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Shaktee Ramtohul : «La classe inférieure et la classe moyenne seront touchées par les mesures budgétaires»

Moins d’une semaine après la présentation du premier Budget de l’Alliance du Changement, les opinions les plus contrastées se font entendre concernant ce document tant attendu. Le Budget 2025/2026 répond-il aux attentes des Mauriciens ? Pour l’expert-comptable et consultant en business, Shaktee Ramtohul, le gouvernement n’a pas trouvé l’équilibre entre un Budget d’austérité et un Budget qui plait au plus grand nombre.

Quelle est votre lecture de ce Budget 2025/2026 ? Est-ce qu’il traite concrètement les grands enjeux du moment ?
Il est clair que le gouvernement actuel a hérité d’un état des finances publiques désastreux. Le Premier ministre l’a indiqué dans le document sur l’état de l’économie présenté à l’Assemblée nationale peu après son entrée en fonction en novembre 2024. Avec un déficit budgétaire atteignant Rs 70 milliards pour l’année 2024/2025 et une dette du secteur public s’élevant au chiffre stupéfiant de Rs 642 milliards, il est clair que l’assainissement budgétaire est l’un des principaux objectifs du budget actuel. De nombreuses mesures ont été prises dans ce sens, notamment par le biais d’un contrôle des dépenses et d’une amélioration des recettes. Toutefois, à ce stade, les mesures budgétaires n’abordent pas des préoccupations majeures comme la sécurité alimentaire, l’inflation, le coût de la vie. Il y a aussi le changement climatique, le chômage, les secteurs innovants pour les jeunes, l’économie bleue et le tourisme. La classe inférieure et la classe moyenne seront principalement touchées par les mesures budgétaires.

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Les mesures qu’il contient pourront-elles atténuer les conséquences sur l’érosion du pouvoir d’achat des Mauriciens ?
Une décision importante sur la réduction des prix de l’essence aurait pu au moins atténuer l’impact d’un coût de la vie élevé grâce à son effet multiplicateur. Le prix du pétrole brut brent a connu une tendance à la baisse au cours des six derniers mois. Le baril était à un peu plus de 66 dollars le 5 juin 2025. Mais, étonnamment, alors que cette question faisait partie du manifeste électoral de l’Alliance du Changement, elle a été complètement, voire ouvertement, ignorée dans l’exercice budgétaire actuel. En outre, la suppression progressive de certaines allocations sociales aura un impact direct sur le revenu disponible des ménages. L’allocation de revenu CSG, l’allocation pour enfant CSG, l’allocation scolaire CSG, l’allocation de grossesse, l’allocation de maternité et le régime d’allégement des prêts au logement disparaissent. Il n’y a pas de mesures claires sur la manière dont le fonds de stabilisation des prix de Rs 2 milliards sera utilisé pour maitriser le coût de la vie.

Une seule année financière suffira-t-elle pour la mise en œuvre de certains gros chantiers, par exemple l’IA que le gouvernement souhaite initier dans l’ensemble des secteurs productifs de l’ile Maurice ?
Si l’adoption de l’IA pour accélérer la transition vers une économie numériquement avancée est une mesure notable, le cadre juridique pour accompagner cette mesure doit être mis en place. À cet égard, l’amélioration de notre loi sur la protection des données pour la rendre conforme aux normes européennes est un pas dans la bonne direction. Cette mesure nécessitera certainement beaucoup de temps et d’investissements, ainsi qu’une formation appropriée qui, selon moi, durera plus de douze mois. En effet, ces systèmes devront également faire l’objet de tests rigoureux avant d’être mis en œuvre. Il est courant d’annoncer dans le budget des projets majeurs qui seront mis en œuvre au cours du mandat de l’actuel gouvernement. Je pense à des projets d’infrastructures, de logements sociaux, de jetée de croisière, de remplacement des canalisations d’eau, pour n’en citer que quelques-uns. Le programme d’investissement du secteur public est une bonne référence en ce qui concerne l’allocation de fonds à divers projets ainsi que leur calendrier.

