Nos différents interlocuteurs sont catégoriques : le trafic humain existe bel et bien à Maurice. Ce qui correspond au constat du rapport du Département d’État américain rendu public la semaine dernière.
«Le trafic humain existe bel et bien à Maurice. L’exploitation des travailleurs migrants se produit quotidiennement. Il est regrettable que les statistiques sur les sites gouvernementaux ne reflètent pas la réalité », affirme Me Bhavish Budhoo, directeur de l’organisation non-gouvernementale (ONG) Dis-Moi. L’avocat est également responsable de la commission des travailleurs migrants au sein de cette instance qui milite pour les droits humains. « Nous recevons de nombreuses plaintes de ces travailleurs étrangers, et la liste est exhaustive », ajoute-t-il.
Il espère vivement que les autorités, par fierté nationale, prendront les mesures nécessaires pour que Maurice soit mieux classé dans le prochain rapport du Département d’État américain l’année prochaine. Le pays figure actuellement sur la liste de surveillance de niveau deux, ce qui signifie que le gouvernement mauricien ne respecte pas pleinement les normes minimales pour l’élimination de la traite, selon le rapport. Cependant, le département américain reconnaît les efforts déployés par le pays, ce qui est souligné par Anoushka Virasawmy, directrice de Gender Links et membre du Kolektif Drwa Imin (KDI).
Selon elle, il n’y a pas de vide juridique. Les autorités ont pris une série de mesures pour prévenir la traite des êtres humains et assurer la protection des travailleurs migrants. Elle cite notamment le Combating of Trafficking in Persons Act de 2009 pour prévenir et réprimer la traite des êtres humains, ainsi que la Criminal Act et l’Employment Rights Act.
Cependant, elle reconnaît un manque de connaissance quant à l’existence de ces lois et espère des campagnes de sensibilisation à ce sujet, car de nombreux cas de non-respect des droits humains sont monnaie courante et les chiffres disponibles ne reflètent pas la réalité. Parmi ces cas, on compte l’exploitation sexuelle, le trafic d’organes et le trafic d’enfants. Ce sont des réalités qui existent, mais dont on ne parle pas suffisamment, explique-t-elle. « Toute personne témoin de ces cas devrait les dénoncer », souligne Anoushka Virasawmy. Elle déplore également le manque d’application effective des lois existantes et les délais trop longs des enquêtes, ce qui met les victimes en danger en attendant les résultats.
Les syndicalistes Reaz Chuttoo de la Confédération des Travailleurs des Secteurs Privé et Public (CTSP) et Faizal Ally Beegun sont cependant plus critiques quant à la situation qui prévaut à Maurice. Ils notent que depuis une trentaine d’années, la situation des travailleurs migrants n’a pas changé à Maurice. Ce, malgré toutes les critiques des instances internationales.
Reaz Chuttoo fait remarquer qu’en raison de leur situation de vulnérabilité, les travailleurs migrants sont souvent exploités et sujets au trafic humain, car les lois ne les protègent pas suffisamment. Ceux qui osent protester sont rapidement expulsés sans aucune forme de procès ou moyen de se défendre. Selon lui, le ministère du Travail ne peut même pas intervenir et ne fait qu’agir en tant que facilitateur.
Il souligne qu’il y a un lobby du secteur privé en faveur de l’implémentation d’une réglementation pour les travailleurs migrants. « Je déclencherai une grève de la faim si elle est appliquée », prévient Reaz Chuttoo. Selon lui, cela ne protégera pas les travailleurs migrants, car il y aura une loi différente pour ces employés. « Le ministère du Travail a apposé son veto à ce règlement, mais jusqu’à quand ? » se demande-t-il.
Le syndicaliste Faizal Ally Beegun déplore lui aussi que Maurice soit épinglé chaque année pour son manque de rigueur dans la prévention de l’exploitation et du trafic humain des travailleurs migrants, qui sont parfois vendus à d’autres entreprises si elles ne sont pas satisfaites du travail obtenu. Il dénonce également le rôle joué par les agents recruteurs qui menacent souvent les travailleurs d’expulsion en cas de révolte. « Le Département d’État américain continuera de critiquer le pays si rien n’est fait pour protéger suffisamment les travailleurs migrants », lance Faizal Ally Beegun.
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