Live News

Suttyhudeo Tengur : « La population a été habituée à des Budgets ‘labous dou’»

Le Grand Argentier présente le Budget 2025-26 ce jeudi. Selon Suttyhudeo Tengur, président de l’Association pour la protection des consommateurs et de l’environnement (Apec), la population a été habituée aux Budgets « labous dou » à la Padayachy. Il souligne que le gouvernement nous a déjà préparés à un exercice périlleux, avec un zeste d’austérité dans un contexte économique difficile. 

Publicité

Nous sommes au jour J de la présentation du premier Budget de l’Alliance du Changement. Qu’attendez-vous de cet exercice ? 
Les attentes de la population sont considérables. Ce Budget doit refléter une vision claire avec des réformes structurelles et une gestion transparente des finances publiques. Il faut également des mesures concrètes pour répondre aux préoccupations des citoyens et créer de nouveaux piliers économiques.

Le Premier ministre et le Deputy Prime Minister ont annoncé un Budget compliqué. Peut-on affirmer que les mains du gouvernement sont liées ? 
Le contexte économique international, les contraintes budgétaires et les engagements antérieurs limitent effectivement sa flexibilité. Cependant, des marges existent pour des réformes adaptées. Répéter que « les caisses sont vides » ne convainc personne.

L’Alliance du Changement a fait plusieurs promesses. Une personne raisonnable ne s’attend pas à ce qu’elles soient toutes honorées sept mois après la prise de pouvoir, mais il faut des signes visibles qu’elles seront tenues dans les mois à venir. La baisse du prix du carburant notamment est dans les cordes du gouvernement. 

Le gouvernement dénonce des caisses vides. Serait-ce pour préparer la population à un Budget d’austérité ?
Cette communication vise probablement à justifier des mesures d’austérité à venir. En évoquant des caisses vides, le gouvernement prépare la population à certains sacrifices tout en légitimant le contrôle de la dette et des dépenses publiques. La transparence et la communication seront des éléments-clés pour éviter méfiance et démobilisation.

Répéter que les caisses sont vides ne convainc personne.

Le Budget aura-t-il une touche rigide de la part de Rama Sithanen et de son ami Ali Mansoor, actuellement au pays ? 
Le Budget doit refléter une approche équilibrée. Il faut combiner rigueur fiscale et flexibilité pour s’adapter aux réalités économiques. La rigueur reste essentielle pour assurer la stabilité, tout en laissant une marge pour l’innovation et le soutien aux secteurs-clés. La population s’est habituée à un Budget « labous dou » à la Padayachy. Il ne faut pas suivre cette voie. Mais le porte-monnaie des consommateurs ne doit pas en souffrir.

Certaines dépenses semblent avoir été exagérées sous l’ancien gouvernement. Le Fonds monétaire international, Moody’s et S&P n’ont pas rétrogradé Maurice mais exigent un meilleur contrôle des dépenses publiques et de la dette publique qui ne devait pas dépasser un certain seuil critique du PIB. Avec la COVID-19, le seuil critique a été éliminé, permettant ce que les économistes qualifient de dilapidation des fonds publics. Votre avis ? 
L’assouplissement du seuil de 65 % à la suite de la pandémie a permis une relance économique plus flexible, mais comporte des risques à long terme. Une gestion prudente s’impose pour préserver notre crédibilité internationale. Le gouvernement doit réduire drastiquement la dette publique (qui s’élève à plus de 90 % du PIB) et le déficit (qui est de plus de 9 %).

Des ministères budgétivores comme la Sécurité sociale, qui représente à lui seul plus de 50 % de notre Produit intérieur brut, verront-ils leurs budgets purgés ? 
Il faut évaluer l’efficacité de ces dépenses. Des réformes peuvent optimiser leur gestion, mais une purge totale impacterait la cohésion sociale. Réduire le budget de la Sécurité sociale, par exemple, soulèverait la colère de la population, surtout de ceux qui bénéficient des aides.

