 40 pays, mais on n’en parle pas beaucoup. Ce n’est pas étonnant dans la mesure où le Mauricien ne se sent pas vraiment Africain. Maintenant, il n’y a pas beaucoup d’informations sur cet accord. Le libre-échange ne concerne pas que les biens et les services. Il y a aussi la libre circulation des gens, la connectivité et l’accès aérien. Si on intègre le groupe, il faut s’y investir totalement. Maurice est un petit pays avec des frontières restreintes. Avec le libre-échange, on élargit ces frontières. Il y a tout un marché qui devient accessible. Théoriquement, cela cadre avec notre objectif de devenir un pays à haut revenu ? Ça stimulera la croissance économique, mais ce qu’on vise, c’est le développement économique. Il y a une nuance. La croissance, c’est d’une année à une autre, le développement, c’est continuel, plus une planification à long terme. À Maurice, on a tendance à nous comparer à Singapour, un petit pays qui a investi dans le capital humain et où le développement économique a suivi. Cette formule n’est pas forcément applicable ici. Singapour est homogène. Il y a une majorité de la population d’origine chinoise avec peut-être 20 % d’origine malaise. Vous faites quelque chose et tout le monde regarde dans la même direction. Maurice est un pays multiculturel. Cela fait notre force, mais aussi notre faiblesse. Pour Maurice, le capital humain ne suffit pas, il faut aussi s’attarder sur le capital social.
Vous entendez quoi par capital social ?
Apprendre à vivre ensemble et regarder dans la même direction. On parle de culture d’entreprise et on devrait reproduire cela à l’échelle nationale.
Que faire pour développer ce capital social ?
Il faut d’abord parler des conséquences de ce manque de capital social. Prenez l’offshore par exemple. Singapour lance le sien dans les années ‘90, avec un service de base. Au fil des ans, il ajoute en sophistication. La demande crée la demande.
Qu’a-t-on fait à Maurice ? On a démarré avec le service de base et aujourd’hui, on en est au même point. L’offshore mauricien, depuis ses origines, c’est la comptabilité de base. Où est la valeur ajoutée ?
Cette valeur ajoutée dans l’offshore, ce serait quoi au juste ?
La gestion du patrimoine, de fonds, des biens… même le côté légal. On parle d’arbitrage privé. On a toujours 10 ou 15 ans de retard. Pour le Singapour, c’est automatique, pas pour nous. Pourtant, en termes de capital humain, on est assez bien servi.
Vous parlez de la distinction entre la croissance et le développement économique. C’est le développement économique dont on parle dans les discours politiques. Fait-on ce qu’il faut pour promouvoir le développement, surtout en ce qui concerne la création de l’Economic Development Board (EDB) ?
Je ne vais pas avoir la prétention de mieux m’y connaître que les gens de l’EDB, mais pour moi, si on va répliquer le modèle singapourien sans prendre en considération les particularités mauriciennes, cela ne marchera pas. Maurice n’est pas Singapour. Il faut prendre en considération les réalités locales. Il y a une mentalité à Maurice qui veut qu’une communauté 'x' protège une compagnie qui la représente. J’ai donc un marché acquis, que je sois performant ou pas. Où est la motivation pour s’améliorer ? C’est ainsi qu’on se retrouve à stagner. Autre exemple : en Israël, considéré comme une start-up nation, il considère l’échec comme quelque chose de très positif. Chaque start-up qui a réussi a connu 10 échecs au préalable. Or, à Maurice, on a une culture qui veut que l’échec est une honte. C’est le résultat du déficit en capital social.
On parle de culture d’entreprise et on devrait reproduire cela à l’échelle nationale.
Quand vous dites « on », vous faites référence aux potentiels investisseurs et entrepreneurs ?
Je parle du Mauricien typique. Il n’est pas à blâmer. On vit dans un pays hétérogène et il faut s’adapter. On dit souvent que le Mauricien a un problème de 'mindset'. On ne résout pas cela du jour au lendemain. C’est quelque chose de plus profond. Si on veut vraiment devenir un pays à revenu élevé, je crois qu’il faut résoudre ce problème.
Comment ?
Déjà en commençant par reconnaître qu’il y a un problème. Ensuite, je vous donne un exemple bête : avec la technologie, aujourd’hui on peut créer une plateforme anonyme. En tant que fournisseur, vous devez répondre à certains critères pour présenter votre produit sur la plateforme. On reste anonyme et les clients donnent un grade par rapport à la qualité. Je crois que cela résoudrait le problème d’hétérogénéité qui pousse un certain groupe à favoriser un produit en dépit de la qualité.
Quelle est votre évaluation de l’Economic Development Board à ce jour ?
Il y a un gros travail à abattre. Quand j’ai vu la composition de l’équipe, cela m’a agréablement surpris. Il n’y a pas trop de techniciens.
Est-ce une mauvaise chose quand il y a des techniciens ?
Avec les techniciens, on court le risque de tomber dans la théorie. Singapour a fait cela, donc on fait pareil. Quand je vois la composition, je me dis qu’ils se sont bien armés pour think outside the box.
Pour revenir à l’accord de libre-échange sur le continent africain, comment éviter les pièges qui ont fait que ce genre d’accords est contesté parce qu’ils tueraient les industries locales ?
Il faut relativiser. Les accords de libre-échange, à leurs débuts, étaient utiles à tous les pays. Cela a permis à beaucoup de croître. Maintenant qu’ils sont à un certain niveau, on commence à dire qu’on n’a plus besoin de ces accords. L’Afrique en est encore à un niveau de développement où on a encore besoin d’élargir nos frontières et de partager nos compétences. On ne peut se permettre de rejeter ces accords, surtout si on l’approche comme il le faut. Toutefois, il ne faut pas y aller avec un sentiment de supériorité, il y a en Afrique des diasporas libanaise et indienne qui sont très fortes en affaires.
L’Afrique, c’est toutefois un ensemble de pays très différents, avec des cultures et des qualités d’infrastructures différentes. Cette disparité, ou hétérogénéité, pour reprendre vos termes, ne risque-t-elle pas de handicaper tout ce processus ?
Ce sera un des plus gros problèmes de cette zone de libre-échange. Ce n’est pas homogène, ce qui pose encore le problème du capital social. Il faut que tout le monde regarde dans la même direction. L’Afrique n’est ni l’Europe, ni l’Asie.
Au-delà du capital social, sur quoi peut miser Maurice pour entrer dans le club des pays à haut revenu ?
Il n’y a que deux mots : innovation et productivité. Quelle que soit la sphère d’activité. C’est cela qui apporte le développement. L’économie américaine est 42 fois celle d’Israël. Pourtant, son budget de défense n’est que huit fois celui d’Israël. Les start-ups en Israël vendent des produits qui servent dans ces créneaux. Ils sont à l’avant-garde de la cybersécurité et des services de santé. À Maurice, les start-ups seraient au service de qui ?
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