Sonny Wong : «L’augmentation Rs 1 000 ne suffit pas pour restaurer le pouvoir d’achat du consommateur»

Tendances à la consommation, pouvoir d’achat et inflation. Ce sont trois des maîtres-mots qui donneront une idée de la reprise à Maurice en 2023. Cette derni↕ère est elle-même tributaire des conséquences économiques du conflit ukrainien, de la hausse dans la production et de la confirmation du retour des touristes dans l’île. Dans l’immédiat, une des indications majeures de l’état du pouvoir d’achat des Mauriciens a été les tendances à la consommation durant les fêtes de fin d’année. « Les ventes en fin d’année 2022 se sont avérées satisfaisantes, contrastant avec ce qu’on a vécu vers la fin de 2021 », se réjouit Sonny Wong, Chief Operating Officer d’Innodis, société engagée dans l’agro-industrie, la manufacture, l’importation et la distribution. Mais, celui-ci reste prudent, précisant : « Cependant, nous avons observé un ralentissement de la consommation depuis le début de l’année 2023 (…) Les consommateurs ont aujourd’hui tendance à être plus prudents et donc à moins dépenser. »

Comment ont été les tendances de consommation durant les fêtes de fin d’année de 2022 ? Sont-elles différentes de celles de 2021 ?
Nous avons noté une reprise de l’activité économique durant la seconde moitié de l’année 2022 avec une demande en hausse de la part des consommateurs, mais aussi une augmentation importante des arrivées touristiques. Les ventes en fin d’année 2022 se sont ainsi avérées satisfaisantes, contrastant avec ce qu’on a vécu vers la fin de 2021.

Cependant, nous avons observé un ralentissement de la consommation depuis le début de l’année 2023. Le niveau de l’inflation y est certainement pour quelque chose. Les consommateurs ont aujourd’hui tendance à être plus prudents et donc à moins dépenser. 

Selon des témoignages de presse, les marchands de rue ont fait de meilleures affaires que de nombreux commerces dits ‘brick and mortar’. Comment expliquer cette tendance ?
Il est difficile à notre niveau de commenter sur la question, car nous opérons principalement dans le domaine de la production et de la distribution. Cependant, c’est sûr que les consommateurs peuvent être attirés par les prix plus bas affichés par les marchands de rue.

Si les Mauriciens se sont faits plaisir pendant les fêtes de fin d’année après deux précédentes années difficiles, il semble qu’ils affichent à nouveau la prudence au niveau de leurs dépenses en ce début d’année.»

Avons-nous connu des pénuries alimentaires durant l’année écoulée? Comment les consommateurs ont-ils réagi ?
L’année 2022 a été difficile en ce qui concerne le fret maritime, avec une perturbation mondiale qui a persisté pendant de nombreux mois, affectant des départs de conteneurs de plusieurs ports internationaux, principalement sud-africains, indiens et chinois, et ayant pour résultat des augmentations du prix du fret, qui a atteint des sommets. Cependant, malgré la perturbation maritime, en général, il n’y a pas eu de pénurie sur nos rayons et cela, pour l’ensemble des catégories de produits alimentaires et non alimentaires. Chez Innodis, nous avons pu, en réajustant nos commandes et avec le support de nos fournisseurs, assurer un approvisionnement quasi-continu sur le marché, même si certains produits spécifiques ont connu des retards occasionnels au niveau de l’importation. 

Est-ce que l’année 2022 a été celle de la reprise ? Cela s’est-il confirmé jusqu’en fin 2022 ? Et qu’en est-il de l’année 2023 ?
Malgré toutes les difficultés rencontrées pendant l’année 2022, on peut dire que c’était une année de reprise pour l’économie locale au niveau de la consommation comparée aux deux années précédentes. Par contre, ce début d’année 2023 est en dessous de nos attentes côté consommation.

L’année 2022, selon certains observateurs, a vu le secteur touristique rebondir très positivement. Comment cette situation a-t-elle influencé la consommation ?
Après l’ouverture de nos frontières en fin d’année 2021, le secteur touristique a bien rebondi en 2022, surtout durant la deuxième partie de l’année. 

Chez Innodis, nous avons constaté une croissance au niveau de la demande de nos produits auprès des hôtels et des restaurants, non seulement pour les produits de consommation courante, mais aussi pour les produits plus haut de gamme. Nous espérons que cette tendance se maintiendra pour l’année 2023. 

Il n’est pas un secret que le pouvoir d’achat des Mauriciens s’effrite de plus en plus. C’est la même tendance dans beaucoup de pays d’ailleurs.»

Les tendances de 2022 se maintiendront-elles? Quels sont les facteurs qui vont les influencer ?
Le taux d’inflation élevé auquel nous faisons face aujourd’hui n’est pas favorable à une reprise immédiate et pérenne de la consommation. Beaucoup de familles se sont retrouvées avec une charge financière plus importante suivant les augmentations de prix de divers produits, de l’énergie ainsi que du taux d’intérêt sur les emprunts. Si les Mauriciens se sont faits plaisir pendant les fêtes de fin d’année après deux précédentes années difficiles, il semble qu’ils affichent à nouveau la prudence au niveau de leurs dépenses en ce début d’année. 

Le conflit en Ukraine continue de peser sur l’économie mondiale, avec des retombées négatives au niveau local. Surtout concernant le prix de l’énergie et l’approvisionnement de certaines denrées alimentaires, dont la production est essentiellement concentrée dans des zones affectées par ce conflit. Aujourd’hui, nous ne pouvons qu’espérer une évolution positive du conflit. Nous espérons également un renforcement de la roupie vis-à-vis des devises étrangères principales que sont l’euro, le dollar américain et le dollar australien. Ceux-ci devraient avoir un effet stabilisant et positif sur l’économie locale et relancer la consommation. 

