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Sunil Dowarkasing, consultant en développement durable : «La barge sera une source continue de pollution»

Figure engagée de la cause environnementale, Sunil Dowarkasing, consultant en développement durable, déplore l'absence de vision stratégique du CEB, qu’il accuse de naviguer à vue et de s’être effacé au profit des IPP. 

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Le gouvernement a choisi de se tourner vers une barge énergétique et avance que c’est un mal nécessaire. Serait-ce le cas ? 
Le gouvernement justifie le recours à une barge énergétique en la qualifiant de "mal nécessaire". Vraiment ? On peut légitimement s’interroger : ne s’agit-il pas plutôt du symptôme d’un profond déficit de vision stratégique ? Depuis l’expiration de l’Integrated Electricity Plan 2013-2022, le CEB navigue à vue, sans cap clair. Pourtant, Maurice — dotée d’un fort potentiel en énergie solaire, avec en moyenne 280 jours de soleil par an — aurait dû depuis longtemps amorcer une transition résolue vers les énergies renouvelables. 

Cette barge n’est pas sans causer des pollutions, car elle roule avec du fioul lourd et sera à quelques mètres de nos côtes. Réactions ? 
Le choix de cette barge, au-delà de son coût financier élevé, constitue une menace sérieuse pour nos engagements climatiques. Elle symbolise un recul inquiétant dans notre trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Durant toute sa présence à Maurice, cette barge sera une source continue de pollution — émettant non seulement du dioxyde de carbone, mais aussi des polluants atmosphériques particulièrement nocifs, tels que le dioxyde de soufre, les oxydes d’azote, ainsi que les particules fines (PM2.5), connues pour leurs effets graves sur la santé humaine et l’environnement. 

Il est un fait que les Independent Power Producers (IPP) ont fait plus que leur temps. La production de l’énergie ne serait-elle plus rentable pour ces centrales privées ? 
Non. Les IPP produisent environ 60 % de notre électricité, et ceci à travers le charbon, sous des contrats en béton et dans l'obscurité totale. C’est en 1997, sur la base d’un modèle promu par la Banque mondiale, que Maurice s’est engagée dans une démarche visant à transférer la production d’électricité du secteur public vers le secteur privé, à travers le mécanisme des producteurs indépendants d’électricité (IPP). Un faux-pas énorme, selon moi. Dans ce cadre, le gouvernement a conclu des contrats à long terme (PPA) — généralement d’une durée de 15 à 20 ans — engageant l’État à acheter l’électricité produite par les IPP pour l’injecter dans le réseau national. Ainsi, le CEB a été progressivement relégué au second plan au profit des opérateurs privés, avec la signature du tout premier PPA dès 1997. 

La politique énergétique aurait dû être planifiée plusieurs années à l'avance. Pourquoi cette absence de prévision de la part des gouvernants ? 
Depuis l’expiration de l’Integrated Electricity Plan 2013-2022, le CEB semble avancer à l’aveuglette, sans orientation stratégique claire, alors même que Maurice aurait dû depuis longtemps s’engager de manière déterminée dans une transition énergétique fondée sur les énergies renouvelables décentralisées. Aujourd’hui, le CEB n’exerce pratiquement plus aucun  contrôle sur la production énergétique assurée par les grands IPP. Plutôt que de réorienter la politique énergétique vers une plus grande démocratisation — en intégrant davantage de petits IPP, de coopératives ou d’acteurs communautaires — les autorités semblent s’enfermer dans une posture attentiste, voire complaisante. Tout porte à croire qu’il s’agit davantage de protéger les parts de marché des IPP historiques que de répondre aux impératifs d’équité, de durabilité et de souveraineté énergétique. Dès lors, une question légitime se pose : assiste-t-on à une forme de collusion tacite entre certains décideurs et les intérêts privés dominants ? 

Le pays compte louer une barge et le ministre de tutelle avance que c’est un mal nécessaire, mais à quels coûts ? 
Il n’y a pas que le coût financier, mais il faut aussi compter avec les désastres écologiques énormes avec ce type de projets. Il y a la pollution thermique causée par le rejet d’eaux de refroidissement à haute température. Il y a des risques accrus de fuites ou de déversements accidentels de carburant dans le lagon. Il y a le rejet d’eaux de cale, souvent chargées d’hydrocarbures, de produits chimiques et d'autres polluants, qui constituent une menace directe pour la biodiversité marine. Le mouillage de barges de grande taille peut endommager des habitats fragiles comme les récifs coralliens. 

On a noté des délestages fréquents, serions-nous dans la même position que l’Afrique du Sud, à chacun son tour d’être approvisionnés en électricité ? 
Il est encore temps d’éviter le pire — à condition de prendre le taureau par les cornes dès maintenant. Plutôt que de gaspiller des ressources dans des solutions dépassées et polluantes, pourquoi ne pas orienter une partie des fonds issus du “Chagos Deal” vers un véritable virage stratégique ? Cet argent pourrait servir à bâtir un réseau énergétique décentralisé, fondé sur les énergies renouvelables, en particulier le solaire. En dotant les ménages, les entreprises et les collectivités de systèmes solaires autonomes associés à des compteurs intelligents (smart meters), nous pourrions amorcer une transition vers une production énergétique plus démocratique, résiliente et durable. C’est ainsi que l’on poserait les fondations d’une souveraineté énergétique nationale, tout en respectant nos engagements climatiques et en offrant à chaque citoyen l’opportunité de devenir un acteur de la transition.

 

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