Le sondage publié par Afrobarometer le lundi 12 août 2024 a révélé un déficit de confiance frappant de la nation envers l’ensemble de la classe politique. Paradoxalement, c’est toutefois le Premier ministre qui semble se démarquer comme une figure relativement plus appréciée, bien que certaines lacunes soient également relevées dans cet exercice.
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«Les critiques de la population sur le gouvernement en général ne portent pas sur le Premier ministre. » Cette observation d’Amédée Darga, National Investigator d’Afrobarometer à Maurice, illustre l’un des aspects les plus surprenants du dernier sondage réalisé par l’organisation. Si celui-ci révèle une profonde défiance des Mauriciens envers leurs institutions et partis politiques, la position de Pravind Jugnauth semble, toutefois, relativement mieux préservée.
Le sondage montre que 57 % des Mauriciens interrogés n’ont absolument aucune confiance, voire très peu confiance, en Pravind Jugnauth. Pourtant, ce pourcentage doit être mis en perspective avec une classe politique globalement en crise : 63 % des sondés expriment une défiance similaire envers les partis d’opposition et le même taux ne fait pas confiance au Mouvement socialiste militant (MSM) ainsi qu’à ses alliés au pouvoir.
Amédée Darga souligne que « la perte de confiance des Mauriciens dans la classe politique est l’élément le plus frappant de ce sondage ». Cependant, il ajoute que « dans tout cela, le Premier ministre se retrouve dans une toute autre catégorie ». Malgré une majorité de sceptiques, 41 % des sondés accordent encore beaucoup ou un peu de confiance à Pravind Jugnauth. Ce pourcentage est supérieur aux 35 % de confiance attribuée au MSM et à ses alliés, ainsi qu’aux 26 % accordés à l’opposition.
Selon les analyses d’Amédée Darga, cela vient démontrer que la manière d’être et de communiquer du Premier ministre (PM) ne semble pas choquer une grande partie de la population, du moins pas autant que ses rivaux politiques. En revanche, d’autres observateurs estiment qu’il serait erroné de conclure que ces chiffres traduisent un soutien fort et unanime. La confiance relative accordée à Pravind Jugnauth pourrait davantage refléter un rejet moins marqué, plutôt qu’un véritable appui à sa politique.
Programmes POLITIQUES
Ces résultats doivent cependant être abordés avec prudence, comme le souligne Ram Seegobin, observateur politique et représentant du parti de gauche Lalit. Selon lui, la manière dont les questions ont été formulées à travers ce sondage pour mesurer la confiance de la population dans les institutions du pays suscite des interrogations.
Ram Seegobin exprime de sérieuses réserves quant à la manière dont la question sur le degré de confiance a été posée aux sondés. « Lorsqu’on interroge une personne sur son degré de confiance dans une institution ou une personnalité, cela fait immédiatement surgir des doutes. Que signifie réellement la confiance d’une personne ? » s’interroge-t-il.
Il est d’avis que la formulation de la question introduit un biais susceptible d’influencer les réponses. « À mon avis, c’est une très mauvaise manière de poser une question dans un sondage. Pour moi, en raison de cette mauvaise formulation, les chiffres et résultats obtenus ne signifient pas grand-chose », ajoute-t-il.
Ram Seegobin souligne également qu’Afrobarometer aurait dû interroger les sondés sur leur connaissance des programmes politiques du gouvernement et de l’opposition, ainsi que sur leur adhésion à ces programmes. Il suggère qu’on aurait aussi pu demander aux sondés avec quels projets de société ils sont en accord.
Le facteur Ramgoolam
Le représentant de Lalit pointe un autre manquement majeur dans ce sondage : l’absence de questions spécifiques sur Navin Ramgoolam. Il trouve incompréhensible que le sondage ne se penche pas sur la perception des Mauriciens à l’égard du leader du Parti travailliste et principal adversaire de Pravind Jugnauth aux prochaines élections générales, d’autant que le système électoral mauricien tend à favoriser une confrontation de type présidentielle entre deux principaux challengers.