Les allocations aux plus vulnérables pourraient-elles être réduites voire éliminées ? Ne risque-t-on pas des tensions sociales ? 
Toute réduction doit s’accompagner de programmes alternatifs pour éviter de creuser les inégalités. Les personnes vulnérables doivent être protégées. Par exemple, si un parent senior travaille encore, doit-il recevoir l’allocation d’études de son enfant ? C’est à examiner.

L’Alliance du Changement a fait plusieurs promesses. Une personne raisonnable ne s’attend pas à ce qu’elles soient toutes honorées sept mois après la prise de pouvoir, mais il faut des signes visibles qu’elles seront tenues.

Les licenciements massifs récents sont-ils justifiés ou sont-ils perçus comme une vendetta politique ?
Tout dépend du contexte. S’ils résultent d’une rationalisation nécessaire à la survie des entreprises ou de l’État, ils se justifient. Mais s’ils sont perçus comme une vengeance politique, cela risque d’aggraver la polarisation et d’éroder la confiance publique. Il faut tenir compte des familles qui souffrent et leur offrir une nouvelle chance.

La population s’attend à être soulagée dans son quotidien. Quand verrons-nous la baisse des prix des produits de base ? Ne faudrait-il pas revoir le contenu de la corbeille de la ménagère ?
La baisse des prix des produits essentiels constitue une priorité. Cependant, elle dépend de facteurs internationaux, de politiques fiscales et de mesures de régulation. Nous importons la plupart des produits que nous consommons. Chaque année, cette dépendance s’accentue.

Une des premières mesures de ce gouvernement a été la stabilisation de la roupie face au dollar et à l’euro. Malgré cela, les prix continuent d’augmenter. Ce gouvernement avait annoncé investir quelque Rs 10 milliards pour éviter les hausses. Espérons qu’il tiendra parole ou qu’il fera des efforts en ce sens. La reconsidération du contenu de la corbeille doit aussi tenir compte des changements dans nos modes de vie et la santé publique.

Le gouvernement avait promis de presser les grandes surfaces pour qu’elles diminuent leurs marges de profit. Elles n’ont pourtant pas bougé d’un iota. Au contraire, les prix flambent. Explications... 
La marge de profit des grandes surfaces subit l’influence de plusieurs facteurs. La concurrence, les coûts d’approvisionnement et la demande jouent un rôle majeur. Il faut reconnaître qu’avec les augmentations salariales récentes, y compris celle du salaire minimum, les grandes surfaces rencontrent aussi des difficultés. En revanche, la régulation des marges pourrait être envisagée. Des contrôles renforcés permettraient d’éviter la spéculation sur les prix.

Dans les pays nordiques et en France, les grandes surfaces doivent légalement réduire leurs marges sur les produits de base (lait, thé, café, sucre, beurre, fromage, charcuterie, grains secs, riz, produits frigorifiés comme les poissons en tranches et crustacés, entre autres) durant le dernier week-end de chaque mois. Elles passent de 50 % à 10 %. Maurice devrait-il s’en inspirer ?
Ce modèle pourrait effectivement servir d’inspiration. Toutefois, son adaptation doit tenir compte de notre contexte local. La structure du marché, la capacité réglementaire et les habitudes de consommation diffèrent. Le gouvernement évoquait un investissement de Rs 10 milliards pour stabiliser les prix. 

Pourquoi ne pas cibler des produits de première nécessité ? Réduire leurs prix ou garantir l’absence de hausse pendant 12 mois serait bénéfique. Le gouvernement a eu au moins six mois pour réfléchir à la manière d’utiliser cette somme pour que le pouvoir d’achat des consommateurs ne souffre pas davantage.

Les critiques affirment que le concept « Tout à Low Cost » profiterait aussi aux personnes aisées. Pourtant, ces dernières n’achètent jamais de produits « Low Cost ». Votre avis ? 
Il est vrai que la politique « Low Cost » vise à rendre certains produits accessibles à tous. Sa portée peut également bénéficier à une clientèle plus aisée en proposant des options économiques pour certains achats. Le ciblage reste difficile. Comment empêcher les personnes aisées d’acheter ces produits « Low Cost » ? À Maurice, il est trop facile de contourner les décisions ou les règles. L’utilisation du gaz ménager à des fins commerciales en est un parfait exemple.

