Interview

Sen Ramsamy, directeur general de Tourism Business Intelligence: «L’Île Maurice moderne doit aussi se doter de grands hôtels à l’intérieur»

Le dégel de la construction d’hôtels à Maurice risque-t-elle de rétrécir l’espace réservé au public sur le littoral ? Sen Ramsamy n’y croit pas. L’ex-directeur de l’Ahrim et Directeur General de la Tourism Business Intelligence fait ressortir que le moratoire a permis aux hôtels existants d’améliorer leurs performances. Xavier-Luc Duval vient de lever le moratoire sur l’interdiction de construire des hôtels à Maurice. Est-ce une bonne décision ?
Il n’y avait pas d’interdiction sur les constructions d’hôtels à Maurice, mais plutôt un gel temporaire pour permettre aux hôtels existants d’améliorer leurs performances après quelques années de baisse dans la croissance du tourisme. Avec l’augmentation dans les arrivées touristiques depuis 2015, la bonne performance des hôtels en termes de taux d’occupation des chambres, les nouvelles tendances touristiques pour les années à venir, surtout avec l’augmentation de capacité de sièges d’avion vers Maurice, il est tout à fait correct qu’il y ait un dégel sur la construction d’hôtels en sachant qu’il faut près de deux années pour qu’un hôtel de qualité soit construit. D’autre part, rien ne dit que ces nouveaux hôtels doivent absolument être construits sur le littoral. L’Île Maurice moderne, avec une économie qui se veut dynamique et effervescente, doit aussi se doter de grands hôtels à l’intérieur du pays compte tenu des développements importants prévus au niveau des affaires, de la haute finance et des smart cities.
[blockquote]« Chaque hôtel et chaque franchise hôtelière ont une culture de gestion différente. »[/blockquote]
De nombreux petits exploitants de l’hôtellerie déplorent le fait que notre industrie touristique se concentre uniquement sur les attentes de grands hôtels du littoral... Le plus grand problème de petits hôtels vient du nombre excessif de chambres dans le circuit informel. Il y a plus de 5 000 chambres hors-hôtels qui sont disponibles. Elles sont en compétition directe avec les petits et moyens hôtels. Si certains dans la para-hôtellerie sont d’un bon niveau, la majorité offre des facilités et un service qui laissent à désirer. D’une part, les petits hôtels ne peuvent pas généralement concurrencer les grands en termes d’infrastructures et de facilités d’accueil et parfois même en prix de vente, et d’autre part, le secteur informel offre des prix que les petits hôtels ne peuvent se permettre au risque de brader et de fermer boutique. Une fédération syndicale vient de manifester contre le fait que certains hôtels n’emploient que des étrangers à des postes de responsabilité. Est-ce que les Mauriciens ne sont pas formés à ces postes ? La réussite du tourisme dans un pays se fait à partir d’un bon dosage de compétences locale et étrangère. Il faut se rappeler que la clientèle est majoritairement étrangère. Il faut donc comprendre les attentes de la nouvelle génération de voyageurs du monde entier et les nouvelles tendances du tourisme en général. Il est primordial d’avoir les compétences des spécialistes du métier venant de ces mêmes marchés pour comprendre, partager les connaissances et mieux encadrer ces visiteurs. Les Mauriciens ont certes un savoir-faire dans le tourisme, d’où les postes de responsabilité que beaucoup de nos compatriotes occupent à l’étranger. L’inverse est aussi vrai, et surtout pour les hôtels ayant un brand international. Chaque hôtel et chaque franchise hôtelière ont une culture de gestion différente d’où la nécessité d’une bonne synergie entre les compétences locales et étrangères. Sommes-nous en train de séduire durablement la clientèle indienne et chinoise sans pour autant mettre en péril nos marchés traditionnels que sont les pays d’Europe ? On ne peut mettre en péril nos marchés traditionnels en voulant, à juste titre, diversifier nos marchés et maintenir la croissance. On ne peut non plus mettre tous les