Interview

Sécurité routière - Raffick Bahadoor : «Notre système national de transport est un échec»

Raffick Bahadoor 

Ne pas monnayer les permis de taxi pour quelques votes. C’est la mise en garde lancée par Raffick Bahadoor aux politiciens. Sans langue de bois ni complexe, dans l’entretien qui suit, le président de la Taxi Proprietors Union revient sur l’implantation avortée du service de transport Uber à Maurice.

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Le Conseil des ministres a tranché. Uber ne pourra pas opérer à Maurice. Victoire, diriez-vous ?
Je dirais plutôt que le gouvernement est revenu à de meilleurs sentiments à la suite d’une résistance organisée par la communauté des chauffeurs de taxi pour empêcher qu’Uber ne s’implante à Maurice. Résistance qui, je dois le souligner, s’est faite dans le dialogue.

Mais surtout, les politiciens connaissent l’importance des chauffeurs de taxi durant les campagnes électorales, n’est-ce pas ?
Je ne vais pas associer la politique à toutes les décisions gouvernementales. Cependant, je ne vais pas vous cacher que les politiciens, quel que soit leur bord, connaissent notre force de frappe lors des campagnes électorales. Du fait que nous sommes en contact direct avec le public, nous pouvons faire pencher la balance d’un côté comme de l’autre. Nous savons comment mener une campagne sournoise. Nous l’avons fait par le passé. Nous n’hésiterons pas à le faire dans le futur, si besoin est.

Nous lançons aussi une mise en garde à la compagnie Yugo, qui propose plus ou moins le même service qu’Uber»

Pourquoi Uber vous fait-il peur ?
Nous n’avons pas peur d’Uber ! Nous nous sommes opposé dans le passé au taximètre et nous avons eu raison de le faire. C’est avec la même conviction que nous nous opposons aujourd’hui à Uber. J’ai, noir sur blanc, sa proposition qui consiste à retenir 25 % du montant d’un trajet et la garantie de pratiquer un tarif plus compétitif. De plus, il propose d’offrir Rs 5 000 à chaque chauffeur qui fera parvenir un nouvel adhérent. Je voudrais bien savoir quelle formule mathématique magique il a utilisé pour pouvoir faire de telles propositions.

Avez-vous peur qu’Uber ne vienne confirmer que la moitié des détenteurs d’un permis de taxi n’ont jamais fait une course de leur vie ?
Ce n’est pas à moi de répondre à cette question, mais plutôt au ministre du Transport, s’il y a une perception que 50 % des détenteurs de permis n’opèrent pas. Nous sommes disposés à apporter notre aide, car nous connaissons ceux qui opèrent, ceux qui ne le font pas, ceux qui bénéficient de protection ou encore ceux qui bénéficient de la protection des politiciens. La NTA doit, elle aussi, assumer ses responsabilités.

Justement, cela vous surprend-il que même la NTA semble fermer les yeux, malgré le manque à gagner substantiel que cela représente pour l’État en termes de ‘duty free’ ?
Cela ne me surprend pas que des politiciens font de la politique sur l’octroi des permis de taxi et qu’ils sont responsables de la situation que nous vivons aujourd’hui. D’ailleurs, je ne serais pas non plus surpris si, après l’institution d’une commission d’enquête sur la NTA, nous devions construire un deuxième Melrose (ndlR., une prison). Plusieurs maldonnes ont d’ailleurs déjà éclaté au grand jour, impliquant des cadres de la NTA. 

Le dossier est clos. Tout est bien qui finit bien ?
Il faut que cela serve de leçon à certains de nos décideurs, qui font la sourde oreille. Voilà le résultat lorsqu’il n’y a pas de communication. Nous lançons aussi une mise en garde à la compagnie Yugo, qui propose plus ou moins le même service qu’Uber. Nous en avons fini avec Uber, nous n’allons pas rester les bras croisés. Nous n’accepterons jamais que certains font travailler les taxis pendant qu’eux, ils restent assis. Nous accorderons notre considération uniquement lorsque nous serons partie prenante d’un projet bénéfique aux chauffeurs de taxi.

L’octroi de permis ne devrait surtout pas se faire à la veille des élections, afin d’obtenir quelques votes»

Qu’est-ce qui explique que les bases d’opération se sont vidées au fils des années ?
Une amélioration des systèmes de communication. Je m’explique. Aujourd’hui, tout le monde possède un téléphone. Ce n’est surtout pas pour manquer du respect envers qui que ce soit, mais même les mendiants en possèdent. Ce qui permet aux membres du public de faire appel aux taxis sans même bouger de chez eux. La communication a pris le dessus sur la tradition. Sans compter qu’à l’instar des ‘médecins de famille’, le concept ‘taxi familial’ s’est aussi développé à travers lequel une personne peut solliciter les services d’un chauffeur de taxi en lequel il a confiance pour effectuer tous ses déplacements.

Ne serait-ce pas plutôt parce que les tarifs pratiqués sont considérés exorbitants ?
Notre tarif est directement lié au prix de l’essence. Je prends l’exemple d’un ‘local’ que nous facturons à Rs 100. La moitié, soit Rs 50 environ, est absorbée par le prix de l’essence. Pour le reste, soit l’autre Rs 50, la moitié représente les frais liés à la voiture : l’acquisition, l’assurance, la maintenance, etc. Qu’est-ce qu’il nous reste ? Rs 25 ! Or, notre système national de transport est un échec et nous nous retrouvons parfois à devoir casser les prix. Croyez–moi, si les taxis ne sont pas en opération dans certains endroits, des employés ne pourront jamais arriver à l’heure sur leur lieu de travail.

Faut-il cesser d’accorder de nouveaux permis et procéder, à la place, à une redistribution ?
L’octroi des permis de taxi se fait en tenant compte le nombre par tête d’habitants dans un endroit précis. Il y a des poches, qui se développent dans certains endroits et qui influent sur la démographie, en augmentant le nombre d’habitants. Il faut, dans ce cas précis, augmenter le nombre de taxis afin de répondre à la demande et d’offrir un service adéquat. C’est le cas aussi pour les nouveaux centres commerciaux. Il y en a de plus en plus. Il faut peut-être transférer certaines bases vers des endroits où la demande est plus forte. Quoi qu’il en soit, l’octroi de permis ne devrait surtout pas se faire à la veille des élections, histoire d’obtenir quelques votes.

Pensez-vous que les nouveaux règlements sur la sécurité routière donnent des résultats escomptés ?
(Éclat de rires) Alors là, pas du tout. Ces nouveaux règlements ne sont que des trompe-l’œil. C’est une occasion ratée pour le gouvernement, surtout dans un contexte où les accidents sont légion, de faire ce qui aurait dû être fait. Je pense plutôt que l’aspect économique a pris le dessus lors de l’élaboration de ces nouveaux règlements.

À vous entendre, vous semblez détenir la solution ?
Il aurait fallu être plus sévère pour les sanctions, sans pour autant en faire une affaire d’argent. Surtout, il y a un aspect qui, semble-t-il, a été totalement négligé : l’éducation. Sans compter que certains règlements frisent le ridicule. Je ne cautionne certainement pas l’utilisation du portable au volant, mais avec l’option ‘handsfree’, un conducteur peut conduire tout en ayant une conversation au téléphone.

 

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