« Navin Ramgoolam est le principal adversaire de Pravind Jugnauth aux prochaines élections. Il est donc légitime pour une personne qui consulte ce sondage de vouloir savoir la perception des Mauriciens à son égard », affirme Ram Seegobin. Cette omission prive le public d’une vision plus complète du paysage politique et des dynamiques électorales à venir.
Ram Seegobin précise aussi qu’un sondage a ses limites, car il ne représente qu’une photographie d’une situation particulière dans un contexte donné. « Une fois que cette situation n’est plus pertinente, le sondage perd toute son importance », observe-t-il, insistant sur la nécessité de contextualiser et de nuancer l’interprétation des résultats.
Krish Valaydon, observateur politique, souligne aussi un problème de cohérence statistique dans les résultats du sondage. « Si 63 % de la population rejette les partis de l’opposition, y compris les partis extraparlementaires, et qu’en même temps, 43 % expriment un manque de confiance envers le PM en place, cela révèle un mécontentement généralisé », dit-il.
Il trouve contradictoire que 100 % de la population ne fasse pas confiance à l’ensemble de la classe politique. « Cela ne correspond pas au comportement habituel des Mauriciens, que ce soit leur présence dans les meetings publics, leur curiosité pour les nouvelles politiques, leurs manifestations pour ou contre un parti, ou encore leur participation active le jour du scrutin », analyse-t-il.
Il ajoute que ce mécontentement général pourrait signaler un profond dégoût de la population envers les politiciens et l’élite politique. Cependant, selon lui, il est prématuré de conclure que ce désenchantement reflète une prise de conscience collective pour changer le système plutôt que simplement les individus au pouvoir.
Krish Valaydon avertit que si ce sondage traduit vraiment un sentiment de fatalisme qui a pris racine dans la conscience populaire, cela pourrait signifier que le peuple ne croit plus en la capacité des politiciens à assurer l’avenir du pays. « Ce serait une situation très grave, annonçant peut-être la fin d’une phase de cadences politiques dans laquelle le pays est plongé depuis des décennies », conclut-il.
Amédée Darga : «les partis censés incarner le renouveau pas encore assez viables pour être de vrais challengers»
Le sondage d’Afrobarometer indique-t-il déjà une victoire probable de Pravind Jugnauth aux prochaines élections générales ?
Ce que j’entends souvent les gens dire, surtout chez les femmes d’un certain âge, en parlant du Premier ministre, c’est : « Li enn bon garson non ? » Cela montre qu’il bénéficie d’une certaine sympathie.
Cependant, il est important de souligner que les élections tiennent compte de nombreux paramètres. En tant que sondeur, je ne peux pas faire de projections sur qui remportera une joute électorale ou non.
Ce sondage, qui met en lumière un déficit de confiance dans l’opposition à Maurice, reflète-t-il également un désir de renouveau politique ?
Effectivement, je pense que c’est le cas. C’est encourageant de constater que Maurice aspire à un renouveau politique. Toutefois, selon moi, les partis censés incarner ce renouveau ne sont pas encore suffisamment viables pour être de vrais challengers capables de remporter les prochaines législatives.
Croyez-vous que les partis émergents sont déjà condamnés à la défaite aux prochaines législatives ?
Je pense que les partis émergents pourraient obtenir des résultats intéressants en termes de votes. Mais ce ne sera probablement pas suffisant pour remporter les prochaines élections générales.
Pourquoi le sondage n’évoque-t-il pas précisément le cas de Navin Ramgoolam, qui est tout de même le challenger de Pravind Jugnauth ?
Nous n’avons tout simplement pas posé la question.
L’opposition dénonce un sondage biaisé en faveur du MSM
L’opposition parlementaire met sérieusement en doute la crédibilité de ce sondage. Les principaux dirigeants de l’alliance Parti travailliste-Mouvement militant mauricien-Nouveaux Démocrates ont refusé de commenter officiellement les résultats, rappelant que Navin Ramgoolam avait déjà annoncé, il y a quelques semaines, la publication d’un sondage biaisé en faveur du MSM.
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