œufs dans un seul panier pendant trop longtemps et surtout avec ce qui se passe dans nos marchés traditionnels avec cette incertitude économique persistante, les grèves, les attentats en série, les conflits et autre Brexit. D’autre part, les marchés indiens et chinois progressent tranquillement et ce depuis quelques années déjà sur le plan économique et comme pourvoyeurs de touristes. Il serait suicidaire pour toute destination touristique de les négliger en faveur des marchés traditionnels. Il est impératif pour nous de consolider nos marchés en Europe tout en diversifiant notre assiette touristique avec de nouveaux marchés porteurs comme l’Inde, la Chine, la Corée du Sud, le Japon, les pays arabes et l’Afrique. Les restaurateurs, les boutiques artisanales et les autres commerçants montrent toujours du doigt les effets néfastes de la politique du ‘all-inclusive’... Je suis farouchement contre les ‘All-In Packages’. Malgré nos atouts, on se laisse trop dicter par des TOs, surtout européens, toujours plus exigeants et qui aiment traire le maximum quitte à faire saigner la destination. La plupart des destinations qui réussissent leur tourisme vendent en ‘bed and breakfast’ à prix fort ou à la rigueur en demi-pension. À Maurice, on vend en ‘all-in’ à prix faible. C’est une braderie. En même temps, je comprends parfaitement la réaction des restaurateurs, magasins et autres commerçants. C’est inconcevable qu’ils ne peuvent pas bénéficier plus du tourisme alors qu’il est généralement connu que les touristes retournent souvent dans leurs pays avec leur argent non-dépensé. De nombreux observateurs font valoir qu’un trop-plein de touristes - dans un état insulaire comme le nôtre - peut avoir des effets néfastes sur le comportement culturel des Mauriciens. Je ne partage pas cette observation. Il y a, à mon avis, encore de la place pour plus de touristes dans le pays. Cette année, nous recevrons environ 1 240 000 visiteurs. Ce nombre représente une présence quotidienne de seulement 34 000 touristes en moyenne dans le pays sur une population de 1,3 million habitants. Il n’y a pas ce qu’on appelle, en termes techniques, de ‘demonstration effects’ du tourisme, encore moins des effets sur le comportement culturel des Mauriciens à partir des fréquentations touristiques. Il se peut qu’en périodes de pointe, on ressent davantage la présence des touristes dans certaines régions de l’Île. Mais c’est plutôt bon signe, car il reflète alors la bonne santé du secteur. On est encore très loin du seuil de tolérance. De la même manière, des études mondiales réalisées sur l’impact du tourisme sur les petites économies ont démontré que cette industrie surconsommait l’eau, l’électricité d’une part, et d’autre part, impactait sur les prix des denrées alimentaires, dont le poisson et les fruits de mer, privant les populations locales de moyens de les acheter... Autant que je sache, il n’y a pas de surconsommation d’eau et d’énergie dans le tourisme par rapport à la consommation locale. On a qu’à voir des données statistiques. Je me rappelle que les hôtels consommaient, il y a quelques années, moins de 10 % d’eau de la CWA par rapport à la consommation de cette même denrée par les Mauriciens. Des syndicats et certains formateurs en ‘Tourism and Management’ font observer qu’en raison de faibles salaires à certains échelons dans nos hôtels, certains jeunes formés à l’école hôtelière sont tentés par des carrières sur des croisières… Si certains locaux préfèrent partir ailleurs, c’est bien, car c’est une question de l’offre et de la demande. Si des personnes formées à l’école hôtelière trouvent des emplois plus rémunérateurs dans d’autres pays et sur des croisières, je pense que c’est une bonne chose pour le pays et pour eux-mêmes et leurs familles. Plus tard, ils reviendront au pays encore plus compétents et talentueux. C’est aussi une opportunité pour nous de former d’autres jeunes Mauriciens pour prendre la relève.
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