Suite à la démission de Gilbert Gnany : inquiétudes autour de l’indépendance de Statistics Mauritius

La démission de Gilbert Gnany comme Chairman de Statistics Mauritius est diversement commentée. Elle témoignerait, pour beaucoup, d’une crise au sein des institution perçues comme indépendantes. 

L’indépendance et l’intégrité de Statistics Mauritius sont-elles menacées ? Au lendemain de la démission de Gilbert Gnany de la présidence de Statistics Mauritius, les commentaires autour de la crédibilité de ce département, tombant sous la tutelle du ministère des Finances, fusent de toutes parts. En effet, que ce soit dans le milieu politique, dans celui des affaires ou parmi les économistes, on se dit « curieux » de savoir comment cette démission sera accueillie par la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international (FMI). Elles qui se sont montrées très critiques quant à la gestion économique du pays, ces derniers mois.

Selon l’économiste Pierre Dinan, les chiffres publiés par Statistics Mauritius n’ont jamais été remis en question par les institutions financières internationales. « Contrairement à d’autres pays, les chiffres officiels émis à Maurice, c’est-à-dire par Statistics Mauritius, n’ont jamais été critiqués par le FMI, par exemple. Cela démontre donc le sérieux de ce département», fait savoir l’économiste. Pierre Dinan est également d’avis que le silence de Gilbert Gnany autour de sa démission est très parlant. « Il est clair que le silence du démissionnaire laisse place à beaucoup d’interrogations », avance-t-il.
Le leader de l’opposition et aussi ancien ministre des Finances, Xavier-Luc Duval, qui a par le passé nommé Gilbert Gnany chez Statistics Mauritius, soutient que « la situation au sein de ce département illustre parfaitement la crise qui règne au niveau de nos institutions. Selon mes renseignements, Statistics Mauritius avait, dans un premier temps, calculé une croissance de 3,5 % pour 2021. Suite à diverses pressions et des représentations, ils ont finalement calculé une croissance de 4,4 % qui a d’ailleurs été publiée », fait-il savoir.

La dernière évaluation publiée deux jours après par Statistics Mauritius, annonçant cette fois-ci une croissance de 5,4 %, témoigne, toujours selon Xavier-Luc Duval, « de la pression subie par le gouvernement ». « Il y a actuellement un grand malaise parmi les employés de Statistics Mauritius. Beaucoup d’entre eux ont refusé d’être associés avec ces dernières prévisions », dit-il. Le leader de l’opposition dit finalement « attendre le pire » concernant « la réaction des institutions internationales qui tiennent déjà Maurice dans leur ligne de mire ».

Selon l’opposition, cette démission serait intervenue à la suite de cette révision du taux de croissance. Mais, le principal concerné, Gilbert Gnany, se garde de commenter son départ. Malgré de multiples appels depuis dimanche dernier, celui qui occupe également le poste de Chief Strategy Officer and Executive Director au sein du groupe MCB, est resté injoignable.

Perte en crédibilité

Suttyhudeo Tengur, président de l’Association pour la Protection de l’Environnement et des Consommateurs (Apec), salue, pour sa part, cette démission. « Il faut féliciter Gilbert Gnany qui a eu le courage de démissionner, car le travail de Statistics Mauritius ne reflète plus la réalité, dit-il, C’est un signal fort qu’il a envoyé. Ce départ veut également dire que l’institution est en train de perdre en crédibilité et tend à montrer qu’on ne peut lui faire pleinement confiance ».

Selon lui, un exemple qui illustre bien le problème : le panier de la ménagère, dont le prix est calculé par Statistics Mauritius. « Quand on voit ce que le Mauricien débourse quand il fait ses courses et le coût du panier de la ménagère, on constate que cela ne reflète pas la réalité », ajoute Suttyhudeo Tengur.
Samedi, Paul Bérenger, leader du MMM, avait, lui aussi, commenté le changement de cap de Statistics Mauritius. Alors que le lundi 1er juillet, elle prévoyait une croissance de 4,4 % du Produit Intérieur Brut de Maurice pour l’année calendaire 2021, deux jours plus tard, elle l’a estimée à 5,4 %. 

Quant aux arrivées touristiques, Statistics Mauritius avait d’abord prédit 160 000 d’ici décembre pour avancer un chiffre de 325 000 mercredi. À noter que le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, avait, dans son discours du Budget, le 11 juin 2021, prédit 650 000 touristes d’ici fin juin 2022. À noter aussi que fin décembre correspond à la moitié de l’année financière et que le nouveau chiffre de Statistics Mauritius correspond à exactement la moitié de 650 000.

« Jusqu’à présent, Statistics Mauritius était parmi les rares institutions publiques qui avaient gardé toute leur crédibilité et indépendance. Ce qui vient d’arriver est sans précédent, choquant et dangereux. Il est clair et nous avons des renseignements que c’est suite à la pression du gouvernement et, plus particulièrement du ministère des Finances, que cela a eu lieu », devait affirmer Paul Bérenger.

Au niveau de Statistics Mauritius, le vœu est de respecter la longue tradition qui est de ne pas s’exprimer publiquement. Mais, précise-t-elle, sa mission, qui est de « procurer des statistiques cohérentes, au moment opportun, et pertinentes, respectant les standards et principes internationaux, pour permettre des prises de décisions politiques et effectives, et pour suivre le processus de développement national », est plus que jamais d’actualité.

Mais, est-ce que la pandémie peut être pour quelque chose dans le dernier cafouillage ? Dans le rapport 2019/20, déposé fin mars dernier, la directrice de l’agence, Li Fa Cheung Kai Suet, fait ressortir qu’en raison du confinement, « la plupart de nos données administratives n’étaient pas disponibles, alors que nos études ont dû être stoppées, redessinées ou reportées. Le 2020 Survey of Visitors qui ciblait les touristes a été arrêté ».

Institution tombant sous le ministère des Finances, Statistics Mauritius est supposée calculer ses chiffres et données de manière objective et indépendante, car ce sont ses chiffres qui sont pris en compte par les économistes, chercheurs, banques et institutions internationales. Et pour ce travail, elle compte 223 employés, dont environ 45 Statistician Cadres et 110 Statistical Officer Cadres.
Patrick Hilbert/Thierry Laurent