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Shafick Osman : «Le PM a réussi un coup de poker avec la révocation de son ministre»

Dr Shafick Osman revient sur les récents évènements politiques. Dans son analyse, il commente, entre autres, le défi de Pravind Jugnauth, à  Navin Ramgoolam, de se présenter comme candidat à une éventuelle partielle en remplacement de Vickram Hurdoyal, au No 10. 

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Alors que de nombreux observateurs politiques et l'opposition estiment que le Premier ministre a le devoir de s'expliquer sur les raisons de la révocation de Vikram Hurdoyal, Pravind Jugnauth ne semble pas du même avis. Est-ce que le leader du MSM démontre une nouvelle fois qu'il n'accorde pas la même importance aux valeurs démocratiques ?
Cela n’a rien à voir avec les valeurs dites « démocratiques ». Disons que c’est une pratique commune dans les démocraties libérales, voire occidentales, mais il n’y a rien de blâmable quand un président ou un Premier ministre ne donne pas la raison de la révocation d’un Premier ministre ou d’un ministre. C’est un choix qu’on peut ne pas apprécier, mais ça arrive. On a vu cela, non seulement à Maurice dans le passé, mais aussi à l’étranger. 

Cela dit, il aurait fallu que la cellule de communication du Premier ministre avance une raison, mais elle ne peut pas non plus inventer une raison si, officiellement, il n’y a pas de raison avancée. Le Premier ministre n’a pas fermé la porte, cela dit. Il a fait savoir que si Hurdoyal parle, il le fera aussi, et il a dit publiquement qu’il y a des raisons derrière cette révocation.

Pravind Jugnauth avait pourtant tenu une conférence de presse en 2020 lorsqu'il avait décidé de révoquer Ivan Collendavelloo. Pourquoi cette différence de traitement selon vous ?
Je ne peux pas répondre à cette question, car seul le Premier ministre peut y répondre, à mon avis. Il y a une entente entre le Premier ministre et Vikram Hurdoyal sur un silence mutuel. C’est assez inédit, mais c’est un arrangement entre eux. Dans les coulisses du pouvoir, il y a toujours des non-dits, des silences et des secrets, à Maurice comme ailleurs. Ce n’est pas une nouveauté.

Quelle valeur accordez-vous aux commentaires de Navin Ramgoolam, selon lesquels Pravind Jugnauth aurait fait du chantage à Vikram Hurdoyal, l'obligeant à partir sans faire de grands éclats ?
Je n’ai pas entendu cela de Navin Ramgoolam, mais tout est possible dans des cas pareils. Ce que je retiens, en revanche, c’est que Hurdoyal demeure un membre du MSM, remercie le Premier ministre et sa famille, et fait les éloges du gouvernement, tout en n’étant plus député ! Ce qui met mal à l’aise l’opposition, car il n’est pas récupérable, à l’heure actuelle du moins. En vérité, l’opposition est piégée, car cela aurait pu tourner en sa faveur si les choses avaient été autrement, c’est-à-dire si Hurdoyal avait commencé une sortie contre le pouvoir…

Pravind Jugnauth a aussi déclaré qu'il fera des commentaires sur la révocation de Vikram Hurdoyal en fonction de ce que ce dernier pourrait dire. Quelle impression se dégage d'un Premier ministre lorsqu'il décide d'adopter une telle ligne de conduite ?
Comme je viens de vous dire, il y a une entente entre eux sur un silence mutuel, mais si Hurdoyal parle publiquement, le Premier ministre lui donnera la réplique. Cela sous-entend que cet arrangement est consensuel. Attendons voir les développements dans les semaines ou les mois à venir, si cette affaire aura une suite.

Le Premier ministre a également lancé un défi au leader du Parti travailliste pour qu'il se présente à la partielle, qu'il avance qu'il va organiser au no 10. Compte-t-il réellement mettre l'opposition à l'épreuve selon vous ?
C’est une excellente question et c’est peut-être la question centrale. On peut être étonné que le Premier ministre veuille organiser une partielle à quelques mois des élections générales, mais je pense qu’il a un plan bien ficelé en tête. Toute cette question de révocation de Hurdoyal avec les différentes options possibles a été, à mon avis, soigneusement étudiée par une équipe de conseillers très forte et cela, depuis des semaines et dans le secret le plus total. C’est pour cela que le Premier ministre est si serein, si relaxe, et si sûr de lui, à mon avis. Il sait exactement ce qu’il fait en « demandant » à Navin Ramgoolam de se présenter à cette éventuelle partielle. En vérité, il piège Navin Ramgoolam, ce faisant !

