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Sonny Wong : «Les Mauriciens privilégient les grandes surfaces au détriment des boutiques du coin»

La pandémie a profondément modifié les habitudes alimentaires des Mauriciens, avec surtout l’apparition de food courts aux quatre coins de l’île. Mais ces derniers temps, la pénurie de poulets a encore une fois posé la question de l’autosuffisance alimentaire. Une situation, selon Sonny Wong, Chief Operating Officer (COO) à Innodis, « exacerbée par une demande accrue qui a coïncidé avec une légère baisse de production due aux fluctuations saisonnières traditionnelles ». Dans l’interview qui suit, il fait, entre autres, observer que « le phénomène de manger à l’extérieur, notamment les week-ends, est désormais bien ancré dans les habitudes mauriciennes ».

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Quelle réflexion vous inspire l’actuelle pénurie de volaille et d’œufs sur le marché local ? Faut-il ou non conclure que la production n’a pas suivi la hausse de la consommation dont les premiers signes s’annonçaient déjà avec les commerces en augmentation ?
Il est vrai que nous avons traversé une période de déséquilibre temporaire d’œufs en juillet et de poulet frais en août. Cette situation a été exacerbée par une demande accrue qui a coïncidé avec une légère baisse de production due aux fluctuations saisonnières habituelles. Il est important de noter que le marché du poulet local représente environ 3 000 tonnes mensuellement. Le déficit enregistré en août s’élevait à approximativement 10 % de la demande, soit un manque de 300 tonnes, touchant uniquement le poulet frais.

Les principaux producteurs locaux ont rapidement pris des mesures pour rétablir l’équilibre entre l’offre et la demande. Chez Innodis, nous avons également intensifié nos efforts pour assurer une distribution stable à travers tous les segments du marché, y compris les grandes surfaces, les franchisées, les échoppes traditionnelles et les bazars du pays. Par ailleurs, pour compenser le manque temporaire de poulet frais, nous disposons d’un stock conséquent de poulet surgelé dans nos chambres froides. Cependant, il est essentiel de comprendre que cette situation exerce une pression constante sur les producteurs locaux. Ces derniers doivent faire face à une roupie faible, à l’augmentation des coûts de production, à des prix de fret maritime élevés et à des ajustements salariaux difficiles à absorber.

La tendance à manger à l’extérieur de la maison s’est fortement développée à Maurice, en particulier le week-end et pendant les jours fériés.»

Depuis la réouverture de l’économie mauricienne à la suite de la pandémie, comment se porte le marché de la consommation alimentaire ?
La Covid-19 a indubitablement modifié les habitudes de consommation des Mauriciens. Les achats impulsifs, qui étaient déjà en déclin avant la pandémie, ont pratiquement disparu, remplacés par une consommation plus réfléchie. Les consommateurs sont désormais plus attentifs à leurs dépenses, privilégiant les promotions, en particulier en fin de mois, et n’hésitant pas à stocker des produits pour une utilisation prolongée. Cette tendance est renforcée par les promotions constantes offertes par les grandes surfaces, qui bénéficient d’une concurrence accrue entre les différentes marques. Toutefois, il faut aussi souligner que la réouverture de l’économie s’est accompagnée d’une hausse généralisée des prix. Les entreprises engagées dans la production et la distribution font face à une flambée des frais d’opération, comme indiqué plus haut.  

Chez Innodis, nous ressentons directement ces augmentations dans nos frais opérationnels. Bien que nous ayons fait de notre mieux pour retarder toute hausse de prix, les facteurs externes, devenus imprévisibles, impactent lourdement nos activités. Cela affecte non seulement notre capacité à maintenir des prix compétitifs, mais aussi notre marge de manœuvre pour investir dans l’amélioration de notre production locale et de notre distribution.

Est-ce qu’il y a eu des mutations dans les modes de consommation alimentaire des Mauriciens ?
Absolument, les modes de consommation alimentaire au pays ont évolué de manière significative. Les Mauriciens privilégient désormais les grandes surfaces pour leurs achats, au détriment des boutiques traditionnelles qui étaient autrefois la norme. Deux principaux facteurs expliquent cette évolution : d’une part, la population est aujourd’hui beaucoup plus mobile, avec une accessibilité accrue aux moyens de transport ; d’autre part, l’expansion des grandes surfaces et des centres commerciaux, même dans les régions rurales, a rendu ces points de vente beaucoup plus accessibles.

