Subiraj Sok Appadu : «Les prévisions de la météo laissent vraiment à désirer»

Pour Subiraj Sok Appadu, ancien directeur de la station météorologique de Vacoas, les outils technologiques peuvent facilement donner des prévisions fiables à 95%. Il ne faut donc pas se cacher derrière l’argument que la météo n’est pas une science exacte, selon lui.

Vous avez quitté la station météorologique de Vacoas depuis 2007. Quel regard portez-vous sur ce service depuis votre retraite en tenant en ligne de compte l’évolution même du temps à Maurice ?
Permettez-moi d’abord de retracer l’évolution de la météorologie dans le monde ainsi qu’à Maurice. L’arrivée du satellite dans l’atmosphère dans les années 60 a permis de mettre en place une plateforme d’observation extraordinaire. Aujourd’hui, en 2023, les images que nous obtenons à partir du satellite sont presque parfaites. Le satellite ne fait pas que produire des images, mais nous donne des indications très précises au niveau de la température, du vent ainsi que d’autres éléments météorologiques. L’avancée satellitaire a certes nécessité une période de rodage pour véritablement maîtriser son utilisation car il fallait savoir maîtriser le calibrage de ces images. Je dois dire qu’au niveau de Maurice, nous avons, lors de ces 20 dernières années, su avoir la maîtrise des données satellitaires qui sont fiables à 95 %. Les données satellitaires peuvent aujourd’hui donner des indications fiables pour n’importe quelle région du pays. En 2023, avec tout ce que la station météo a pu acquérir en termes de connaissances et d’équipements, nous ne pouvons plus nous permettre de dire que la météo n’est pas une science exacte. Ceux qui persistent à dire que la météo n’est pas une science exacte sont encore en train de penser comme dans les années 70. En sus, même si une station météo éprouve des difficultés à obtenir de bonnes informations pour je ne sais quelle raison, elle peut aussi faire appel à l’Organisation mondiale de la météorologie et peut, en un rien de temps, obtenir des prévisions pour 24 heures et qui sont fiables à 95 %.

La station météorologique de Vacoas s’attire tout le temps les critiques du public. Certains sont mêmes d’avis que c’est une des institutions les moins fiables du pays. Ces critiques sont-elles justifiées ou alors la météo fait face à des procès injustes ?
La station météo de Vacoas fait partie d’une des stations les plus modernes de la région de l’océan Indien aussi bien qu’en Afrique. La météo avait en 2010, obtenu plusieurs équipements et instruments de communication extraordinaires et c’est de cette manière que nous sommes devenus à la pointe des dernières avancées météorologiques. Ces équipements nous avaient d’ailleurs permis de faire de bonnes prévisions et ainsi bien gérer le cyclone Dina où des prévisions très fiables avaient été communiquées aux membres du public. Pour répondre à votre question sur les critiques qui s’abattent sur la station météorologique, je pense que c’est au directeur lui-même de venir s’expliquer. La station météo ne s’est pourtant jamais retrouvée dans une situation où elle était ‘outdated’ sauf vers 1977, où on devait souvent utiliser un vieux radar jusqu’à 2003, mais là encore, les techniciens parvenaient à réajuster ce radar.

Et quelle observation faites-vous concernant la fiabilité des prévisions de la station de Vacoas ?
Bien que la météo nous a généralement donné de bonnes prévisions, c’est aussi évident que ses prévisions ont commencé à comprendre des manquements lorsque Maurice a dû faire face à des situations climatiques extrêmes comme les sècheresses et les inondations. Il faut reconnaître que la météo avait, dans son rapport publié au mois d’octobre, prévu des périodes de sècheresse pour la fin de l’année, alors qu’un autre rapport publié au mois de décembre avait annoncé de la pluie pour les troisième et quatrième semaines du mois de janvier. Mais pour moi c’est au niveau du ‘day-to-day forecast’ qu’il semble y avoir un problème. Je ne suis vraiment pas au courant de ce qui se passe là-bas, mais les prévisions de la météo laissent vraiment à désirer.