Ce gouvernement remet sur le tapis le projet de faire de Maurice une Education Hub. À quoi sert une telle ambition ?
La vision d’un Education Hub fait partie du budget depuis plus de dix ans. Les mesures prises à cet effet comprenaient des incitations fiscales pour les prestataires de services éducatifs. Des permis ont été accordés à de jeunes professionnels diplômés à l’étranger dans les budgets précédents. Mais nous devons nous poser les questions suivantes avant même d’envisager de devenir une plaque tournante de l’éducation. Combien de décrocheurs scolaires avons-nous au Primary School Achievement Certificate, au O-Level et au A-Level ? Quel est le nombre actuel de diplômés sans emploi ? L’île Maurice est-elle une destination privilégiée pour un enseignement de qualité ? Avons-nous des universités de haut niveau ? Disposons-nous de systèmes de soutien appropriés pour les étudiants internationaux, allant des politiques de visa à l’adaptation à l’environnement et à la culture locaux, en passant par la garantie de la sécurité des étudiants internationaux ? Enfin, avons-nous des possibilités claires d’études supérieures ? La prise en compte de ces aspects permettra à Maurice de se positionner comme un centre d’éducation sérieux dans la région. La création du nouvel Institut national de recherche et d’innovation est un pas timide dans cette direction.

Ce Budget contient-il de gros projets ‘créateurs’ d’emplois rémunérateurs ?
Dans sa forme actuelle, le budget manque de projets innovants qui pourraient assurer de nouveaux emplois à nos jeunes. Le secteur offshore était certainement innovant dans les années 1990, mais même l’offre de services du secteur offshore est restée assez constante au fil des années. L’investissement dans l’intelligence artificielle peut attirer de nouveaux talents et favoriser de nouvelles opportunités d’emploi, mais l’économie bleue reste un potentiel inexploité. Il est clair que le secteur du tourisme avait besoin d’un changement de paradigme et on nous a fait comprendre qu’ils possédaient les outils visionnaires pour améliorer ce secteur. La seule mention à cet effet pour le secteur du tourisme est un plan directeur. Espérons que celui-ci sera prêt avant les prochaines élections générales ! Avec le nouveau régime fiscal, à savoir l’enregistrement obligatoire à la TVA des entreprises réalisant un chiffre d’affaires de Rs 3 millions, la question se pose de savoir si les petites et moyennes entreprises vont recruter de nouveaux employés.

De nombreux Mauriciens disent leur déception concernant la mesure de relever l’âge d’éligibilité à la pension de retraite de base, de 60 à 65 ans. Que pensez-vous de cette mesure, certains souhaitant plutôt une forme de ciblage ?
Cette mesure a certainement pris la population au dépourvu. En effet, les catégories d’emploi varient à Maurice et une proportion importante de la population est impliquée dans des travaux physiques et mentaux très exigeants. La pression sur la santé de ces catégories d’employés sera évidente. Cette mesure est censée alléger la pression sur le système de retraite dans la mesure où les employés contribueront au fonds de pension pendant de plus longues années avec une gratification différée. Mais une telle décision exige des consultations avec les syndicats. D’une part, nous n’avons pas créé suffisamment de secteurs émergents pour la création d’emplois et, d’autre part, les employés plus âgés conserveront leur emploi plus longtemps. Il ne s’agit manifestement pas d’un exercice équilibré.

Ce Budget contient-il des mesures destinées à élargir nos piliers économiques ?
Le budget actuel est limité à cet égard. Le nouveau régime fiscal applicable aux entreprises et aux particuliers fortunés limite certainement notre marge de manœuvre pour développer davantage l’économie. Il semble que nous soyons dans une impasse en ce qui concerne l’évolution de notre secteur touristique et que l’économie bleue ait été laissée dans les starting-blocks (comme ce fut le cas dans les derniers budgets). Il y a quelques mesures notables, à savoir le lancement de la banque des lingots, l’introduction du commerce de l’art comme nouvelle activité d’exportation, ainsi que le déblocage de Rs 30 milliards dans les énergies renouvelables. Cependant, d’une part, nous montrons des signes de transition vers des énergies plus propres et des émissions plus faibles et, d’autre part, les droits d’accises sont réintroduits sur les véhicules hybrides et électriques. L’augmentation de 30 % de la taxe d’immatriculation payable lors de la première immatriculation d’un véhicule ne manquera pas de nuire à l’industrie automobile.