Le gouvernement avait annoncé investir quelque Rs 10 milliards pour éviter les hausses. Espérons qu’il tiendra parole ou qu’il fera des efforts en ce sens.

Pourquoi le concept « Made in Moris » est presque boudé par les Mauriciens ? 
Le label « Made in Moris » est un gage de qualité qui promeut les produits fabriqués localement. Il garantit que les articles sont conçus, transformés ou fabriqués sur le sol mauricien, tout en respectant certaines normes de qualité, de traçabilité et de responsabilité. Pourtant, certains consommateurs ne s’y reconnaissent pas toujours. 

Plusieurs raisons peuvent expliquer ce désintérêt. Primo, beaucoup de produits « Made in Moris » sont jugés plus chers que leurs équivalents importés (chinois, indiens ou sud-africains). Les consommateurs à budget limité se tournent vers des produits moins coûteux, même si la qualité est moindre.

Secundo, certains consommateurs ne comprennent pas ce que le label garantit réellement. Qualité, emploi local, normes environnementales... Le logo est visible, mais sa signification n’est pas toujours bien communiquée.

Tertio, tous les produits « Made in Moris » ne sont pas perçus comme étant de qualité supérieure. Certains associent encore les produits locaux à du « bâclé » ou de l’« artisanal ». Il existe parfois un écart entre l’image projetée et l’expérience réelle du consommateur.

Quarto, l’attachement national au label reste limité. Le label seul ne suffit pas à justifier un prix plus élevé sans preuve évidente de valeur ajoutée. 

L’Auction Market de Wooton devait éliminer les intermédiaires et combattre les prix exorbitants. Le constat est décevant : la vente se fait en gros à Wooton à prix dérisoires, mais les prix s’envolent sur les étals. Une laitue vendue Rs 10 en gros atteint Rs 60 au marché. Pourquoi ne pas décentraliser l’Auction Market ?
Je me souviens des grands débats lors de l’ouverture de ce marché de gros à Wooton. Il y avait de la réticence parmi les planteurs. Ils affirmaient que centraliser l’Auction Market risquait de peser lourd sur les prix des légumes. La raison principale était le coût du transport.

L’ancien leader de l’opposition avait même exprimé son opposition à ce marché. Je suis donc d’avis que la décentralisation de l’Auction Market réduirait les coûts de transport et de stockage, favoriserait la transparence et améliorerait la rémunération des producteurs. Cependant, cela nécessite une organisation logistique et réglementaire adaptée. 

Une bonne frange de la population a changé son mode de consommation. Elle se rue sur les « promotions », même si c’est pour ne pas manger sainement. Quelles solutions existe-t-il ? 
Malheureusement, la population, surtout les jeunes, consomme trop de fast-food. D’ailleurs, on en trouve partout dans les villes et villages, même les plus reculés. Nous connaissons le résultat. Au train où vont les choses, nous aurons une population malade dans 20 à 25 ans. Il faut sensibiliser à l’importance d’une alimentation équilibrée via des campagnes éducatives. Encourager des comportements responsables devient urgent. La régulation des promotions excessives sur des produits peu sains pourrait aussi être envisagée.

En ce qui concerne la taxe directe, ne faudrait-il pas adopter le concept « To gagn plis, to pey plis », en la faisant passer de 20 % à 30 % pour les plus fortunés, à l’instar des banques qui engrangent des milliards de profits et qui paient une Corporate Tax de 15 % « across the board » ? 
Une réforme progressive pourrait réduire les inégalités. Augmenter la contribution des plus aisés tout en préservant l’investissement pourrait améliorer la redistribution et renforcer les recettes publiques.

