
- L’économiste Dookhony recommande un montant au niveau du salaire minimum
Avec la suppression progressive de la pension universelle entre 60 et 65 ans, le gouvernement promet une aide financière ciblée. Deux comités plancheront sur les modalités. Mais définir qui y aura droit et quel en sera le montant s’annonce complexe.
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Le 1er comité
Président du comité : Navin Ramgoolam, Premier ministre
Les autres membres du comité : Paul Bérenger, Deputy Prime minister et les ministres Jyoti Jeetun, Patrick Assirvaden, Reza Uteem et Aadil Ameer Meea ainsi que les Junior Ministers, Dhaneshwar Damry et Kugan Parapen.
La tâche du comité
D’après le communiqué publié le lundi 16 juin
Le comité devra examiner les possibilités d’aide financière :
- aux personnes âgées de 60 à 65 ans employées dans des secteurs où les conditions de travail sont difficiles.
- aux éventuelles femmes au foyer/mères dont l’éligibilité à une aide sera déterminée à travers un « means test ».
Le 2e comité
Président du comité : Ashok Subron, ministre de l’Intégration sociale
Les autres membres du comité : les ministres Shakeel Mohamed, Dr Arvin Boolell, Ajay Gunness et Ritish Ramful.
La tâche du comité
D’après le communiqué publié le lundi 16 juin et la déclaration du Premier ministre au Parlement le mardi 17 juin
Un deuxième comité sera chargé d’examiner les formes de soutien envisageables pour les personnes incapables de travailler en raison de problèmes de santé ou de handicaps.
Ce que pensent les observateurs…
…sur les bénéficiaires potentiels de l’aide ciblée
Pramode Jaddoo, économiste et observateur politique : « Ceux qui sont dans le besoin méritent un soutien social, tout comme les personnes exerçant des métiers pénibles. Mais au lieu d’annoncer cette réforme dans le Budget, un dialogue élargi aurait dû précéder. Ils ont eu le temps de planifier cette mesure avant de l’annoncer. Pourquoi ne pas avoir organisé une table ronde avec les syndicats, les ONG et d’autres parties prenantes pour aboutir à un consensus ? Les Mauriciens savent que la situation économique est tendue, en grande partie à cause des largesses des dernières années. On a eu l’impression que l’État était une vache à lait, distribuant sans compter, malgré les signaux d’alerte. Cependant, une telle réforme ne peut être annoncée brutalement et sans concertation. Il est clair que la population n’allait pas bien réagir. »
Manisha Dookhony, économiste : « L’aide doit d’abord cibler ceux qui accomplissent des tâches physiques exigeantes et qui ne pourront pas continuer à travailler après 60 ans, comme les ouvriers agricoles. C’est plus simple à identifier dans l’industrie cannière – par exemple, les laboureurs – mais plus complexe dans d’autres secteurs. Dans le bâtiment, il faudra définir les métiers manuels spécifiques : si un maçon y a droit, qu’en est-il de l’aide-maçon ? Cette catégorisation risque de générer des frustrations dans plusieurs milieux professionnels. »
…sur l’allocation à accorder
Pramode Jaddoo : « Il est difficile d’avancer un montant précis, car cela dépend de plusieurs facteurs : la situation sociale de la personne, l’inflation, etc. Ces personnes méritent de percevoir un montant équivalent à la pension. On ne peut pas leur demander de vivre avec moins, mais il est essentiel de cibler ceux qui en ont réellement besoin. »
Manisha Dookhony : « Si ces personnes continuent à travailler, mais à temps partiel ou moins qu’avant, une compensation est justifiée. Pour celles qui tombent malades, peu importe leur âge, il faudrait prévoir une allocation maladie, comme cela se fait dans d’autres pays. Mais verser une compensation sera un véritable casse-tête pour le gouvernement. Un « means test » sera sans doute nécessaire, car cette aide ne doit pas être généralisée. Il faudrait permettre aux plus aisés — millionnaires, milliardaires — de se retirer du système grâce à une option de hop-out. D’ailleurs, certains retraités disposent de revenus alternatifs : rentes, intérêts, dividendes… qui leur assurent un bon niveau de vie. L’aide devra donc être accordée au cas par cas. On pourrait envisager, dans un premier temps, un montant aligné sur le salaire minimum. »
Ce qu’il faudra faire… ou éviter de faire
