
Figure emblématique de la vie publique depuis plus de 50 ans, la Speaker de l’Assemblée nationale, juriste engagée, défenseure infatigable des droits humains, poursuit son combat avec une énergie intacte, guidée par une devise toute simple : « Rights, Respect and Responsibility ».
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Née dans la rue Dauphine, à Port-Louis, Shirin Aumeeruddy-Cziffra passe son enfance dans l’avenue Belle-Rose, à Quatre-Bornes. Une grande maison à l’architecture traditionnelle, un verger foisonnant… et des souvenirs de jeux avec ses oncles et tantes. « En plus des mangues et des letchis, il y avait les fruits les plus rares, des cerises, des prunes, des noisettes. Je jouais avec mes oncles et tantes aussi jeunes et même, pour certains, plus jeunes que moi », raconte-t-elle.
À sept ans et demi, elle perd sa mère et grandit dans sa famille maternelle, sous l’influence de deux oncles. Hossen, dit mamou Dias, un avoué qui reçoit ses clients dans le kiosque du jardin, lui apprend à conduire avant même ses dix ans ! D’ailleurs, elle passera son permis du premier coup à sa majorité. De son côté, Raman Osman, futur premier gouverneur général de Maurice, l’initie au goût de la justice et du service public. « Nous allions acheter des cadeaux de fin d’année pour toute la famille », se remémore-t-elle.
Son père, Yousouff Aumeeruddy, fonctionnaire érudit ayant étudié le grec et la latin, transmet le goût des langues à ses deux fils et deux filles. Il leur inculque des valeurs solides : égalité, rigueur et honnêteté. « Il fallait rembourser ce que l’on doit, même si c’est deux sous », dit-elle. Une leçon qu’il appliquait jusqu’à attendre pour lui prêter un crayon bleu et rouge appartenant à l’État qu’il soit si court qu’il ne puisse plus le tenir entre ses doigts…
Au Queen Elizabeth College, le seul collège d’État pour filles de l’époque, l’équivalent d’une Grammar School britannique, Shirin Aumeeruddy-Cziffra reçoit une éducation complète et ouverte. Sa rectrice, Mme Flashman, en fait presque une Finishing School, mêlant sciences, langues, arts, théâtre, et débats. « Je me souviens avoir choisi en plus du français, de l’anglais, des mathématiques et de l’histoire, le sujet Cookery, dont les cours de cuisine étaient très élaborés, et qui comprenait aussi la nutrition. Cela me changeait des études plus traditionnelles et m’a beaucoup servi dans la vie. »
Elle entame un parcours sans fausse note, fidèle à la devise qui la guide : « Rights, Respect and Responsibility ». Présidente du Public Bodies Appeal Tribunal pendant 10 ans, Attorney General, ministre des Droits de la femme et de la famille, première Ombudsperson pour les enfants… et ambassadrice à Paris dans les années 90 : pendant près de 50 ans, Shirin Aumeeruddy-Cziffra enchaîne postes et responsabilités.
En 2022, semi-retraitée, elle reprend sa toge d’avocat. Et puis, l’inattendu : la proposition de devenir Speaker en 2024. Shirin Aumeeruddy-Cziffra hésite. Son entourage, lui, ne doute pas : c’était en quelque sorte le couronnement de sa très belle carrière (voir encadré).
À 76 ans, elle accepte le poste à condition d’une totale indépendance. « Et c’est le cas. » C’est au bout de sept mois qu’elle s’envole en mission à l’étranger, refusant quatre voyages au départ. Puis, elle représente Maurice à la 50e session de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie à Paris, échangeant avec des homologues venus des cinq continents.
Shirin Aumeeruddy-Cziffra est une passionnée qui ne fait rien à moitié. Militante des droits humains, en particulier ceux des femmes et des enfants, elle a décidé de réorienter dans ce sens le Parliamentary Gender Caucus et de consacrer une bonne partie de son temps aux jeunes qui se sont réunis dans l’hémicycle lors de la quatrième session du National Youth Parliament, les 21 et 22 août.
