
Reconnu comme l’un des moteurs essentiels de l’économie, le secteur des petites et très petites et moyennes entreprises semble être le grand oublié du Budget. Outre le gouvernement central, Stéphane Maurymoothoo, président du Regrupman Artizan Morisien (RAM), montre du doigt SME Mauritius.
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Vos premières analyses du Budget du gouvernement ?
Pour un premier Budget de ce nouveau gouvernement, les petites et très petites et moyennes entreprises (PME et TPME) s’attendaient à beaucoup mieux, notamment pour les travailleurs indépendants et les artisans de métier.
Déçu… ou presque ?
Parmi les manquements de ce tout premier Budget de l’Alliance du Changement, permettez-moi de soulever quelques points essentiels. À aucun moment, le ministre des Finances, qui est aussi Premier ministre et leader de l’Alliance, n’a pris la peine d’engager un dialogue ou d’ouvrir un espace de concertation pour écouter nos propositions, comprendre nos réalités et prendre en compte nos attentes. Cela, malgré nos multiples tentatives, émanant notamment des PME et TPE, dont le Regroupman Artizan Morisien (RAM) que je représente.
Même le Junior Minister aux Finances est resté sourd à notre « shopping list », pourtant modeste et raisonnable.
On parle de renouveau, de changement de paradigme, d’un retour aux valeurs, de la revalorisation de métiers autrefois nobles mais abandonnés au profit de l’académique. Mais la relève semble cruellement absente…
Je vais être pragmatique : comment espérer intéresser des jeunes qui ont été conditionnés sur les bancs de l’école à mémoriser des contenus standardisés, construits pour ceux à qui l’on répète que « the sky is the limit » et qu’ils « can fly » ?
En l’absence de mesures concrètes qui valorisent les compétences pratiques, les talents manuels et les savoir-faire traditionnels, sans passer par la case académique, dites-moi, quelle formule miracle utiliser pour que cette jeunesse trouve enfin sa place ? Comment les convaincre de croire en un avenir ici, dans des métiers qu’ils maîtrisent, et de ne pas aller exporter leur talent ailleurs ?
Si quelqu’un a la réponse, je suis preneur…
On constate que les métiers manuels se raréfient : trouver un plombier, un maçon ou un électricien aujourd’hui relève du parcours du combatant…
Autrefois, bien avant l’avènement des outils high-tech, les artisans travaillaient exclusivement à la main, faisaient face aux aléas de leur métier, et calculaient tout à l’instinct, avec leurs sens. Aujourd’hui, tout a basculé avec la montée en puissance de la technologie – la « hi-tech » comme on dit. La machine remplace peu à peu l’humain : des années d’expérience et de savoir-faire sont désormais compressées dans une boîte électronique, équipée de boutons et de télécommandes. Et le robot fait le reste. Voilà où nous en sommes.
Pensez-vous que les gens de métier n’étaient pas reconnus à leur juste valeur ?
Nos grands-parents et parents, qui exerçaient des métiers tels que la charpenterie, la menuiserie, la plomberie, la maçonnerie ou l’électricité, étaient souvent perçus comme des artisans de seconde zone. On les méprisait parce qu’ils portaient une combinaison bleue, exerçaient des métiers qualifiés de « kat sou », tandis que le travail de bureau, le col blanc, avait plus de prestige aux yeux des bien-pensants. Ils étaient mal rémunérés parce que leurs tâches étaient mal perçues, et le simple port de l’uniforme bleu suffisait à entretenir une image négative.
Cela commence-t-il à changer avec l’évolution du marché ?
Les salaires proposés aux artisans dans le secteur privé sont souvent si bas qu’ils ne permettent pas d’envisager un avenir stable. Et même pour ceux qui veulent se lancer à leur compte, les obstacles sont nombreux : tracasseries administratives, dettes à contracter, et des prêts bancaires difficiles à obtenir.
Le Budget aurait dû intégrer les propositions des PME et TPME en faveur d’un « revamping » de ces milliers d’entrepreneurs mauriciens ?
Le secteur indépendant semble condamné à rester en marge. Cela dure depuis des décennies. Le préjugé envers les PME et TPME reste tenace : certains pensent encore que parce que nous sommes petits, nous ne sommes pas sérieux. Résultat : les gros requins raflent les gros contrats, et il ne reste que des miettes à ramasser pour les autres.
Vis-à-vis des PME et des TPME, quels sont vos sentiments ? De l’amertume, de la colère ou allez-vous rendre votre tablier d’artisan et de représentant de vos pairs ?
Je suis content qu’il y ait quelques artisans qui réussissent à sortir la tête de l’eau, mais la majorité reste à la traîne. La plupart de nos bons ouvriers vivent encore dans des cités ou sont locataires, faute de soutien du gouvernement pour changer un système figé depuis trop longtemps.
Pourtant, il y a SME Mauritius, censée jouer les sapeurs-pompiers et accompagner les PME et TPME, car ce sont les micro-entreprises qui font vivre toute économie...
Cette question me permet de dire tout haut ce que pensent beaucoup de petits entrepreneurs. SME Mauritius est, à mes yeux, l’un des plus grands fiascos institutionnels.
SME Mauritius parey kouma enn tant bazar kot tou melanze. Il est temps de repenser cette institution, de casser cette approche floue et de réorganiser les PME et TPME par secteurs d’activité, pour que chacun ait sa place, sans distinction entre « petit » et « grand ». Nous sommes tous dans le même bateau.
Un avis sur la présence remarquée de travailleurs étrangers dans différents secteurs d’activité économiques ? Un mal nécessaire ?
Dans les années 80/90, notre économie fonctionnait sans travailleurs étrangers. Nous avions une main-d’œuvre locale qualifiée et motivée. Aujourd’hui, la relève de nos artisans est peu valorisée, car le « white collar job » continue à dominer dans les mentalités.
Ce décalage fait qu’on préfère recruter des étrangers plutôt que d’investir dans la formation locale. C’est une perte à long terme.
Quelle serait, selon vous, l’une des meilleures formules pour le « revamping » des PME et TPME à court, moyen et long termes ?
Parmi nos propositions soumises pour le Budget 2025-26, figurait la création d’un fonds contributif de retraite pour les travailleurs indépendants et artisans. L’idée : permettre à chacun de cotiser tout au long de sa carrière pour bénéficier, à terme, d’une lump sum ou d’une pension digne.
Nous travaillons dur, nous donnons de notre force et de notre santé, nous contribuons à faire vivre notre famille et le pays indirectement. Pourquoi ne pourrions-nous pas vivre nos vieux jours dans la dignité, avec une pension construite sur notre propre sueur ? Malheureusement, nos propositions ont été ignorées.
Une question d’actualité : la réforme de la retraite. Votre avis ?
Fixer l’âge d’éligibilité à la retraite à 65 ans, pour moi, c’est comme demander à un maçon, à un plombier ou à un soudeur de continuer à faire un travail physique épuisant jusqu’à un âge où leur corps ne peut plus suivre. Voilà ma réponse.

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