Interview

Suttyudeo Tengur, observateur politique: «Il faut que les grands chantiers démarrent et vite»

Suttyudeo Tengur
S’il est encore trop tôt pour faire un bilan du gouvernement de l’Alliance Lepep, un premier constat  s’impose. Suttyudeo Tengur estime que la Vision 2030, présentée par sir Anerood Jugnauth, constitue un premier pas vers la relance de l’économie mais démontre aussi qu’il est le ‘seul maître à bord’. La présentation par sir Anerood Jugnauth de Vision 2030 est-elle de nature à booster l'économie du pays et à attirer les investisseurs? D'abord, avec des ministres tel que Roshi Badhain qui se voulait être le champion du traité de non-double imposition avec l’Inde et Vishnu Lutchmeenaraidoo avec ses missions en Malaisie et ailleurs, il était normal que SAJ monte au créneau et impose sa Vision 2030, comme pour dire à tous ces petits roquets que c’est lui le seul maître à bord. Le ton était donné dans sa présentation pour la relance de l’économie. Il a d’ailleurs présidé une première réunion secteurs public-privé avec de nombreux projets qui ont été revus et qui seront mis en œuvre dans les mois à venir. C’est un premier pas vers la relance de l’économie. SAJ a aussi rassuré les investisseurs potentiels, mais beaucoup dépend des institutions telles que le Board of Investment et autres Enterprise Mauritius qui, espérons-le, seront à la hauteur des espérances de SAJ. Pourquoi le PM a-t-il ressenti la nécessité de monter personnellement au créneau pour galvaniser ses troupes et rassurer tout le monde? Il est normal que SAJ vienne s’affirmer et démontrer un leadership fort avec une vision claire. Il signifie à ses partenaires qu’il n’y a qu’une seule voie et qu’il n’y a pas de place pour des voix disparates. Le secteur privé lui renouvelle sa confiance parce que ce secteur sait qu’il a affaire à un « no nonsense man » et que SAJ « means business » et « means what he says. » Au même moment, Navin Ramgoolam se relance sur la scène politique, avec ses fidèles. Le vent est- il en train de tourner? Après l’euphorie de la victoire, il y a beaucoup d’attentes. Et il est normal qu’avec le temps, la confiance s’érode quelque peu car la population veut des résultats, comme  combattre le chômage dans les plus brefs délais. Naturellement, la cote du régime baisse et l’opposition, aussi moribonde soit-elle, en profite pour redorer son blason auprès de ceux qui se sentent déçus par le régime. Mais cela ne veut pas dire que le vent a complètement tourné en faveur de l’opposition. Ce gouvernement vient de compléter ses neuf premiers mois au pouvoir. Nous sommes encore très loin de la prochaine échéance électorale prévue dans 51 mois. D’ici là, beaucoup d’eau coulera sous le pont. Quant à Navin Ramgoolam, il est normal qu’il exploite chaque gaffe du gouvernement pour retrouver sa popularité. Il est encore trop tôt pour faire un pronostic. Certains observateurs politiques sont d'avis que  des contradictions internes au sein même de ce gouvernemen sont de nature à créer des instabilités? L’Alliance Lepep comprend trois partenaires. Il est normal qu’il y ait des différences d’opinion ici et là. Mais il ne faut pas perdre de vue la politique gouvernementale que personnifie SAJ. à moins qu’il n’y ait de sérieuses contradictions internes qui poussent à l’éclatement de ce gouvernement provoquant une certaine instabilité politique. Mais, je ne pense pas qu’on en soit arrivé là, malgré la prise de bec d’Ivan Collendavelloo avec un député du MSM dans les coulisses du Parlement. Est-ce que, comme l'Alliance Lepep le dit, il y avait urgence à s'atteler à l'affaire BAI, avant même de réaliser ses gros projets? L’affaire BAI remonte à la fermeture de la Bramer Bank qui, selon Basant Roi, Gouverneur de la Banque de Maurice, avait un gros problème de solvabilité. Tout est donc parti de là. Il se peut que le gouvernement soit allé un peu trop vite en besogne parce que Dawood Rawat et Navin Ramgoolam étaient comme les deux faces d’une seule pièce. Aujourd’hui, avec l’évolution de ce dossier, l’on se rend compte qu’il y a beaucoup d’argent de l’État qui entre en jeu. Pendant combien de temps encore le contribuable continuera-t-il à soutenir les décisions du gouvernement ? On n’est pas encore sorti de l’auberge. Malgré toutes les déclarations à l’emporte-pièce, et où l’on déclare que des milliards de roupies sont récupérables, c’est toujours ‘Anne ma sœur Anne….’ Quelles sont, selon vous, les grandes leçons qu'on peut tirer de cette affaire, pas encore totalement résolue? La première grande leçon est qu’on doit apprendre à marcher avant de courir. En d’autres mots, on aurait dû sonder la profondeur de ce problème à travers un exercice fiduciaire et ensuite prendre les décisions qui s’imposent. Aujourd’hui, on a fait du bric-à-brac et les caisses de l’État qui sont mises à rude épreuve. L'Alliance Lepep met la pression sur les fonctionnaires pour que cessent la lourdeur administrative et les blocages et pour plus d'efficience. Comment définiriez-vous le comportement de la Fonction publique lorsqu'à chaque fois, on lui rend responsable d'un certain nombre de faiblesses et de 'contre-performances'? La Fonction publique restera toujours la bête noire pour justifier l’incompétence des politiciens. S’il y avait moins d’interférences politiques à chaque échelon,les politiques clairement définies et que les fonctionnaires avaient la liberté d’agir comme des professionnels, la performance gouvernementale aurait atteint une autre dimension. Mais, malheureusement, il y a trop de ‘politiking’ qui se transforme en des bâtons dans les roues du gouvernement. Résultat : les projets s’entassent et coûtent plus que prévu . Durant les élections de décembre dernier, le vote rural a glissé vers l'Alliance Lepep. Est-ce que celle-ci a toujours la confiance de l'électorat rural? Il ne faut pas sous-estimer la sagesse de l’électorat rural. Et cesser de le prendre pour acquis comme dépôt fixe. SAJ en connaît les conséquences et Navin Ramgoolam aussi. La confiance de cet électorat se mérite à travers un respect. Parmi les leaders de l'Alliance Lepep, Xavier-Luc Duval semble recueillir un capital de sympathie parmi toutes les communautés. Pourquoi, selon vous? Xavier-Luc Duval essaie de ratisser large pour rendre son parti plus ouvert et crédible. Mais il demeure bien plus un leader de la communauté créole qui constitue sa base électorale. Il ne faut pas oublier qu’à un certain moment, cette communauté avait délaissé le navire bleu de Gaëtan Duval pour le MMM. Aujourd’hui, XLD recueille une bonne partie de ces naufragés, mais sans plus. Sur quels dossiers, selon vous, la population attend le gouvernement en termes de promesses? Priorité au dossier sur le chômage. La création d’emplois demeure le principal levier pour entraîner le « feel-good-factor » au sein de la population mauricienne. Et, pour en arriver là, il faut que les grands chantiers démarrent d’ici début de l’année prochaine et vite. L'Inde et la Chine sont en ce moment les principaux partenaires du gouvernement mauricien pour la réalisation de ses grands chantiers de développement… Il ne faut jamais mettre tous les œufs dans le même panier. Il faut chercher là où on a la technologie la plus appropriée pour assurer un développement durable. Prenons le cas de la construction de l’aéroport par les Chinois, qui a coûté des milliards. Aujourd’hui, on se retrouve avec d’importants problèmes sur les bras. C’est pourquoi je dis que l’on doit diversifier, mais personne ne nous fait de cadeaux. Il y a des intérêts nationaux avant tout. Ni l’Inde ni la Chine ne nous offrent rien sans qu’on ne leur renvoie l’ascenseur.
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