Elle confie avoir été très impressionnée par ces jeunes parlementaires en herbe, conscients des grands enjeux nationaux et internationaux. « Je leur ai parlé de ma devise des trois R : ‘Rights Respect and Responsibility’. Ils l’ont adoptée tout de suite », déclare la Speaker.
Et elle insiste : « En favorisant ce type de rencontre, nous montrons aux jeunes qu’on croit en eux, qu’ils sont non seulement notre avenir, mais qu’ils peuvent dès maintenant participer aux débats citoyens et peut-être même peser sur certaines décisions. »
Entre-temps, alors que le Parlement est en vacances, les députés continuent de travailler en comité. Chaque jour, Shirin Aumeeruddy-Cziffra se rend à Port-Louis, reçoit des personnalités et planche sur des sujets prioritaires.
Prochainement, elle rendra public un rapport intérimaire sur la question linguistique. Le 21 février dernier, à l’occasion de la Journée internationale de la langue maternelle, elle a réaffirmé son engagement : le kreol morisien doit trouver sa place à l’Assemblée nationale, comme elle l’avait déjà fait à la télévision nationale en 2001-2002. Une discussion qui agite le Parlement depuis les années 1970, mais qui semble cette fois sur le point d’aboutir. Les obstacles techniques, linguistiques et juridiques seront enfin levés, offrant à tous les Mauriciens une meilleure compréhension des débats, retransmis intégralement à la télévision. Et elle le sait : de nombreux spectateurs, ici et même à l’étranger, suivent ces séances avec attention, en direct ou en replay, et lui en témoignent régulièrement.
Ce rythme à 100 à l’heure n’aurait toutefois pas été possible sans le soutien inconditionnel de son mari, Claude Cziffra. Il est son grand amour. L’homme discret, l’intellectuel qui lui fait une revue de presse chaque jour quand elle revient fatiguée, ou qui discute avec elle des enjeux sociaux, économiques, voire culturels. « Moi, je suis dans l’action et lui dans l’abstraction », dit-elle. Un bel équilibre entre la juriste et ce sociolinguiste qui vient de publier un petit guide des différences entre le vocabulaire français de Maurice et de celui de France.
Ils se sont rencontrés à Paris, au quartier latin, grâce à un ami commun. Ce qui les a réunis ? Des valeurs fondamentales. « De gauche, comme on disait autrefois. La justice sociale, la méritocratie, le respect des autres, la liberté et la paix. » Par amour, Claude Cziffra s’est installé à Maurice, en 1974. Elle le décrit comme un père exemplaire, et un soutien moral de tous les instants.
La veille du 14 juillet dernier, ils ont célébré leurs 51 ans de mariage. « Nous sommes allés dans un restaurant du quartier latin, seulement avec nos deux enfants, dont l’un vit en France. La grande fête avec 500 000 personnes et des feux d’artifice près de la Tour Eiffel n’était pas en notre honneur », ajoute-t-Shirin Aumeeruddy Cziffra en riant.
Mais ne vous y trompez pas : derrière le verger de son enfance, ses journées rythmée, et son histoire d’amour avec Claude Cziffra, cette Speaker impose ses règles, et personne ne lui dictera sa loi.
Un riche parcours
Députée de Stanley-Rose Hill pendant 15 ans, élue municipale et maire de Beau-Bassin/Rose Hill, elle a occupé son premier poste constitutionnel en 1982 en devenant Attorney General, des fonctions qu’elle a cumulées avec celles de ministre des Droits de la femme et de la famille. Son intérêt pour les droits humains lui a permis d’être, en 2003, la première Ombudsperson pour les enfants après avoir présidé le Conseil d’administration de la Mauritius Broadcasting Corporation. Dans les années 90, elle s’est tournée vers la diplomatie en tant qu’ambassadrice de Maurice à Paris, également accréditée en Italie, en Espagne et au Portugal.

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