N’est-il pas temps de formaliser le secteur informel hors des radars de la Mauritius Revenue Authority ?
Absolument ! Cela accroîtrait les recettes fiscales, réduirait la concurrence déloyale et améliorerait la régulation économique. Des mesures incitatives et une simplification administrative encourageraient cette transition. 

L’Alliance du Changement avait promis transport gratuit, Internet gratuit, congé maternité d’un an, congé paternité d’un mois, baisse des produits de première nécessité et du carburant... Autant de promesses en l’air ? 
Certaines promesses semblent coûteuses dans un contexte budgétaire difficile. Mais la crédibilité politique repose sur la capacité à tenir ses engagements ou proposer des alternatives réalistes. Ce Budget doit montrer des signes qu’il tient certaines de ses promesses. Il y aura encore quatre autres Budgets pour faire le reste.

Le 14e mois pourrait-il devenir quasi obligatoire après la surenchère à laquelle se sont livrés les deux principaux blocs politiques lors de la campagne électorale ? 
Initialement exceptionnel, il pourrait devenir régulier s’il est perçu comme un droit acquis, avec des implications budgétaires considérables à long terme. Je pense qu’il faudra attendre quatre ans pour une autre annonce de ce genre. 

La Financial Crimes Commission effectue des arrestations après enquêtes. Ne faudrait-il pas que les fautifs, incluant les fonctionnaires, soient sanctionnés au lieu de « get away with murder » ? Fini le temps de l’impunité dans l’opacité. 
Absolument ! La lutte anticorruption doit être impartiale et transparente, sans exception. La redevabilité est essentielle pour restaurer la confiance dans nos institutions. Enquêter sur les scandales sous le MSM (Mouvement socialiste militant ; NdlR), c’est bien. Encore faut-il punir les coupables et récupérer l’argent détourné !

Si l’on se fie aux institutions financières internationales, Maurice devrait revoir ses priorités en matière de développement infrastructurel, c’est-à-dire choisir le moindre mal. Dans ce cas, pourquoi ne pas imiter la Suisse qui organise un référendum pour chaque gros projet ? Au lieu du stade de Côte-d’Or, par exemple, un grand réservoir aurait été plus utile… 
Nous n’avons jamais eu recours à un référendum. Pourtant, cet exercice démocratique pourrait renforcer la légitimité des grands projets. Ce serait une bonne démarche pour renforcer la légitimité des grands projets. La transparence et la participation citoyenne éviteraient des investissements contestés tout en respectant la volonté populaire.

Parlant du MSM, il tente une sortie publique timide en s’en prenant à ses successeurs. Est-ce la bonne tactique pour survivre politiquement ? 
Une stratégie prudente se comprend, surtout si le parti cherche à se repositionner ou à éviter la polémique. Cependant, un discours constructif et une vision claire seraient plus efficaces pour regagner la crédibilité et mobiliser l’électorat. Comme on dit, même si on a subi une large défaite, on peut se relever. Mais plus les enquêtes révéleront des magouilles, plus ce sera difficile pour le MSM de convaincre l’électorat à nouveau.

Quelle est votre lecture du deal sur les Chagos ? Y avait-il une autre option ou avons-nous été bernés ? 
Le dossier Chagos reste complexe, mêlant souveraineté, compensation financière et diplomatie. Certains estiment que Maurice a obtenu une reconnaissance partielle. D’autres jugent les gains limités face aux enjeux nationaux. Une alternative aurait été une négociation plus ferme ou une mobilisation internationale accrue. La question reste ouverte : avons-nous été « bernés » ou avons-nous fait au mieux dans un contexte international difficile ? Inutile que les politiciens des différents bords polémiquent sur ce sujet. 

Finalement, qu’attendez-vous de ce Budget ? 
Un budget équilibré conjuguant rigueur budgétaire, mesures sociales pour les plus vulnérables et investissements dans la santé, l’éducation et les infrastructures. Le tout avec une transparence totale et une communication claire pour qu’il soit perçu comme juste et efficace.

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !