Législatives 2024

Surenchère politique : les limites légales face aux promesses électorales

Le Dr Kris Valaydon, avocat et analyste politique. Me Gayle Yerriah.

Dans le cadre de la campagne électorale, les promesses électorales ont afflué, souvent teintées d’engagements de gratuité ou de baisses fiscales. Le Dr Kris Valaydon, avocat et analyste politique, et Me Gayle Yerriah examinent les contours légaux et éthiques de ces engagements et leur impact potentiel sur les citoyens.

Un 14e mois de salaire pour les travailleurs, une taxe à valeur ajoutée (TVA) réduite à 10 % sur certains produits essentiels, des prêts sans intérêt pour les petits et moyennes entreprises (PME), une baisse des prix des carburants et de l’électricité, le transport public gratuit, l’accès gratuit à Internet et une augmentation des pensions. Les promesses ont fusé dans le cadre de la campagne électorale. Mais la question se pose : respectent-elles le cadre légal et éthique en vigueur ?

Un constat d’emblée : le droit concernant les promesses électorales est très restrictif dans son application. « La définition donnée par les articles 64 et 65 de la Representation of the People Act 1958 aux termes ‘bribery’ et ‘undue influence’ ne couvre pas un champ suffisamment large pour englober les promesses faites au cours d’une campagne électorale », explique le Dr Kris Valaydon, avocat et analyste politique. En raison de cette définition restreinte, presque toutes les promesses électorales échappent aux sanctions légales, fait-il comprendre.

Cependant, sur le plan éthique, la situation est différente. « Les promesses électorales influencent l’électeur en lui offrant un gain ou un bénéfice pour qu’il vote pour un parti plutôt qu’un autre. Cela restreint la liberté de choix de l’individu et va à l’encontre d’une véritable démocratie, car l’élu n’est pas nécessairement celui que la majorité aurait choisi de son propre gré, mais celui pour lequel l’électeur a voté sous l’influence d’un appât », souligne Me Kris Valaydon.

L’avocate Gayle Yerriah met, elle aussi, en garde contre les pratiques démagogiques qui pourraient influencer indûment les décisions des citoyens. Dans la foulée, elle rappelle que la législation mauricienne interdit strictement toute forme d’incitation financière durant les campagnes électorales. Cela comprend notamment la distribution de biens ou de services gratuits visant à influencer les votes. Dans les cas extrêmes, les citoyens et les organisations peuvent solliciter la Commission électorale pour examiner les pratiques qui pourraient constituer un abus de pouvoir.

Quel est l’impact des promesses de gratuité, comme le transport public ou l’Internet gratuit, sur les électeurs ? Difficile à dire, répond l’avocat. « Cela dépend de la conscience populaire, de l’histoire personnelle de l’électeur et de sa capacité à changer d’allégeance politique en fonction de gains matériels. Les politiciens misent sur l’hypothèse que certains électeurs peuvent être influencés par ces mesures. Même si leur impact est incertain, ces promesses peuvent rapporter des voix, car à Maurice, les élections peuvent être remportées par une petite marge », fait-il ressortir. Pour lui, « avec la surenchère actuelle, il est important de distinguer entre l’initiateur d’une promesse et celui qui, par réaction, se sent obligé de proposer à son tour quelque chose pour assurer un ‘terrain de jeu égal’ ».

Dans ce contexte, quels recours s’offrent à un électeur ou à une organisation estimant que certaines promesses de campagne constituent un abus de pouvoir ou de position dominante ? Sur le plan légal, il n’existe pas de législation suffisante pour poursuivre un parti politique qui abuserait de son pouvoir en faisant des promesses électorales, précise Me Kris Valaydon : « Il n’y a pratiquement pas de garde-fous pour protéger la société contre ces abus. » Et d’ajouter : « Aucune sanction n’est prévue. Même si les promesses électorales paraissent fallacieuses aux yeux du public, elles sont difficilement contestables. »

Ainsi, pour lui, la loi est inefficace, car même si des promesses non conformes sont faites peu avant une élection, il n’existe aucun moyen de les interdire. Bien qu’il existe des procédures pour contester une élection, voire l’invalider, cela n’intervient qu’après les résultats et, parfois, plusieurs années plus tard, précise Me Kris Valaydon.

Le vote reste donc le recours le plus direct, permettant à l’électeur d’exprimer son opinion sur les promesses faites en toute confidentialité. Cependant, prévient-il, il n’existe aucune obligation pour un parti de tenir ses promesses. En droit, une promesse électorale est perçue comme « une simple déclaration d’intention non contraignante pour tout gouvernement futur », principe énoncé dans le cas de Suren Dayal devant le Privy Council.

Ce que confirme l’avocate Gayle Yerriah : « Les engagements pris lors des campagnes ne sont pas forcément liés à des obligations légales. Ils peuvent donc ne pas être respectés, une fois les politiciens au pouvoir. »

Me Gayle Yerriah s’appesantit sur l’importance de la transparence et de la faisabilité des promesses sur le plan éthique. « Des engagements irréalistes risquent de tromper les électeurs et de saper la confiance dans le processus démocratique », avertit-elle.

Des promesses telles que la gratuité du transport et de l’accès à Internet, la réduction de la TVA ou l’augmentation des pensions peuvent paraître séduisantes, concède-t-elle. Cependant, si elles ne sont pas fondées sur une planification budgétaire réaliste, elles risquent de provoquer une déception profonde. L’avocate rappelle qu’une promesse mal formulée ou irréalisable peut être perçue comme une forme de manipulation électorale.

Si ces initiatives entraînent des dépenses publiques substantielles, l’administration devra justifier leur viabilité financière pour éviter tout déséquilibre budgétaire. « Il est crucial de prouver que ces mesures ne compromettent pas la stabilité économique du pays », soutient-elle.

En revanche, si des promesses entraînant des dépenses publiques sont jugées non conformes, l’Audit Office, par exemple, peut être sollicité pour évaluer leur pertinence financière. En cas d’abus manifeste, les cours de justice peuvent intervenir en rendant des décisions sur la légalité de certaines activités de campagne, particulièrement si elles contreviennent aux principes d’équité et de transparence.

En l’absence de lois contraignant un parti à honorer ses promesses, la principale conséquence demeure politique. Les électeurs peuvent manifester leur désaccord aux urnes lors des prochaines élections. Par ailleurs, la vigilance citoyenne et les rapports des observateurs électoraux jouent un rôle crucial pour relever les irrégularités potentielles et pour favoriser des réformes afin d’améliorer l’intégrité du processus électoral.

Pour Me Gayle Yerriah, il est essentiel que les citoyens soient sensibilisés aux risques des promesses électorales irréalistes. « Les associations de la société civile ont un rôle à jouer pour éduquer les électeurs », déclare-t-elle, en insistant sur l’importance d’un examen critique des programmes proposés par les candidats.

 

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