Voyez-vous des mesures destinées à rompre avec notre modèle économique hérité de l’Indépendance ? S’agit-il véritablement d’un Budget de transition ?
Depuis son indépendance, l’île Maurice a suivi un modèle de développement économique progressif et adaptatif. L’économie sucrière s’est progressivement diversifiée au profit du textile et des entreprises exportatrices, englobant ainsi l’aspect manufacturier et la transition vers une économie de services axée sur le tourisme, l’éducation et les services financiers. La signature de divers accords de libre-échange a permis d’améliorer considérablement les échanges commerciaux. La plupart de ces secteurs continuent de tirer notre PIB en 2025 et continueront certainement de le faire à court et à moyen terme. Nous continuerons donc à nous appuyer sur ces piliers, mais les mesures budgétaires actuelles semblent avoir été conçues pour redresser l’économie au cours des trois prochaines années.

Le gouvernement est-il parvenu à trouver l’équilibre entre un Budget d’austérité et un Budget qui plait au plus grand nombre ?
Il semble qu’il a échoué sur ce dernier point avec le relèvement de l’âge de la retraite, la suppression progressive de certaines allocations, le mépris de la baisse du prix de l’essence, l’abaissement du seuil d’enregistrement des entreprises à la TVA de Rs 6 millions à Rs 3 millions et l’absence de création d’emploi. En outre, les riches pourraient être tentés de délocaliser avec le nouveau régime fiscal. En ce qui concerne le premier point, il est clair que l’assainissement budgétaire était une condition préalable. Le poids de la dette du secteur public est élevé. La CSG exerçait une pression sur le système et le déficit budgétaire augmentait. Le déficit budgétaire estimé pour 2025/26 est de 4,9 % du PIB, ce qui sera possible grâce à des impôts plus élevés et aux recettes de l’accord sur les Chagos.

Le gouvernement réduit-il radicalement ses dépenses ?
Selon les estimations budgétaires, le déficit public pour l’exercice 2025-26 s’élèvera à Rs 37 milliards, contre 70 milliards pour l’exercice précédent. Il est clair que l’écart entre les recettes et les dépenses de l’année précédente appelait des mesures correctives. Toutefois, pour l’année 2025-26, les dépenses publiques devraient s’élever à Rs 261 milliards, les pensions de vieillesse, les dépenses en capital, les subventions et les rémunérations des employés constituant une part importante des dépenses. Par conséquent, en termes de dépenses, la tendance restera à la hausse. Toutefois, le gouvernement actuel compte sur l’amélioration des recettes pour réduire le déficit budgétaire, principalement sous la forme de taxes sur la valeur ajoutée, d’impôts sur le revenu et de droits de douane et d’accises. Il faudra examiner attentivement les rapports du bureau de l’audit pour déterminer si le gouvernement actuel est en mesure de gérer efficacement les finances publiques. Le fait que les débats sur le rapport d’audit national feront partie intégrante des débats parlementaires est une mesure bienvenue pour obliger le gouvernement à rendre des comptes.

Parait-il indispensable que certaines de ces mesures figurent dans le prochain Budget, compte tenu de leur importance et du temps d’exécution ?
Le document du Programme d’investissement du secteur public témoigne que certaines mesures seront exécutées sur une plus longue période, à savoir la construction de logements sociaux, de foires commerciales et de complexes sportifs. Le barrage de Rivière-des-Anguilles est une autre mesure qui apparaît régulièrement dans le budget. L’adoption de l’intelligence artificielle ainsi que de la technologie blockchain sera très probablement une caractéristique des prochains budgets.

Les défis propres aux PME sont-ils traités dans ce dossier ?
Les petites et moyennes entreprises constituent la force vive du pays, puisqu’elles emploient près de la moitié de la main-d’œuvre totale. L’abaissement du seuil d’enregistrement de la TVA à Rs 3 millions augmente la charge administrative de ces entités. Elles devront en effet maintenir et émettre des factures conformes à la TVA et assurer les déclarations de TVA dans les délais impartis. Cette situation pourrait limiter la capacité des petites et moyennes entreprises à se développer et à innover. Le secteur automobile subira certainement le poids des mesures annoncées en ce qui concerne la réintroduction des droits d’accise sur les véhicules hybrides et électriques. Avec l’augmentation des coûts opérationnels, la difficulté d’accéder au financement en raison d’obstacles bureaucratiques et un marché saturé, de nombreuses PME seront limitées pour maintenir leur avantage concurrentiel.

 

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