Ces centres commerciaux ne se contentent pas d’offrir des produits alimentaires ; ils sont également devenus des lieux de loisirs avec des food courts, des restaurants et même des franchises internationales. Le phénomène de manger à l’extérieur, notamment les week-ends, est désormais bien ancré dans les habitudes locales, transformant une sortie en famille en une expérience combinant shopping et restauration. En réponse à ces changements, les grandes surfaces ont élargi leur offre de plats cuisinés et de produits prêts à cuire, répondant ainsi aux besoins d’une population qui dispose de moins en moins de temps pour cuisiner. Cette tendance se manifeste surtout chez les jeunes, qui perdent peu à peu les traditions culinaires d’antan. Ils privilégient la facilité et la rapidité dans la préparation des repas.

Existe-t-il encore des différences dans les modes de consommation alimentaire entre les régions urbaines et rurales, comme il y a 23 ans ? Quelles sont les principales tendances observées aujourd’hui ?
Pendant de nombreuses années, les régions urbaines et rurales de Maurice étaient distinctes en termes de consommation alimentaire, chaque région ayant ses spécificités et ses préférences. Les produits disponibles et les lieux d’achat différaient considérablement, les grandes surfaces étant presque inexistantes dans les régions rurales. Cependant, au cours de la dernière décennie, l’expansion des grandes surfaces dans les villages a bouleversé cette dynamique. Aujourd’hui, les principales enseignes sont présentes partout et l’offre de produits est grandement similaire, à quelques exceptions près. Cette évolution témoigne de l’homogénéisation des habitudes de consommation à travers l’île où même des marques premium trouvent parfois un public plus large dans les régions rurales qu’en milieu urbain.

De plus de plus d’offres en restaurants / food courts contiennent des mets étrangers. Est-ce que les ingrédients sont-ils disponibles sur le marché mauricien ? L’apparition des food courts a-t-elle modifié certaines habitudes, étant donné que ces lieux sont très fréquentés durant les week-ends ?
La tendance à manger à l’extérieur de la maison s’est fortement développée à Maurice, en particulier le week-end et pendant les jours fériés. Les food courts et les restaurants, offrant une grande variété de cuisines internationales, sont désormais incontournables dans les centres commerciaux. Les Mauriciens montrent un intérêt croissant pour les innovations culinaires, prêts à payer davantage pour découvrir de nouveaux plats et saveurs. Cette demande pour une expérience culinaire diversifiée a poussé les importateurs à élargir leur gamme de produits, permettant aux restaurants de proposer des mets exotiques qui étaient auparavant difficiles à trouver sur le marché local. Cette évolution a modifié les habitudes de consommation et a créé des opportunités pour les entreprises locales de diversifier leur offre. Elles intègrent désormais de nouveaux ingrédients importés dans leurs chaînes d’approvisionnement pour répondre à la demande croissante de cuisines du monde entier.

Les achats impulsifs ont pratiquement disparu, remplacés par une consommation plus réfléchie.»

Quels sont les produits qui apparaissent prioritaires dans ce qu’on désigne comme le « panier de la ménagère » ?
Le « panier de la ménagère » se réfère aux produits alimentaires et d’entretien les plus courants, qui constituent la base des dépenses d’une famille moyenne. Le panier local est principalement composé de produits alimentaires de première nécessité et de produits d’entretien. Contrairement à d’autres pays où des services, des articles de divertissement et des produits d’hygiène personnelle sont également inclus, le panier mauricien reste centré sur les besoins alimentaires et domestiques essentiels. Cependant, sa définition évolue avec les changements dans les habitudes de consommation, influencés par les fluctuations économiques, les augmentations de prix, et les modifications dans les préférences alimentaires. Les producteurs locaux doivent donc constamment s’adapter à ces évolutions pour répondre aux besoins de base des consommateurs tout en faisant face à une pression croissante sur les coûts de production.

Est-ce que la demande dans l’hôtellerie et les restaurants tournés vers la clientèle touristique est-elle restée la même et en volume ?
Le secteur touristique de Maurice a connu une reprise remarquable après la pandémie, avec des prévisions indiquant que le nombre d’arrivées touristiques pourrait dépasser 1,3 million en 2024. Cette reprise a entraîné une augmentation du volume d’approvisionnement pour les hôtels et les restaurants, qui doivent répondre à une demande croissante. Chez Innodis, nous travaillons en étroite collaboration avec les équipes d’achats des principaux hôtels pour mieux comprendre leurs besoins et adapter notre offre en conséquence. Cette flexibilité nous permet de rester compétitifs et de contribuer à la satisfaction des clients dans un secteur en pleine évolution. De plus, nous soutenons nos clients dans leurs efforts pour réduire la pollution plastique en proposant des solutions telles que des bacs de crèmes glacées réutilisables. Cependant, cette croissance du secteur touristique ne doit pas masquer les défis auxquels les producteurs et distributeurs locaux sont confrontés, notamment en ce qui concerne les coûts élevés de production et les marges étroites dans certaines catégories de produits. 

