Tannya, 25 ans, est abattue. Elle ne comprend toujours pas comment son père a pu tuer celle qu’il aimait et qui lui a donné onze enfants - quatre garçons et sept filles.
«Depi zot inn separe mo papa ti pe dir li pou pik mo mama mais zame nou ti panse vreman li ti pou fer sa», confie Tannya, troisième de la fratrie. Sa mère, Dorinne Phokeerdass, 49 ans, a été mortellement poignardée jeudi soir.
Le présumé meurtrier n'est nul autre que l'époux de Dorinne, Jean-Marc Phokeerdass, 57 ans. Le couple était séparé depuis un an et demi.
N'ayant pas digéré cette rupture, Jean-Marc Phokeerdass s'est saisi d'un couteau en voyant le concubin de Dorinne, au domicile de la fille de celle-ci, à Tamarin, Vacoas. Une violente dispute s'en est suivie et s'est terminée dans la rue.
En voulant sauver la vie de son concubin, Dorinne a été agressée à l'arme blanche. Elle a rendu l'âme peu après son admission à l'hôpital Victoria. Jean-Marc Phokeerdass a été arrêté et placé en détention.
Dorinne a grandi à La Mairée Road, Curepipe. Elle est issue d'une famille modeste. Elle a fait sa scolarité à l'école St-Esprit RCA. En dépit du fait d'avoir obtenu de bons résultats, elle a été contrainte d’abandonner ses études après la STD VI pour aider sa mère qui était malade et prendre soin de ses frères et sœurs. Elle cumulera des petits boulots pour faire bouillir la marmite.
Rencontre avec lui qu'il allait devenir son époux
Dorinne a 16 ans lorsqu'elle rencontre Jean-Marc Phokeerdass dans une usine. Ils tombent amoureux. Le couple filait le parfait amour, même si des fois il y avait des hauts et des bas. L'année suivante, elle donnera naissance à une fille.
Jean-Marc Phokeerdass et Dorinne se marieront ensuite. Ils accueilleront dix autres enfants durant 33 ans de vie commune.
«Tout était bien dans la famille jusqu’au jour où l'entreprise de mon père a fait faillite», se souvient Tannya, qui était en STD III à l’époque.
Descente aux enfers
Jean-Marc Phokeerdass gérait une petite entreprise qui entreprenait des travaux de «waterproofing». Il a tout perdu quand un de ses clients a porté plainte contre lui à la police. Il perd son gagne-pain. Il sombrera dans l’alcool. Débute alors sa descente aux enfers.
«Kan li ti pe bwar li ti pe vinn extra violan et li ti pe batte nou ek mo mama», raconte Tannya, victime elle aussi des coups de son père.
La situation ne s'améliore guère. Peu après, la famille déménage. Le père de famille boit de plus en plus. Sa femme et leurs enfants traversent des moments difficiles.
«A plusieurs reprises, mo mama inn kite lakaz linn alle akoz mo papa ti pe trop bat li, me mo mama ti kontan li, li retourner sak fwa ! », poursuit Tannya.
Tantôt femme de ménage, tantôt marchand ambulant
Son mari ayant trouvé refuge dans l'alcool, Dorinne se voit contrainte d'incarner le rôle de père et de mère, racontent ses proches. Elle doit s’occuper de ses enfants et subvenir à leurs besoins. Pour y parvenir, elle cumule de menus boulots. Tantôt elle femme de ménage, tantôt elle marchand ambulant.
Le temps passe. Dorinne nourrit l’espoir que son mari allait changer. En vain. Elle est restée aux côtés de Jean-Marc jusqu’au où elle n’en pouvait plus, confient ses proches.
Il y a un an et demi, elle a définitivement rompu avec son époux, ne pouvant plus supporter ses coups.
Dorinne rencontrera ensuite Nicolas Elizabeth, 58 ans, avec qui elle vivait en concubinage à Floréal.
N'ayant pas supporté cette rupture, Jean-Marc Phokeerdass se montrait menaçant à en croire ses proches. «Il disait 'ki li pou pik mo mama mais zame nou ti a kwar li pou fer sa vremem», précise Tannya.
«Une battante»
Même si elle ne vivait pas avec ses enfants, Dorinne prenait de leurs nouvelles et leur rendait visite. C’est lors d’une visite chez sa fille jeudi 20 février que le drame s’est produit. «Ils
(Dorinne et Nicolas) étaient sur l’escalier quand mon père les a vus. Il est descendu avec un couteau», soupire Tannya.
Elle garde de sa mère le souvenir d'une «battante et d'une personne qui se donnait la peine pour aider les autres» :
«C’est pour cette raison qu’elle s'est jetée dans la marmite politique. 'Mem pas pena kass pou ale lekol, zame mo mama inn laisse so bane zenfant ress vant vide'».
Dorinne était aussi une femme comme les autres. Elle arborait toujours un sourire contagieux, selon ses proches. Elle aimait faire du shopping et passer des moments avec ses enfants.
«Elle voulait célébrer son anniversaire à la plage»
«Elle aimait le karaoke», relate Tannya, qui affirme qu'elle se prépare déjà pour prendre en charge ses petits frères et sœurs.
«Ma mère allait fêter ses 50 ans le 16 mars. Elle voulait la célébrer à la plage», dit Tannya d'une voix cassée.
Les funérailles de Dorinne Phokeerdass auront lieu ce samedi à 11 heures. Elle reposera désormais au cimetière Bigara à Curepipe.
«Mama Africa»
Dorinne Phokeerdass était aussi connue comme «Mama Africa». Elle militait pour les droits de la femme, surtout celles victimes de violence conjugale et pour ceux qui luttent pour récupérer la terre de leurs ancêtres. Elle avait rejoint le Parti Kreol Morisien (PKM) il y a un an et avait été candidate au no 16 (Vacoas/Floréal) aux législatives de novembre 2019. Elle avait terminé à la 20e place avec 270 voix.
«Elle voulait démontrer que n’importe qui pouvait être briguer les suffrages aux législatives», explique sa fille Tannya.
Avant d'être candidate, Dorinne Phokeerdass a été agente politique pour plusieurs partis. Elle connaissait beaucoup de politiciens. «Pour elle, la politique était une manière d’être plus proche de la population afin de pouvoir aider encore plus les démunis. Elle a toujours eu cette volonté d'aider les autres», observe Tannya.
«Plus qu'une amie»
Elena Rioux, la secrétaire du Parti Kreol Morisien dit perdre non seulement un membre important, mais aussi une très bonne amie. «Je l’ai connue en 2010. On se voyait souvent sur le terrain», partage Elena Rioux.
Elena Rioux ne peut retenir ses larmes en parlant de son amie, qui, pour elle, incarne la femme dont parle la chanson «Fam Exempler» de Linzy Bacbotte.
Selon Elena Rioux, Dorinne Phokeerdass caressait le rêve de continuer de plus belle avec sa lutte pour défendre ceux qui ont perdu leurs terres. Elle militait pour la mise sur pied d'un tribunal pour occuper de ces cas-là.
«On devait se voir pour enregistrer une ONG qu’elle voulait fonder pour aider les personnes qui ont perdu leurs terres», lance Elena Rioux. Elle lance un appel à la ministre de l'Egalité des genres, Kalpana Koonjoo-Shah : «1 ka se boukou, 2 se tro et 3 ka inn trop dépasser. Il faut agir».
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