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Sur le fond : Et si nous étions tous responsables ?

QUATRES MEURTRES en une semaine.  Une interview explosive d'un syndicaliste sur les dessous de l'université de Maurice dans l'express-samedi.  Et, pour couronner le tout, M6 va nous assommer ce lundi devant des millions de téléspectateurs francophones à travers le monde.  La chaine française se propose, en effet, dans le cadre de son émission Enquête Exclusive, de dévoiler l'envers du décor du miracle mauricien ; 50 000 drogués, pauvreté et bidonvilles, trafics en tous genres.  Comme sur un air de « Something is rotten in the kingdom of Danemark ».

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Parlez avec les diplomates, les chefs d'entreprise, les professionnels, mais surtout avec l'homme de la rue, ils mettront le doigt dans la plaie : l'ingérence politique et ses corollaires, le communalisme et la corruption, sont en train de pourrir ce pays.  Pire, ce n'est même plus une question de régime.  Ces maux s'incrustent dans toutes les cellules de notre société.  Ils s'institutionnalisent.  Ils deviennent notre culture.  Ils seront bientôt la norme.  Un cynique dirait qu'il sera politiquement incorrect, demain, de ne pas être communaliste et corrompu.

Le poisson, dit l'adage, commence à pourrir par la tête.  Le corps finit ensuite par être gangréné. C'est ainsi qu'à l'échelle d'un pays, on finit par générer une nation de « triangeurs », Que Faire ?  Il ne sert à rien de diagnostiquer les problèmes, si on ne donne pas l'exemple.  Le maitre-mot, on le connait, il s'appelle Responsabilité.  Mais qui s'en soucie ?

Il est facile, des fois, de ne pointer du doigt que les politiciens, à plus forte raison ceux qui sont au pouvoir.  Ils ont leur part de responsabilité lorsqu'ils se prennent pour l'État, alors qu'ils n'en sont que les serviteurs.  Lorsqu'ils feignent d'ignorer ce que devrait être un État de droit, avec sa structure de séparation de pouvoir soutenue par des institutions indépendantes censées assurer le jeu démocratique.  Lorsqu'ils feignent d'ignorer le contrat social qui les lie aux citoyens, les vrais souverains, en fait.

Cette semaine encore, un de nos grands capitaines d'industrie relevait, dans le cadre d'un atelier de travail sur la bonne gouvernance, comment les autorités trainent les pieds alors qu'il s'agit d'introduire un code de « good corporate governance » dans les institutions paraétatiques.  C'est bien d'adopter des législations contraignantes par rapport au secteur privé.  Mais ne fait-il pas commencer par ces institutions qui gaspillent, pardon, gèrent, l'argent du bon public ?  Ce capitaine d'industrie respecté explique comment il a approché des politiques pour leur faire comprendre qu'il n'avait aucun problème s'ils voulaient mettre leur « dimounes » en place, mais au moins que les responsables (chairman et directeurs exécutifs) soient des gens qualifiés et intègres qui puissent encadrer les autres (colleurs d’affiches ?).  Un code de bonne gouvernance avec force de loi aiderait en premier lieu les décideurs politiques à gérer leurs nominés.  Mais encore faut-il avoir la volonté politique nécessaire.  Et c'est là où la responsabilité de nos dirigeants est engagée.

Il faut dire que, pour faire bonne mesure, ce capitaine d’industrie également parle des manquements du secteur prive qui risque de les payer très cher face à la compétition internationale.  En effet, fini le « rent seeking » et le monopole insulaire dans un monde où la compétition tant interne qu’externe s’exerce à travers la compétence, la créativité et l’inventivité, et où la « disruptive technologies » font que des start-ups peuvent tourner en bourriques les grosses boites qui se croient établies.  Cela ne dispense pas pour autant ceux qui détiennent les leviers des hauteurs dominantes de l’économie de leur responsabilité sociale.  À cet égard, l’on ne comprend toujours pas pourquoi le secteur sucrier tarde à livrer les 2000 arpents de terres marginales promis, dont la moitie est destinée à construire des logements sociaux pour les gens les plus vulnérables de notre société.  Alors que ce même secteur sucrier ne se prive pas de morceler des milliers d’autres arpents de terre qu’il vend à tour de bras ou sur lesquels il érige shopping malls et villas IRS.  Le secteur sucrier se fait-il prier parce qu’il estime que le gouvernement est affaibli après la cassure ?  Où est sa responsabilité sociale vis-à-vis des couches démunies du pays qui s’attendent à recevoir ne serait-ce que les miettes du festin foncier ?

Venons-en à nos professionnels et autres bien-pensants qui, par peur, par intérêt ou par lâcheté, se taisent, où est leur responsabilité lorsqu’ils sont en charge d'une institution, publique ou privée, mais se font plat-centristes devant les inférences et les passe-droits ? L’Italie célèbre un nouveau héros national, cette semaine, en la personne du chef des garde-côtes de Livourne, qui a sommé la capitaine du Costa Concordia de regagner son navire naufragé, qu’il avait abandonné, sous peine d’être arrêté.  Où sont nos Gregorio de Falco ?  C’est vrai que nous avons un Balancy dans le judicaire, un Juggernauth a la tête de l’audit, des Navacelle et Tim Taylor dans le prive, un Bizlall, un Peerally et un Ah-Yan dans la société civile aujourd’hui, des (Momo) Bunwaree a l’Université.  Hélas, leurs voix ne sont que des échos dans le désert. Il nous faut d’autres indignés, beaucoup d’autres, pour faire comprendre à nos acteurs politiques que la priorité de ce pays n’est pas qui sera le prochain président et avec quels pouvoirs.  On s’en fout comme de notre dernière chaussette sale. Il y a d’autres urgences socioéconomiques à gérer.

Encore faut-il que le citoyen lui-même ait une éthique.  À titre d’exemple, les lois ou les règles ne peuvent contraindre l’enseignement à se comporter davantage en formateur de jeunes esprits qu’en commerçant de l’éducation à travers le business des leçons particulières.  C’est une question de vocation, de conviction et de devoir.  Est-ce parce que son chef est corrompu que le petit fonctionnaire u le travailleur du secteur privé doit « trianguer » ? comme on pourrait le dire en kreol : « Acoze li mange c…, ou aussi ou mange c… ? »  Où est son intégrité et sa morale dans cette société qui croule sous les enseignements des religions et des sociétés socioculturelles ? La responsabilité, telle qu’on le conçoit, est d’abord d’ordre individuel.  Sinon, quelle crédibilité aurons-nous face aux corrompus si, nous-mêmes, nous avons une mentalité de « rodeur boutte » ? C’est vrai que le système a tendance à déshumaniser, voire pervertie ceux animés de meilleures volontés. 

Mais la responsabilité de garder intactes notre intégrité et notre faculté d’indignation est la nôtre.  Nous ne pouvons pas, individuellement et collectivement, fuir devant cette responsabilité-là.  À ce stade, nous sommes encore responsables. Ne devenons pas tous coupables devant le pays de nos enfants !

 

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