Comment se présente le marché de l’importation ? De quelle manière l’île Maurice a su-t-elle exploiter la diversité de son approvisionnement en produits alimentaires ?
La période post-pandémie nous a obligés à nous réorganiser et à adopter de nouvelles méthodes de travail. Les entreprises qui ont emprunté cette voie en ont certainement bénéficié en termes de productivité, tant au niveau des unités de production que de la distribution. Chez Innodis, nous avons appris à diversifier nos sources d’approvisionnement pour certaines catégories de produits afin de rester compétitifs. Nous avons également constaté que le volume d’importation a considérablement augmenté ces dernières années, aussi bien pour les produits alimentaires que non alimentaires. 

Cependant, il ne faut pas perdre de vue l’importance de soutenir nos industries locales comme celles du poulet, du yaourt, et de la glace, des secteurs où Innodis est présent avec nos marques Prodigal, Le Poulet Fermier, Dairyvale, et DairyMaid. Les producteurs locaux contribuent à l’autosuffisance et emploient un grand nombre de personnes. En outre, dans le cas du poulet, il faut faire preuve de grande prudence, car il existe des risques sanitaires liés à une éventuelle importation, surtout en raison de la grippe aviaire qui a déjà touché plusieurs grands pays exportateurs.
  
Peut-on penser que le coût du fret, en hausse depuis ces derniers temps, n’est pas près de descendre à ses tarifs normaux ?
Selon certaines données récentes, plus de 80 % du volume du commerce mondial est transporté par voie maritime. Actuellement, le fret maritime fait face à de nombreuses difficultés à l’échelle mondiale : l’insécurité persistante en mer Rouge, l’instabilité de l’environnement politico-économique, le ralentissement de l’économie chinoise, les ports engorgés par les grèves, ainsi que la réorganisation des compagnies de fret maritime. Les prix du fret ont atteint des niveaux jamais vus, et cette tendance pourrait bien se poursuivre. En conséquence, cela entraîne une augmentation du prix des produits importés sur notre marché. 

Est-ce que la récente hausse des salaires et celle de la pension de retraite ont-elles impacté la consommation des ménages ? Mais, en même temps, faut-il craindre une nouvelle envolée de l’inflation comme l’affirment certains économistes ?
Nous saluons l’initiative du gouvernement d’accroître le pouvoir d’achat des consommateurs en augmentant les salaires ainsi que la pension de retraite. Ces hausses apporteront plus de liquidités sur le marché, dynamisant ainsi la consommation en général. Néanmoins, pour les entreprises locales, l’augmentation des salaires en début d’année, couplée à la révision plus récente des salaires, a un impact significatif, et cela ne concerne pas que les petites et moyennes entreprises. Chez Innodis, un grand nombre de nos employés bénéficient directement de ces augmentations salariales. Cela se répercute directement sur nos coûts d’opérations, ce qui fait que, dans certaines catégories de produits, nos marges sont à peine suffisantes pour couvrir tous nos frais. Si cette situation persiste, certains de nos secteurs d’activité pourraient ne plus être viables à l’avenir.

Sur les rayons des supermarchés, dans de nombreuses catégories, les produits locaux rivalisent avec les produits importés, tant au niveau des prix que de la qualité et de l’emballage.»

Comment se sont portés les achats pendant les fêtes de fin d’année au cours des trois dernières années ? Certaines habitudes apparues semblent-elles destinées à s’installer durablement ?
Les fins d’année sont généralement des périodes où les consommateurs veulent se faire plaisir en achetant et en achetant davantage. Le « feel good factor » est toujours présent, renforcé par un pouvoir d’achat en hausse grâce au paiement du treizième mois de salaire. Cela dit, ces dernières années, nous avons observé une certaine retenue dans les achats, qui sont devenus plus réfléchis que précipités. Par ailleurs, les Mauriciens mangent de plus en plus souvent hors de chez eux, et cela ne change pas pendant la période festive. Ce qui est certain, c’est que la restauration et les food courts resteront populaires, même si on devrait observer des changements dans les habitudes de consommation en raison de la flambée des prix. Chez Innodis, nous sommes bien organisés pour approvisionner ces points de vente et nos clients en général pour la fin de cette année.