Un des reproches fait à la station météorologiques, c’est d’adopter une approche trop scientifique dans ses prévisions sans tenir en compte l’aspect humain et logique. Il n’y a, par exemple, pas eu de grosses pluies mercredi. Pourtant, il y avait eu avis de fortes pluies. Toutefois, la veille, le temps était beaucoup mauvais et pas la moindre alerte. Comment l’expliquez-vous ?
Ce n’est pas pour rien que je dis que les prévisions au jour le jour laissent à désirer. C’est quelque chose que je n’arrive pas à comprendre car je sais que la station de Vacoas dispose d’importants moyens.

Faut-il donner de la formation aux ressources humaines, car le personnel n’est pas en mesure de faire de bonnes interprétations ou alors est-ce que les employés sont en train d’être dépassés face à  la quantité d’informations qui leur arrivent au point de ne plus savoir quoi faire avec les données météorologiques ? Avec la quantité de ressources météorologiques qui sont à portée de main, notamment sur Internet, tout le monde peut aujourd’hui faire de bonnes prévisions et paradoxalement, ce sont les prévisionnistes de Vacoas qui sont devenus de simples observateurs lambda.

La station météo de Vacoas a tout récemment opéré des modifications par rapport à son système d’alerte et notamment introduit les ‘veilles de pluie’. Quelle est votre appréciation ?
Je suis d’accord qu’il faut toujours avoir du changement surtout si cela consistera à apporter un plus. Mais cela ne vaut pas la peine d’apporter un changement pour rien. L’alerte de pluies torrentielles entrait en vigueur si le système, qui était en opération, prévoyait 100 millimètres de pluies dans cinq à six différentes régions du pays. Je vois qu’un système de veille de pluie a été introduit et pour tout vous dire, je ne sais vraiment pas ce que c’est. Toutes les stations météorologiques doivent mesurer les éléments du temps comme la pression atmosphérique par exemple, car c’est notre travail. Me kifer bizin fer dimounn vey lapli ?

Bien que Maurice dispose d’un radar dernier cri, force est de constater que les prévisions météorologiques ne reflètent toujours pas la réalité. Où se situe le problème par rapport à l’utilisation de ce radar ?
Le radar que nous a donné le gouvernement japonais est un équipement neuf qui a un potentiel extraordinaire. Beaucoup de pays ne peuvent se vanter d’avoir un radar d’une telle puissance. Cependant, lorsque j’observe les images produites par ce radar, je ne peux que constater qu’il est en train d’être mal utilisé. Il est capable de fournir des données météorologiques très fiables et c’est vraiment dommage que personne n’arrive à tirer le maximum du potentiel de ce radar.

Avec l’accès à la technologie, plusieurs internautes parviennent à faire une meilleure interprétation des conditions météorologiques et arrivent à donner des prévisions beaucoup plus fiables et précises. N’est-ce pas là une motion de blâme pour la station météo ?
Je pense que c’est au niveau de l’aspect humain que la météo pêche. Par exemple, après avoir observé qu’il a plu pendant de longues heures, il faut s’attendre à des accumulations d’eau et ainsi recommander au public de faire preuve de vigilance. Je vais vous partager un conseil que m’a donné sir Gaëtan Duval : « Li ti dir mwa fer bien atansion dan nou pei ena boukou tirerr plan, se pou sa ki to bizin vinn enn profesionel sinon se bann tirerr plan ki pu gagn rol. À bon entendeur salut.

Il fut un temps où la principale préoccupation de la  station météorologique était les cyclones. Depuis quelques années, ce sont surtout les flash floods qui ont pris de l’ampleur à Maurice. La station est-elle dépassée avec ces nouveaux phénomènes liés au changement climatique ?
Je ne pense pas qu’elle est dépassée. D’ailleurs, la station météorologique ne peut pas être dépassée. Il faut savoir que la communauté des prévisionnistes et des stations météo sont une grande famille dans le monde. Il y a des protocoles de coopération qui ont été signés en 1945. Ce qui fait que si un pays se retrouve en difficulté à émettre des prévisions, il peut solliciter l’aide d’un autre. Ainsi, avec toutes ces conditions réunies, une station météo ne peut dire qu’elle est dépassée.