Les premières indications sur l’introduction du salaire minimal ont filtré cette semaine. L’économiste Swadicq Nuthay répond à nos questions sur les implications de son entrée en vigueur à Maurice.
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Viser janvier 2018 pour introduire le salaire minimal vous semble-t-il raisonnable ?
C’est un fait bien établi. Ces dernières décennies, l’inégalité des salaires a augmenté dans de nombreux pays du monde, y compris les deux tiers des pays de l’OCDE et les grandes économies émergentes. Ces derniers temps, une des mesures prises pour réduire les inégalités salariales et la pauvreté dans de nombreux pays, a été la création ou le renforcement du salaire minimum. Plusieurs pays se sont donc tournés vers les mécanismes de fixation.
Le Royaume-Uni a introduit un salaire minimum légal avec une couverture nationale en 1999 et un « salaire vital » supérieur national en 2016. Depuis le début des années 1990, les huit autres pays de l’OCDE – la République tchèque, l’Estonie, l’Irlande, Israël, la Pologne, la Slovaquie, la Slovénie et, plus récemment, l’Allemagne – ont aussi adopté un salaire minimum légal. La plupart des pays de l’OCDE, sans salaire minimum légal, ont des planchers de salaire légal défini par des conventions collectives, comme en Danemark, Finlande, Norvège et la Suisse.
La Chine a adopté un salaire minimum en 1994 et l’a renforcé en 2004 ; en Afrique du Sud, un système sectoriel a été établi après la fin de l’apartheid en 1997 et les dirigeants évaluent la possibilité d’introduire un salaire minimum national. L’introduction, en 2018, est donc faisable, mais pour avoir un système efficace de salaire minimal, il est impératif qu’il y ait une consultation et une participation active de tous les acteurs économiques et sociaux et des représentants des employeurs et employés.
Nous avons une seule indication officielle sur le montant. Il sera inférieur au salaire médian qui est de Rs 12 800. À quoi peut-on s’attendre sans plus de précisions ?
Il faut comprendre la différence entre le salaire minimal et le salaire médian. Ce dernier est défini comme la frontière entre les revenus de 50 % des salariés à haut revenu et 50 % des employés à bas revenu, ce qui est actuellement Rs 12 800. Le salaire minimal est défini comme le montant minimum de la rémunération que l’employeur est tenu de payer ses salariés pour le travail effectué pendant une période donnée. Il ne peut être réduit par convention collective ou un contrat individuel. Il est évident que le salaire minimal sera inférieur au salaire médian car il n’en sera qu’une proportion. Cette méthode de déterminer le montant est adoptée par tous les pays ayant un salaire minimal. La plupart des pays ont un salaire minimal entre 45 et 60 % du salaire médian. Toutefois, il y une différence dans le ratio entre les pays développés et émergents. À titre d’exemple, le salaire minimal est à peu près 50 % du salaire médian en Europe contre 70 à 80 % dans les pays émergents.
«Le salaire est déterminé par l’offre, la demande, la productivité et la valeur ajoutée du salarié»
Le seuil de pauvreté est estimé à la moitié du salaire médian, donc à Rs 6 400. Devrait-on suivre l’exemple des pays émergents et proposer plus pour un meilleur niveau de vie ?
Il y a une différence entre le salaire minimal et le seuil de pauvreté car le salaire minimum cible les travailleurs à salaire bas plutôt que les familles à faible revenu. À titre d’exemple, aux États-Unis, le salaire minimal est en-dessous du seuil de pauvreté. L’indicateur statistique, plus fréquemment utilisé pour évaluer le niveau du salaire minimal par rapport à la situation économique et sociale nationale, est sans doute le ratio du salaire minimum contre les salaires médians et non le seuil de la pauvreté. Ce ratio est connu comme l’indice ‘Kaitz’. Dans de nombreux pays, il est utilisé comme un outil pour surveiller le niveau de salaire minimum et les débats tournent souvent autour de la question du ‘Kaitz ratio’ qui sera approprié dans les circonstances nationales pour maximiser les avantages sociaux et économiques et minimiser les effets indésirables possibles d’emploi ou de l’inflation.