Peut-on penser que davantage de jeunes ménages qui travaillent jusqu’à tard seront tentés par les plats « précuits » dans les prochaines années ?
Si l’on observe certains pays développés, on trouve une offre abondante de produits prêts à manger ou à réchauffer dans les grandes surfaces, ainsi que dans les magasins spécialisés, traiteurs et de proximité. Maurice ne fait pas exception à la règle, et nous prévoyons que cette tendance, déjà amorcée, continuera de croître.

Les jeunes ont de moins en moins de temps pour cuisiner et recherchent donc des solutions, même si cela leur coûte plus cher. C’est pourquoi, depuis quelques années, chez Innodis, nous nous sommes efforcés de produire des produits prêts à cuire ou à réchauffer, comme notre gamme de produits élaborés à base de poulet sous la marque Prodigal.

De manière récurrente, les associations de consommateurs réclament l’introduction du contrôle des prix sur les produits alimentaires de base et évoquent des abus de la part de certains commerçants. Ont-ils raison ou pas ?
Il est possible que certains commerçants agissent parfois de manière malhonnête, mais ce serait une grave erreur de généraliser. Ce sont souvent des cas isolés qui ne reflètent pas la norme. Il faut comprendre que les distributeurs, en général, font de gros efforts pour offrir aux consommateurs des produits de qualité à des prix abordables. C’est d’ailleurs l’un des objectifs clés d’Innodis, un des principaux distributeurs à Maurice. Avec le nombre d’opérateurs existants, il y a une concurrence féroce dans presque toutes les catégories de produits, y compris le poulet, qui est souvent en promotion en raison de la concurrence entre les différentes marques. Cette concurrence pousse les opérateurs à pratiquer des prix raisonnables, même s’ils sont aujourd’hui sous pression avec des charges élevées qui ne cessent d’augmenter.

Ainsi, la perception générale est parfois éloignée de la réalité vécue par les entreprises engagées dans le secteur alimentaire, surtout pour les produits de base. Chez Innodis, nous avons dû absorber à plusieurs reprises des augmentations de coûts de production et de distribution, car la forte concurrence ne nous permettait pas de répercuter ces augmentations sur le marché, dans certains cas indispensables. Cela a entraîné des pertes importantes dans certaines de nos catégories de produits ces dernières années, fragilisant la pérennité de nos activités. Il faut savoir que de nombreuses familles dépendent de nous, directement et indirectement, pour leur subsistance.

Est-ce que le « Made in Moris » a-t-il réussi à s’imposer face aux produits importés dans les mêmes gammes ? Est-ce que les Mauriciens font-ils la différence entre les deux produits ?
Les produits locaux n’ont rien à envier aux produits importés, car les fabricants locaux ont su rehausser leur niveau d’excellence en matière de production. Sur les rayons des supermarchés, dans de nombreuses catégories, les produits locaux rivalisent avec les produits importés, tant au niveau des prix que de la qualité et de l’emballage. Cependant, il est important de noter que les produits locaux subissent la pression des augmentations des frais de production, ce qui peut parfois les rendre moins attractifs. Il faut comprendre que notre marché est petit et nous ne pouvons pas vraiment compter sur les économies d’échelle, sauf dans de rares cas.

Nous devons à tout prix protéger notre production locale, car elle est une source d’emplois et de création de richesse pour le pays. Nous saluons donc les initiatives de l’AMM (Association of Mauritian Manufacturers) et de Made in Moris dans leur quête de promouvoir les produits locaux et d’encourager nos compatriotes à consommer local.

Est-ce qu’une filière agroalimentaire est-elle viable à Maurice ?
La filière agroalimentaire reste un secteur d’avenir qui demande à être davantage développé à Maurice. La filière du poulet de table est probablement l’une des rares dans lesquelles nous sommes autosuffisants localement. C’est un secteur qui s’est fortement développé au cours des dernières décennies, et aujourd’hui, nous possédons une expertise qui n’a rien à envier aux autres pays développés. Nous devons exploiter davantage nos ressources, sélectionner les domaines dans lesquels nous souhaitons atteindre l’autosuffisance dans un délai défini, faire appel à l’expertise internationale et encourager le secteur privé à investir davantage dans ce secteur.

Il est également nécessaire de mettre en place un système dans lequel les différents acteurs de la chaîne de valeur peuvent redistribuer équitablement les valeurs créées. Aujourd’hui, on constate un déséquilibre dans le pouvoir de négociation entre les producteurs et les revendeurs, ce qui n’est pas dans l’intérêt de l’industrie locale.

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