Interview

Sidharth Sharma : «Le Metro Express est l’occasion de réinventer le transport public»

Sidharth Sharma

Société engagée dans le transport public depuis 1954, Rose Hill Transport se prépare à accueillir le Metro Express. Son Chief Executive Officer Sidharth Sharma estime que ce nouveau système ouvre la voie à la modernisation du transport en commun. Il dit que l’industrie est confrontée à une rude concurrence et que les profits ne sont pas ce que l’on croit.

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Quel état des lieux faites-vous du transport public à Maurice ?
L’industrie du transport en commun est un pilier de l’économie. C’est un prestataire de services essentiels. Ses employés sont les premiers à se lever. Sur nos routes, on retrouve 3 000 autobus. Le secteur emploie environ 20 000 travailleurs. Le chiffre d’affaires annuel est supérieur à Rs 4 milliards. Chaque jour de semaine, environ 400 000 personnes – presque un tiers de la population – sont transportées d’un point à l’autre.  Il faut le reconnaître. L’industrie du transport a connu un développement qui n’a pas été bien planifié.

Beaucoup de lignes ont été octroyées à droite et à gauche. Ce faisant, les principaux opérateurs se font beaucoup de concurrence. Pour les opérateurs individuels, c’est pire, engendrant de multitudes de problèmes. Comme je l’ai toujours préconisé, on devrait émuler ce qui se fait à l’étranger. En France, par exemple, les communes font des appels d’offres où il y a un cahier des charges, le nombre de passagers à être véhiculés et la fréquence nécessaire. À partir de là, l’opérateur soumet sa proposition.

Le pays dispose d’un nombre croissant de véhicules privés. En quoi cela affecte-t-il l’industrie du transport en commun ?
Aujourd’hui, on retrouve plus de 500 000 véhicules sur nos routes, dont 60  % sont des voitures. C’est une aspiration légitime de tout un chacun de vouloir améliorer le moyen de transport qu’il utilise. Après avoir tant voyagé par l’autobus, on décide de s’acheter une motocyclette. Ensuite, ce sera une voiture de seconde main. Après viendra la voiture flambant neuve. Je n’ai rien contre le fait que chacun a sa voiture. C’est le nombre de passagers par véhicule privé qui pose un problème.

Si vous voyez le nombre de véhicules sur l’autoroute à Phœnix en direction de Port-Louis, environ 80 % n’ont qu’une personne à bord. Restons dans les chiffres. Un véhicule fait, en moyenne, quatre mètres de long. Et 500 000 véhicules, alignés les uns après les autres, vous donnent une file de 2 000 kilomètres. Tout le réseau routier sera alors paralysé. Et il est bon de savoir que la congestion routière coûte environ Rs 4 milliards à l’économie.

Donc, il y a matière à revoir le mode d’opération de l’industrie. À titre d’exemple, en heure de pointe, le nombre de véhicules privés vers la cybercité d’Ébène et Port-Louis devrait être limité, en encourageant le covoiturage et l’usage de transport public.

Le propriétaire d’autobus qu’est Rose Hill Transport (RHT) fait-il des profits importants à la fin de l’année ?
RHT est dans ce secteur depuis 62 années déjà. Nous sommes conscients de notre rôle. Beaucoup de gens, en majorité ceux à la base de la pyramide sociale, dépendent du service qu’on offre. En tant qu’opérateur responsable, RHT offre un service très correct. En jours de semaine, nous transportons 30 000 passagers.

Mais ce n’est pas un business lucratif, contrairement à ce que l’on peut croire. Les salaires, fixés à l’issue de négociations, représente 60 % des recettes. Les frais de diesel absorbent 15 % des revenus. La maintenance s’octroie une part de 8 %. On reste avec une marge brute de 17 %. En sus des frais administratifs, il faut ajouter les investissements dans le renouvellement continu de la flotte. Finalement,  il y a très peu de marge.

Quel a été l’investissement dans des autobus neufs ?
RHT a investi Rs 240 millions dans le renouvellement de sa flotte ces quatre dernières années. Du coup, nous avons une flotte faisant quatre ans et demi en moyenne, l’une des plus jeunes dans le pays. Chaque année, on enlève dix autobus de notre flotte que nous remplaçons par des véhicules flambant neufs. Sachez qu’un autobus neuf nous coûte Rs 4 millions.

