Interview

Suttyhudeo Tengur sur le cartel du marché des fertilisants : «C’est un mauvais signal de la Competition Commission»

Suttyhudeo Tengur

Il dit ne pas comprendre pourquoi la clause de clémence devrait s’appliquer à la MCFI, qui a fauté et qui, pour s’en sortir, a dénoncé son complice, l’UIL. Pour Suttyhudeo Tengur, de l’Association pour la protection de l’environnement et des consommateurs (Apec), la Competition Commission se rend complice dans cette affaire.

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« La MCFI demande la clémence tout en dénonçant son ‘partner in crime’ »

La Competition Commission of Mauritius (CCM) semble se réveiller…
Effectivement, j’ai constaté qu’elle a épinglé deux pointures pour entente commerciale délictueuse. L’une a été exonérée d’une amende de Rs 54 millions réduite à Rs 5,4 millions et l’autre devra s’acquitter d’une amende de Rs 15,1 millions. C’est à n’y rien comprendre.

Toutefois, l’une d’entre elles, soit la Mauritius Chemical & Fertilizers Industry (MCFI), a accepté ses fautes, mais a imploré la clémence de la CCM. Est-ce normal ?
Si la MCFI a requis la clémence en dénonçant la compagnie avec laquelle elle était partie prenante pour mettre en place le cartel, il y a un gros problème. Pour moi, c’est un crime économique et la clémence ne devrait pas s’appliquer à la MCFI. C’est trop facile de coopérer, de divulguer des informations sur les actes auxquels elle a participé pour contrôler le marché avec l’UIL et, quand elle se fait taper sur les doigts, elle demande la clémence, tout en dénonçant son partner in crime. Et la CCM avale cette couleuvre avec une facilité déconcertante, du moment qu’elle a pu mettre la main sur un coupable.

Il semble que c’est le trucage lors d’appels d’offres pour s’accorder sur les prix et les conditions afin de museler le marché local qui a éveillé les soupçons de la CCM…
D’abord, et la MCFI et United Investment Ltd ont collusionné pour la fourniture de fertilisants (bid rigging), créant ainsi un cartel sur le marché local. Donc, en 2014-2015, elles ont bénéficié de ce cartel à travers des compagnies sucrières sur la place.

Était-ce une façon de contourner la loi ?
Définitivement, la MCFI et l’UIL se sont entendues pour contrôler le marché à travers des appels d’offres, pour lesquelles elles se sont entendues pour partager les offres à elles seules. Il y a collusion, car on parle là de gros volumes et pour moi, pas question de clémence.

Mais les provisions de la CCM prévoient la clémence à une entreprise qui collabore…
à ce niveau, la clémence ne devrait pas s’appliquer, car c’est un crime économique. Ces deux compagnies ont trouvé une façon intelligente de contourner la loi. La Commission devrait agir et ne pas entrer dans le jeu de la MCFI.

Est-ce que, ce faisant, la Commission se rend complice dans cette affaire ?
La Commission se rend ainsi complice. Et c’est injuste envers l’UIL, car la Commission pratique une politique de deux poids deux mesures.

Selon vous, la Commission aurait dû taper sur les deux compagnies pour entente commerciale délictueuse ?
Devant la loi, quelqu’un qui vole un œuf ou un bœuf, il n’y a pas de compassion. La Commission donne une mauvaise perception au public en général, quand elle agit ainsi, car elle a agi sans aucune équité. C’est un mauvais signal.

Mais, en même temps, si une entreprise collabore, cela lui permet de changer de fusil d’épaule et de changer positivement…
La Commission peut se prévaloir d’une de ses clauses pour laver plus blanc que blanc une entreprise qui a fauté preuves à l’appui, mais ce n’est pas d’une simple affaire qu’on parle. La MCFI est une grosse entité commerciale d’un grand groupe. J’estime que ce qui s’est passé est un crime économique passible de sanctions.

Dans un communiqué, le directeur de la Commission, Deshmuk Kowlessur, justifie la clémence vis-à-vis de la MCFI, qui a aidé à épingler l’UIL…
Je le répète. Ce n’est pas un simple fait de cartel, mais d’un crime économique et il vient justifier cela parce qu’une des clauses de la Commission prévoit la clémence ?

Pensez-vous qu’il y aurait d’autres compagnies dans la même position que la MCFI et l’UIL ?
J’estime que la Commission a le devoir de mener une enquête profonde sur les agglomérats et de dénoncer publiquement ces cartels dans tous les secteurs d’activités économiques. Il faut éviter d’entrer dans leur jeu et de leur donner des rabais en termes d’amendes, alors qu’ils ont fait la pluie et le beau temps durant des années chez nous. Au niveau de notre association de protection des consommateurs, nous menons aussi des enquêtes et nous dénonçons, autant que faire se peut, les agissements de ces cartels.

 

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