Si le Dr Ramgoolam se présente et gagne, il sera le grand gagnant et il remportera les législatives un peu à la façon de 1995. Si le Dr Ramgoolam perd, ce sera la fin non seulement pour lui, mais aussi pour l’alliance PTr-MMM-PMSD. Et si le Dr Ramgoolam ne se présente pas à cette éventuelle partielle, c’est Pravind Jugnauth qui gagne ! Donc, comme vous voyez, il y a une seule possibilité que le Dr Ramgoolam sorte gagnant de cette nouvelle donne, et c’est assez risqué pour lui et pour l’alliance rouge-mauve-bleu. 

C’est pour cela que j’ai dit sur Radio Plus-Télé Plus mardi dernier que si le Dr Ramgoolam veut vraiment gagner à coup sûr, mieux vaut qu’il se présente dans la circonscription no 2 à Port Louis-Pailles qui, avec la nouvelle délimitation, lui fera gagner très facilement et il sortira automatiquement en tête de liste, selon moi. Il peut aussi migrer au no 3 – sa circonscription native - où il sera élu facilement, mais je ne suis pas sûr qu’il sortira en tête de liste. Ou alors, il peut considérer le no 16, voire le no 15, mais je ne vois absolument pas Kushal Lobine du PMSD lui céder la place à La Caverne-Phoenix. En gros, les régions rurales sont désormais trop risquées pour le Dr Ramgoolam. Vaut mieux qu’il considère les villes pour se faire facilement élire.

Admettons que Pravind Jugnauth décide de faire la même chose qu'en 2019 en promettant des partielles pour finalement organiser des élections générales. Peut-on dire qu'il est donc passé maître dans l'art de semer la confusion dans les rangs de l'opposition ?
Vous avez mentionné le terme exact : maître ! Je crois que contrairement à ce qu’on peut croire avec une analyse rapide ou à la surface, c’est Pravind Jugnauth qui finalement détient les cartes et je pense qu’il a réussi un coup de poker avec la révocation de Hurdoyal et surtout, avec l’annonce d’une partielle au no 10 ! Cette éventuelle partielle peut lui faire gagner assez facilement les législatives, et je pense que tout ceci a été bien calculé, bien planifié ! Mais je dois avouer que ce n’est pas facile à décoder et même ses activistes, députés et ministres ne se retrouvent pas réellement. Mais je crois que tout est déjà ficelé.

Comment interprétez-vous les déclarations persistantes du PM selon lesquelles l'opposition finira par dégringoler, compte tenu du fait que vous avez ces temps-ci vous-même insisté sur le fait que l'opposition a l'obligation de se réinventer pour pouvoir espérer renverser le gouvernement ?
Une semaine est une longue période en politique, ainsi va l’adage. Et dans le cas que nous vivons à présent, nous avons vu exactement cela : en moins d’une semaine, les choses ont dramatiquement changé et l’opposition s’est retrouvée du coup désarçonnée, car Hurdoyal a fait ce qu’elle a demandé, c’est-à-dire présenter sa démission comme député ! L’opposition n’a plus rien à réclamer sur ce dossier à part les raisons de la révocation. Mais vous savez, ce n’est pas cela qui fera gagner l’opposition.

Le grand défi de l’opposition PTr-MMM-PMSD est de gagner en régions rurales, car comme je le dis publiquement depuis 2014 et j’ai été le premier à le dire en public, c’est cette ceinture du no 5 au no 13 qui fait gagner les gouvernements. Puis, quelques années après, j’ai rajouté une partie du no 4 à une partie du no 14. Depuis 2019 surtout, beaucoup s’alignent sur ce que j’avais avancé. Et, valeur du jour, rien n’indique que l’opposition rouge-mauve-bleu a les faveurs de cet électorat décisif, car c’est plutôt le contraire qui est vrai. Mais, comme je l’ai dit à maintes reprises, la décision réelle de l’électorat décisif se prend à quelques jours des élections, d’habitude dans la dernière semaine de la campagne. Donc, tout peut changer d’ici là.

Il y a récemment eu plusieurs événements comme la démission du Campaign Manager de la circonscription no 13 du MSM, les signes d'irritation du ministre Ganoo dans la circonscription no 14, dénonçant la campagne contre sa protégée Tania Diolle, et ensuite, la démission de Hurdoyal, considéré comme un homme fort de l'Est. Est-ce suffisant pour dire que le MSM se retrouve affaibli dans les circonscriptions rurales ?
Absolument pas. Si l’alliance gouvernementale doit connaître des faiblesses en régions rurales, ce serait pour d’autres raisons plus liées aux sensibilités de l’électorat décisif, mais je ne vois pas cela venir de sitôt. Or, on ne sait jamais.

Comme je vous ai dit, le cas Hurdoyal est aujourd’hui sans conséquence, mais on ne sait pas si ce dernier a toujours sa base de votes de quelque 10 000 électrices et électeurs qu’il avait avec son parti Réveil des jeunes en 2014 ! Ce sera un facteur déterminant si jamais il quitte le MSM. 

Autre point : le Premier ministre fera, à mon avis, le grand ménage avant le jour de dépôt des candidatures. Il y a beaucoup de nouvelles et de nouveaux qui seront là, toutes des candidatures bien étudiées pour gagner électoralement. Tout ceci commencerait à se mettre en place ces jours-ci. 

Concernant Alan Ganoo et Tania Diolle, il y a un peu de mécontentements en effet, mais je ne vois pas l’opposition PTr-MMM-PMSD exploiter cela. Et je pense que ces problèmes seront résolus d’ici les élections, même si avec tout partenaire, il y a toujours des compromis et accommodements à faire. 

Parlant des régions rurales, l’extraction de quelque 16 000 électrices et électeurs de Palma, Bassin et de Résidence Kennedy de la circonscription no 14 pourrait poser un défi à Alan Ganoo et à d’autres à Savanne-Rivière-Noire, mais on verra bien ce qu’ils feront. Notons aussi l’extraction de quelque 9 000 électrices et électeurs de Roche-Bois de la circonscription no 5, qui du coup, ancre Pamplemousses-Triolet plus dans la ruralité.

Malgré les dossiers de mauvaise gestion du pays et l'affaire Hurdoyal, est-ce assez pour dire que le MSM est actuellement officiellement en position de faiblesse pour les prochaines élections ?
C’est une perception urbaine, et c’est bien le drame de beaucoup qui s’expriment, car elles et ils voient les choses toujours via le prisme urbain, jamais d’une perspective rurale. J’ai dit et expliqué cela dans une émission avec Prem Sewpal (« Au cœur de l’info ») en mars dernier quand j’étais à Maurice. Depuis toujours, Paul Bérenger parle de « l’île Maurice profonde » et il sait de quoi il en retourne.

Il faut dépasser largement le cadre urbain pour se plonger et voir les choses d’une perspective rurale pour faire une analyse juste, mais je dois avouer que ce n’est pas une chose facile quand on est né et imprégné du tissu urbain ou de la fibre urbaine. Et comme j’ai déjà dit dans le passé, si on se base sur le tissu urbain, le MMM aurait dû rester au pouvoir ces quarante dernières années !

L’alliance gouvernementale n’est nullement en faiblesse parmi l’électorat décisif. C’est bien le contraire ces jours-ci, mais cela peut changer d’ici les élections, bien entendu. Pravind Jugnauth sait mieux que quiconque que sa survie politique dépend de cet électorat. Et bien évidemment, il fait tout pour garder sa popularité dans cette frange décisive de l’électorat à travers diverses initiatives et actions très précises. Mais il fait des efforts assez importants avec ses partenaires pour amadouer les autres composantes de l’électorat mauricien, bien entendu. Et, finalement, ce sont toutes les composantes de la population qui verront si elles appuieront le gouvernement actuel pour les largesses concernant la pension de vieillesse, le salaire minimum, les diverses allocations, les nouvelles infrastructures etc.

Quelles sont les cartes qui seront, selon vous, utilisées par le gouvernement pour reprendre la main prochainement ?
Ma lecture n’est pas la vôtre, mais dans les villes, les partenaires du MSM fourniront un effort supplémentaire, je suppose, quoique le MSM, à lui-seul, possède des bases assez solides au no 1 et au no 4, par exemple. Le no 18 est partiellement acquis au MSM avec Kavi Ramano, et la Plateforme Militante de Steven Obeegadoo devrait garder ses assises au no 17. Je pense que le MSM pourrait créer une petite surprise au no 16, mais je ne m’avance pas trop dessus. Comme vous voyez, l’effort sera fait, à mon avis, dans les villes, avec une consolidation des assises dans les régions rurales. Et puis, comme l’OPR n’a plus le vent en poupe à Rodrigues, il sera utile à l’alliance gouvernementale de penser à Rodrigues car il se peut que le PMSD ait un candidat à Rodrigues. Mais, Paul Bérenger acceptera-t-il cela ?

 

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