Qu’est-ce qui a motivé ces achats ?
L’accident de Sorèze a été un tournant décisif. Un accident de la même ampleur impliquant un de nos autobus signerait la fin de RHT. À ce moment-là, on s’est dit que le statu quo n’était plus possible. Nous devions acheter des autobus avec des spécifications plus solides et meilleures. C’est là que nous nous sommes intéressés de plus près aux autobus dit semi-low floor, avec un centre de gravité plus bas, des systèmes de freinage plus sophistiqués. Nous avons également investi dans la formation des chauffeurs.

Le 14 février, le prix de l’essence et du diesel a augmenté de 10 %. À quand une répercussion sur le tarif des tickets d’autobus ?
L’industrie du transport public bénéficie d’un subside sur le coût du diesel. Un prix palier est fixé. Du moment que le prix passe au-dessus de ce coût, les opérateurs perçoivent le subside. Cela aide à amortir le montant associé au diesel et ce n’est pas répercuté directement sur le ticket. À ce jour, une hausse n’est pas à l’ordre du jour, sauf si le prix du diesel reprend l’ascenseur. Mais la décision finale revient au régulateur, la National Transport Authority.

Le projet Metro Express a été officiellement dévoilé le 10 mars. Trois compagnies de transport sont sur ce tronçon Curepipe-Port-Louis. Dans cinq ans, quel sera le rôle de l’opérateur d’autobus que vous êtes ?
Le projet de métro est en gestation depuis 1999. Sa réalisation aidera à rehausser le niveau du transport public mauricien. Le métro, les autobus et les taxis font partie d’un ensemble unique. Il faudra s’adapter à cette nouvelle réalité. Avec le métro, les opérateurs d’autobus changeront de rôle. Ils alimenteront les 19 points d’arrêt du métro. À notre niveau, on s’est adapté en intégrant dans notre flotte des autobus de moindre envergure (35 places), qui pourront alimenter ces stations des banlieues et vice-versa.

L’arrivée et le départ devront être synchronisés. Chez RHT, nous travaillons déjà sur un nouveau plan d’affaires. Personnellement, je suis d’avis qu’on aura besoin davantage d’autobus sur nos routes si on adopte le feeder service. On assistera à la création de nouveaux emplois. Il faudra avoir un personnel sur place, afin de s’assurer de cette intégration multimodale.

Donc, le métro ne viendra pas tuer les opérateurs de transport public ?
That’s a very sinister way of looking at things. Nous devons dénicher de nouvelles opportunités. C’est un nouveau schéma avec de nouvelles règles de jeu. À ce stade, j’ai autant d’informations que vous, à travers la presse. Dès qu’on aura des spécifications qui détaillent le projet, on pourra faire une analyse plus pointue et cerner les enjeux.

Malgré ces investissements à tous les niveaux du transport public, ne faut-il pas craindre une sous-utilisation de ce service ?
C’est là où le Demand Management est important. On ne peut consentir un gros investissement et agir comme si c’était des affaires courantes. Les gens devront utiliser davantage le transport public. Les nouvelles opportunités s’y trouvent. Si les gens veulent voyager à bord d’un transport moderne et efficace  –  en Grande-Bretagne, des Chief Executive Officers prennent le train –, ils doivent évoluer dans leur état d’esprit. Aux heures de pointe, rallier Curepipe à Port-Louis prend environ 90 minutes.

Elle dépassera forcément les deux heures. Et là, les gens se poseront la question : est-ce que c’est possible de passer quatre heures de manière improductive ? Dans le métro moderne, on pourra se permettre, comme c’est le cas ailleurs, de continuer à travailler, d’envoyer des e-mails et de lire les journaux. Ce sera plus productif et moins lassant. Le Metro Express améliorera la qualité de vie des Mauriciens.

Le métro viendra-t-il mettre de l’ordre pour de bon dans le secteur du transport selon-vous ?
Ce n’est pas une panacée. Il dépendra de la règlementation. Si vous avez le Metro Express et en même temps des taxis marrons, on risque d’avoir un éléphant blanc. Cela dit, le Metro Express est l’occasion de réinventer le transport public. Réinventer en utilisant des autobus et des taxis roulant sur des batteries au lieu de l’essence et du diesel et devenir une vitrine pour le monde entier. En même temps, on aura droit à davantage de covoiturage, entre autres.

 

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