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Sunil Dowlat : une vie sur l’eau

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À 68 ans, Sunil Dowlat ne possède ni adresse postale ni boîte aux lettres. Son foyer, c’est l’horizon. Depuis plus d’un demi-siècle, il vit pour la mer, sur la mer, avec la mer. Navigateur, autodidacte, rêveur infatigable, il a transformé son yacht en maison, défiant tempêtes et conventions. Voici l’histoire d’un homme qui n’a jamais largué les amarres de sa passion.

Suni Dowlat a transformé son yacht  en maison,
Suni Dowlat a transformé son yacht  en maison, 

Calodyne. Le vent souffle doucement, les vagues viennent embrasser la coque d’un bateau qui a l’allure d’un vieux compagnon. À bord, un homme à la barbe grisonnante, au regard allumé par l’iode et les années, nous accueille comme s’il recevait dans un salon. Ici, pas de murs, pas de cloisons. Juste le ciel, l’eau et une vie entière de liberté flottante. Sunil Dowlat, 68 ans, vit sur son yacht comme d’autres habitent une maison de banlieue.

« Je dors avec les vagues. Elles me bercent comme une mère berce son enfant », dit-il en souriant, assis à la proue de son Searey 42 de 1989, une embarcation qu’il connaît dans ses moindres recoins. Depuis plus de cinquante ans, la mer est son seul véritable domicile. Avant ce yacht, il y eut un catamaran. Avant, un autre bateau encore. Toujours plus d’espace, toujours plus de liberté. « La terre est belle, mais elle ne respire pas comme la mer. Moi, j’ai besoin de respirer l’air marin, c’est mon oxygène. »

Une vie sans ancrage, mais pleine de repères

Aujourd’hui, Sunil est broker international. Il organise des expéditions, des croisières, il conseille, il vend. Mais il ne possède ni bureau ni villa de luxe. Son bureau, c’est la cabine de son yacht. Son fauteuil, la rambarde arrière. Son frigo est plein, son four fonctionne grâce à un générateur, son micro-ondes aussi. Quand il est au quai, il branche l’électricité grâce à un transformateur. Il a même un petit climatiseur pour les nuits étouffantes. « Je vis comme tout le monde, mais avec les étoiles en plus. »

Célibataire, père de trois enfants – deux filles et un garçon – et grand-père de trois petits-enfants, il dit que la mer lui a appris à être patient, à écouter, à sentir les choses avant qu’elles ne se produisent. Il n’a pas peur de la solitude. « Quand tu es seul sur un bateau, tu es avec toi-même. Tu apprends à te connaître. La terre est pleine de bruit, ici, j’entends mon cœur. »

Un homme libre, tout simplement

Sunil Dowlat n’est ni un excentrique ni un marginal. C’est un homme libre, dans le sens le plus pur du terme. Il a choisi une autre voie, celle des courants marins, des ciels changeants, des silences profonds. Il a prouvé qu’il n’est pas nécessaire d’avoir fait de longues études pour réussir sa vie, mais plutôt de croire en quelque chose plus fort que soi.

Son yacht, aujourd’hui, est bien plus qu’un moyen de transport. C’est un sanctuaire. Un témoignage vivant d’un rêve réalisé, jour après jour, vague après vague.

Les cyclones et la peur au ventre

Mais la mer n’est pas toujours douce. Il se souvient encore du cyclone Gervaise comme si c’était hier. Il était alors sur un catamaran. « Le bateau a failli chavirer. J’étais seul à bord. Toute la nuit, je suis resté assis dans un coin, éveillé, priant que la coque tienne. J’ai eu très peur. Mais une petite voix me disait : la mer ne te prendra pas. Tu as encore des aventures à vivre. »

À chaque cyclone, il prend une décision. Parfois, il reste au large, parfois il navigue jusqu’au Caudan, où les quais lui offrent un abri temporaire. Il ne se considère pas comme un téméraire, mais comme un amoureux fidèle. « La mer, c’est comme une compagne exigeante. Elle peut te faire souffrir, mais elle ne trahit jamais. »

Un rêve né dans les rues de Port-Louis

L’histoire de Sunil Dowlat commence pourtant très loin des ports de plaisance. Il a vendu dans les rues animées de Port-Louis des bonbons pour quelques sous, qu’il économisait avec l’idée fixe de s’acheter son premier bateau. Il avait 18 ans. Pas de diplôme au-delà du Certificate of Primary Education, mais une passion féroce, indomptable, pour tout ce qui flotte et fend les vagues. « Les autres allaient au cinéma, moi j’allais voir les bateaux. C’est tout ce qui comptait. »

À une époque quand la mer était réservée à quelques privilégiés, lui, fils du peuple, s’est fait une place à force de détermination. Il achète, retape, revend, rachète d’autres embarcations. Très vite, il devient un nom dans le petit monde nautique mauricien. Il est à la fois marchand, marin, mécanicien, navigateur. Il apprend tout, seul. Par l’observation, avec de l’intuition et à travers ses erreurs.

Des voyages comme des chapitres de vie

Au fil des années, Sunil a sillonné tout l’océan Indien. De Cape Town à Madagascar, en passant par La Réunion, les Comores, les Seychelles, chaque voyage est une histoire. Il ne voyage pas pour fuir, mais pour rencontrer, découvrir, se retrouver. Il raconte ses traversées comme on lit un roman d’aventures. Il parle des nuits noires pendant lesquelles le ciel se fond dans la mer, des levers de soleil qui font comprendre qu’ils sont la beauté brute du monde.

La navigation à la voile fut longtemps sa passion. Aujourd’hui, l’âge lui impose une nouvelle prudence, mais il continue, encore et toujours, à rêver de nouveaux caps. « Je ne veux pas finir ma vie entre quatre murs. Je veux qu’on me retrouve sur mon bateau, un jour, peut-être endormi à jamais, mais heureux. »

Épilogue marin

Tandis que le soleil descend lentement sur l’horizon à Calodyne, il remonte sur le pont de son yacht. Il regarde l’eau, comme on regarde un miroir fidèle. Il sait qu’il a vécu. Il sait qu’il vit encore. Il n’a pas d’adresse, mais il a un cap. Il n’a pas de maison, mais il a un foyer. Il n’a pas cherché à posséder, mais à appartenir à la mer, à lui-même, au souffle du vent. Et peut-être est-ce cela, finalement, la vraie richesse : pouvoir dire, à 68 ans, qu’on dort bercé par sa passion.

 

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