Avec son introduction, doit-on craindre des conséquences négatives, comme des pertes d’emploi ?
Plus de 90 % des États membres de l’OIT ont aujourd’hui une forme de salaire minimal, que ce soit dans les pays développés et les pays émergents. Il est vrai qu’un salaire minimal trop élevé peut générer des pertes d’emplois ainsi qu’un passage des employés de l’économie officielle à l’économie informelle, surtout dans les pays émergents. Toutefois, une étude récente de la Banque mondiale estime que les effets du salaire minimal sur l’emploi sont faibles et négligeables, voire positifs dans certains cas. Pour que le salaire minimal soit efficace, il faudrait qu’il soit accompagné de mesures économiques visant à encourager la productivité et la valeur ajoutée dans l’économie. Par exemple, l’amélioration du ease of doing business, des mesures d’accompagnement pour les PME, surtout par rapport à l’accès au capital, la formation et le market intelligence, etc.
Quel impact social réel ce salaire aura-t-il sur ceux qui se trouvent au plus bas de l’échelle ?
La réduction de l’inégalité des revenus et la croissance sont deux mesures importantes pour combattre la pauvreté. Théoriquement, le salaire minimal peut atteindre ces deux objectifs. Augmenter le salaire de ceux au plus bas de l’échelle va réduire l’inégalité et la pauvreté. Cela peut aussi augmenter la productivité. Le coût de la main-d’œuvre sera plus élevé et les entreprises auront à mettre plus d’accent sur la productivité et l’efficience, ce qui aura un effet positif sur la croissance. La productivité a contribué grandement à la croissance de Maurice ces 23 dernières années. De 2009 à 2013, nous avons eu une croissance annuelle de 2,9 %, ce qui représente 90 % de la croissance économique totale. Néanmoins, il faut comprendre que le développement économique ne suffit pas pour éradiquer la pauvreté absolue. La mise en place d’un cadre visant à réduire l’inégalité en amont, aura un impact plus efficace, le salaire minimal n’étant qu’une des mesures de la politique de la réduction de l’inégalité.
Est-ce garanti que le salaire minimal réduira l’écart entre riches et pauvres et ainsi améliorer notre ‘gini coefficient’ ?
Les salaires sont devenus très pertinents dans l’explication de l’inégalité des revenus car le médian des revenus mensuels à travers les « quintiles » se sont accrus. C’est-à-dire que l’écart entre les salaires au plus bas de l’échelle et au plus haut s’est creusé. De 2007 à 2012, les revenus mensuels médian dans le « quintile » le plus pauvre a augmenté par 11,6 % alors que le médian des revenus mensuels dans le « quintile », le plus riche a grimpé par 15,3 % pour la même période. Toutefois, il ne faut pas tomber dans l’irrationnel. Le salaire est déterminé par l’offre, la demande, la productivité et la valeur ajoutée du salarié. On doit se poser la question : pourquoi les entreprises se tournent vers les travailleurs étrangers, surtout dans le secteur manufacturier et la construction ? Il est triste de constater qu’il y a un manque d’enthousiasme et de motivation chez l’ouvrier mauricien. Si tous les ingrédients sont réunis, à savoir le salaire minimal ainsi que les mesures d’accompagnement, il peut certes y avoir une amélioration dans notre ‘gini coefficient’.
Quelles devraient être ces autres mesures d’accompagnement, selon vous ?
Je vous cite cet adage : quand un homme à faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que lui donner un poisson. Le combat contre la pauvreté ne sera pas une réussite s’il n’y a pas une volonté et une détermination, de ceux qui sont les plus vulnérables, à faire l’effort nécessaire pour améliorer leur situation. À travers la formation et l’éducation, en plus de l’aide sociale de l’État, ils peuvent s’en sortir plus rapidement.
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