Comment les importateurs de denrées alimentaires ont-ils réagi face aux chocs dans ce secteur durant les menaces sur l’alimentation déjà en 2020 et les années suivantes ?
Les difficultés rencontrées par l’ensemble des importateurs durant ces dernières années ont été assez compliquées à gérer, avec notamment un manque de visibilité sur l’approvisionnement pour certaines catégories de produits de base. Chez Innodis, nous nous sommes appuyés sur une stratégie de diversification de nos sources d’approvisionnement de nos produits. Cela nous a permis d’avoir une certaine constance au niveau des importations et par conséquent, de notre distribution.

Nous avons également pris les devants pour maintenir des stocks plus importants dans nos entrepôts afin de mitiger les risques de rupture. Dans cette optique, nous avons pu compter sur l’aide de nos partenaires internationaux, avec lesquels nous avons d’excellentes relations. Tout cela a contribué à faire d’Innodis un fournisseur fiable pour nos clients.

(…) le nombre de supermarchés continue d’augmenter, alors qu’on aurait tendance à penser qu’on est arrivé à un niveau de saturation par rapport au nombre d’habitants à Maurice.»

La vente en ligne s’est-elle révélée comme une alternative fiable ? Comment les Mauriciens ont-ils réagi ?
À Maurice, les ventes en ligne demeurent à ce jour relativement modestes dans le secteur alimentaire. 

Chez Innodis, nous avons mis en place une plateforme de vente en ligne depuis trois ans (http://innodis.mu). On y retrouve une gamme importante de produits d’Innodis. 

Le lancement coïncidait avec le début de la mise en place des restrictions sanitaires - période durant laquelle les consommateurs limitaient leurs déplacements et l’accès aux supermarchés n’était pas encore bien réglementé. Les consommateurs étaient nombreux à se tourner vers ce service en ligne qui comprenait aussi la livraison gratuite à domicile. 

Aujourd’hui, l’activité économique a repris le dessus sur les préoccupations sanitaires. Ainsi, la majorité de consommateurs sont retournés à leur habitudes d’achat dans les supermarchés. Cependant, nous avons toujours une petite catégorie de clients qui continuent de passer des commandes en ligne et de se faire livrer chez eux pour diverses raisons. Nous pensons que le nombre de personnes qui seraient amenées à utiliser les plateformes d’achats en ligne pour l’alimentation est appelé à grandir à l’avenir. Mais la croissance ne devrait pas être importante à court terme. 

Par ailleurs, il faut souligner que même dans les pays les plus développés, les achats en ligne concernent principalement des produits non alimentaires.

Depuis l’année dernière, de nouvelles grandes surfaces d’alimentation ont vu le jour. Ces espaces répondent-ils à une attente et avons-nous à Maurice une masse critique de consommateurs pour les faire vivre ?
Il est vrai que le nombre de supermarchés continue d’augmenter. Ce, alors qu’on aurait tendance à penser qu’on est arrivé à un niveau de saturation par rapport au nombre d’habitants à Maurice. Les grands perdants de cette tendance sont les petites boutiques traditionnelles, qui tendent à disparaître pour laisser la place à des supermarchés modernes qui sont devenus des éléments incontournables de tout développement foncier. 

Les ventes en fin d’année 2022 se sont avérées satisfaisantes, contrastant avec ce qu’on a vécu vers la fin de 2021.»

Selon certaines sources fiables, le coût du fret est en baisse et retournerait à la normale sous peu. Quelles en seraient les conséquences sur les prix des produits alimentaires ?
Le coût du fret est un élément important du prix final d’un produit importé, même s’il reste moindre comparé au prix d’achat du produit. Il est vrai que le coût du fret a commencé à se stabiliser, voire même à connaître une tendance baissière depuis quelques mois. Mais il reste toujours élevé comparativement à son niveau de la période pré-Covid. Si la concurrence entre les lignes maritimes recommence à jouer comme il se doit, nous devrions bénéficier à l’avenir de prix plus avantageux pour le fret. 

Ceci-dit, toute baisse du coût du fret à ce stade ne devrait pas avoir un effet majeur sur les prix des produits alimentaires. Cela, dans la mesure où d’autres facteurs pèsent encore lourdement sur les prix, notamment l’inflation, sans oublier l’augmentation ce mois-ci du tarif de l’électricité.  

L’inflation est redoutée comme une véritable menace cette année. Quelles seraient ses conséquences sur le coût de la vie à Maurice ?
L’inflation demeure toujours une préoccupation, et pourrait bien perdurer cette année-ci, surtout si la situation économique mondiale ne s’améliore pas. 

Les Mauriciens subissent depuis quelque temps des augmentations de prix, non seulement dans le commerce en général mais aussi au niveau des services et autres activités. Il n’est donc pas un secret que le pouvoir d’achat des Mauriciens s’effrite de plus en plus. C’est la même tendance dans beaucoup de pays d’ailleurs. 

Quel a été l’impact des soutiens de l’État sur la corbeille de la ménagère ?
Les autorités font de leur mieux afin de soutenir les familles mauriciennes, principalement celles au bas de l’échelle. Cependant, pour le consommateur, l’augmentation de mille roupies en ce début d’année 2023 ne semble pas suffire pour restaurer suffisamment le pouvoir d’achat du consommateur. En même temps, c’est une nouvelle charge conséquente pour les entreprises, qui ont subi déjà ces dernières années plusieurs hausses de leurs frais d’opération. 

L’économie de notre pays ne pourra progresser si la consommation n’est pas maintenue, en association avec l’investissement. Pour que cela soit possible, chacun doit assumer sa part de responsabilité : les autorités tout comme le secteur privé. C’est seulement ensemble qu’on pourra construire un avenir meilleur.