Manisha Dookhony : « Il faut éviter de généraliser l’aide à tous les travailleurs d’un même secteur. Dans la construction, certains métiers sont physiquement exigeants, d’autres beaucoup moins. Même chose dans l’agriculture : le travail d’un laboureur n’est pas comparable à celui d’un travailleur chargé de l’irrigation. Le soutien doit être ciblé selon les métiers, pas les secteurs. Il faudrait aussi éviter d’intégrer automatiquement toutes les personnes inscrites au registre social. Certaines étaient vulnérables autrefois, mais ont vu leur situation s’améliorer après un héritage ou un changement de revenus. Il faut aller dans le détail et bien évaluer l’éligibilité. Il ne faut pas non plus catégoriser les bénéficiaires selon la région où ils vivent, cela pourrait créer de la stigmatisation. Par ailleurs, si le gouvernement demande des efforts au peuple, il doit aussi en faire. Il faut réduire les pensions des anciens parlementaires et revoir les rémunérations de certaines directions. L’effort doit être partagé par tous. »
Pramode Jaddoo : « Il faut une vraie négociation et surtout expliquer clairement à la population les raisons de cette réforme. Se baser uniquement sur le State of the Economy Report ne suffit pas. Le gouvernement n’a pas fait ses devoirs correctement. Il dévoile l’état des finances publiques petit à petit. Pourtant, de l’argent dort encore. Par exemple, certaines aides accordées durant la pandémie devaient être remboursées, mais ce n’est pas toujours le cas. D’un côté, on parle de sacrifices et de situation difficile, et de l’autre, on organise une garden-party grandiose ou on continue à accorder des privilèges comme le duty free. Le sacrifice doit commencer par le sommet. L’État doit montrer l’exemple. La population ne comprend pas pourquoi elle doit se serrer la ceinture pendant que dirigeants et politiciens profitent de multiples avantages, et que des contrats de plusieurs milliards de roupies sont allouées. »
Un casse-tête administratif en perspective
Déterminer les critères et gérer l’ensemble du dispositif s’annonce complexes, affirme l’économiste Manisha Dookhony. Selon elle, plusieurs institutions devront collaborer étroitement, notamment le ministère de la Sécurité sociale et la Mauritius Revenue Authority (MRA). « Est-ce que ce sera la MRA qui effectuera les paiements ? Si oui, ne risque-t-on pas de lui en demander trop ? », s’interroge-t-elle.
Manisha Dookhony estime également que des ajustements législatifs seront inévitables. « Cela marquerait la fin du régime de pension universelle tel que nous le connaissons. Les Remuneration Orders seront possiblement revues », ajoute-t-elle. Autre point soulevé : la question des droits acquis. « Une fois que ces changements seront inscrits dans la loi, ils deviendront des droits acquis. Il faut réfléchir à long terme : veut-on en faire un droit acquis ou pas ? », avance Manisha Dookhony. Enfin, elle avertit contre le risque d’abus : « Plus une mesure est complexe à mettre en œuvre, plus elle ouvre la voie aux abus. »
Jane Ragoo, secrétaire générale de la CTSP : «Le cri du cœur des futurs retraités résonne lourdement»
À la Confédération des Travailleurs des Secteurs Privé et Public (CTSP), les téléphones n’ont pas cessé de sonner au lendemain du Budget. « Les salariés approchant les 58, 59 ou 60 ans voulaient savoir s’ils allaient percevoir leur pension. Ce fut un choc total. Et en découvrant les détails de la mesure, la colère a éclaté, tant dans le secteur privé que dans la fonction publique. J’ai personnellement reçu des appels d’infirmières évoquant leurs conditions de travail difficiles », raconte Jane Ragoo.
Elle évoque aussi le « rêve brisé » et la « dignité refusée » à de nombreuses femmes au foyer. « Le cri du cœur des futurs retraités résonne lourdement », martèle-t-elle. La secrétaire générale de la CTSP dénonce le manque de transparence du gouvernement : « À aucun moment, il n’a été question d’une réforme des pensions dans leur mandat. Ce sujet n’a même pas été évoqué lors des consultations budgétaires. Nous demandons le gel immédiat de cette réforme et l’ouverture d’un dialogue national. Le gouvernement n’a pas reçu le mandat pour trancher une question aussi fondamentale. Ni Ramgoolam, ni Bérenger, ni Subron ! »
Elle fustige également l’implication « de deux anciens syndicalistes aujourd’hui au Parlement, qui contribuent au démantèlement de l’État-providence ». « C’est une honte ! En 2008 déjà, Rama Sithanen avait porté atteinte aux droits des travailleurs avec sa loi sur le travail. Et voilà qu’en 2025, on s’en prend à la pension de vieillesse », conclut-elle.
IL A DIT
Sam Lauthan, ancien ministre de la Sécurité sociale : « Je suis satisfait que le Premier ministre ait mis en place deux comités pour examiner certains aspects avant la mise en œuvre de la réforme. Le fait de proposer un soutien aux personnes financièrement vulnérables est une initiative positive. »

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