Le Financial Crimes Commission Bill a été au cœur des débats à l’Assemblée nationale le mardi 12 décembre 2023. Ce texte de loi prévoit la création d’une agence dont la mission sera de renforcer la lutte contre tous les crimes en col blanc tant dans la fonction publique que dans le secteur privé. Quelles sont les implications de cette commission ? Comment est-elle accueillie ? Le point.
Depuis que sa création a été annoncée, la Financial Crimes Commission (FCC) ne cesse de faire couler de l’encre. Elle a été largement débattue le mardi 12 décembre 2023 à l’Assemblée nationale. Comment est-elle accueillie dans le secteur privé ? Est-elle redoutée ? Est-elle attendue avec impatience ?
Hafeez Toofail, expert dans le secteur financier, estime que cela constitue une étape décisive dans le
renforcement de la capacité de Maurice à lutter contre les crimes financiers en rassemblant l’expertise des agences existantes. « Une telle institution revêt une importance capitale à l’heure où nous franchissons une nouvelle étape dans la lutte contre la criminalité financière », affirme-t-il. La création d’une FCC, poursuit-il, peut consolider l’expertise ainsi que les ressources nécessaires pour identifier, enquêter et combattre les crimes financiers complexes.
Beelal Baichoo, professionnel en compliance abonde dans son sens. Il salue les mesures concrètes prises pourmettre en place la FCC, lesquelles ont été annoncées il y a plusieurs années dans le cadre de l’exercice budgétaire. « Il s’agit d’un nouveau pas dans la bonne direction dans la lutte acharnée contre l’argent sale. Nous espérons que cela facilitera la tâche de toutes les parties concernées, y compris la majorité des opérateurs qui veut faire du business de manière légitime, honnête et professionnelle », souligne-t-il.
Tahir Wahab, expert-comptable, fait ressortir qu’au niveau de la comptabilité, la FCC a pour mission de jouer un rôle crucial dans la lutte contre la corruption en faisant respecter les lois anti-blanchiment d’argent et en enquêtant sur les irrégularités financières. « C’est conforme à nos principes. La profession comptable promeut constamment la transparence, mène des audits approfondis et veille au respect des pratiques comptables éthiques pour prévenir la manipulation des registres financiers à des fins de corruption », soutient-il.
Accent sur la bonne gouvernance réclamé
Hafeez Toofail estime qu’il est primordial de s’assurer que la FCC s’aligne parfaitement sur les dispositions constitutionnelles et les principes sous-jacents, ainsi que les institutions existantes. Cela, poursuit-il, permettra de préserver l’équilibre entre des capacités réglementaires renforcées et la protection des principes juridiques fondamentaux.
Ce n’est pas Beelal Baichoo qui dira le contraire. « Malgré les bonnes intentions, les autorités doivent veiller à ce que le fonctionnement de la commission proposée soit juridiquement structuré de manière à ce que ses décisions ou ses enquêtes ne puissent pas être facilement contestées devant les tribunaux ou des institutions similaires », souligne-t-il.
Il se réfère notamment à des questions d’ordre opérationnel, telles que les pouvoirs de la FCC, son modus operandi, la nomination de ses responsables et la perception que les citoyens ont de la commission. « N’oublions pas qu’elle est au service de la nation et qu’il est essentiel qu’elle puisse lui faire confiance. Ce qui ne sera possible que si elle fonctionne selon des principes de bonne gouvernance », insiste-t-il.
Tahir Wahab estime, pour sa part, qu’il faut s’assurer que la FCC ne devient pas un « revers à double tranchant » si le gouvernement en place ne revient pas au pouvoir. « Une telle loi doit avoir des mécanismes pour protéger les droits de chaque individu et promouvoir la bonne gouvernance. Il faut à la tête de la FCC une personne de calibre ayant une indépendance d’esprit et d’action », explique-t-il.
La Financial Crimes Commission a pour mission de jouer un rôle crucial dans la lutte contre la corruption en faisant respecter les lois anti-blanchiment d’argent et en enquêtant sur les irrégularités financières.»
Les implications de la création de la FCC
Partenariat public-privé
Selon Hafeez Toofail, la FCC aidera à mettre davantage l’accent sur le combat contre les crimes financiers. « Le partenariat public-privé proposé à la clause 135 du projet de loi est un point très positif », dit-il.
Il ajoute que des partenariats public-privé efficaces constituent un aspect-clé dans la lutte mondiale contre les crimes financiers. « La prévention et la détection des cas dépendent largement de la mise en œuvre, par le secteur privé, de programmes efficaces contre de tels crimes. »
Beelal Baichoo est du même avis. « On s’attend à ce que la FCC génère davantage de synergies, d’économies d’échelle et moins de concurrence, voire de conflits, entre les autorités concernées dans la lutte contre toutes les formes de délinquance financière, et ce, au bénéfice du pays en fin de compte », soutient-il.
Indépendance des influences politiques
Hafeez Toofail explique que la FCC est un regroupement d’entités existantes. La préoccupation majeure, selon lui, réside dans l’évaluation de l’indépendance même de la commission par rapport aux influences politiques.
« Le mode de nomination du directeur général de la FCC reflète le même mécanisme déjà en vigueur pour l’Independent Commission against Corruption (Icac). L’indépendance est un facteur crucial pour garantir que la FCC fonctionne sans ingérence politique indue », souligne l’expert financier.
Cependant, il rappelle que de nombreux débats ont déjà eu lieu sur les pouvoirs du futur directeur général et les pouvoirs quasi constitutionnels qui lui sont conférés. « Nous espérons que tous ces éléments seront clarifiés et renforcés au fur et à mesure que nous progresserons dans les débats à l’Assemblée nationale sur cet important projet de loi », dit-il.
Absence d’une définition précise des crimes financiers
La définition des crimes financiers dans le FCC Bill est notablement insuffisante, selon Hafeez Toofail. « Le projet de loi fait certes référence à la partie III et à toute infraction à des lois régissant des autorités financières. Mais il omet un aspect essentiel : une définition claire de ces autorités », déplore-t-il.
Ce qui, dit-il, soulève une question pertinente : quelles sont ces autres lois ou encore ces infractions pour lesquelles la FCC peut engager des poursuites ? « Il est primordial d’établir une définition complète et précise des crimes financiers. Cela devrait impliquer la création d’une liste détaillée offrant une clarté sur le mandat de la FCC », fait ressortir l’expert financier.
Il trouve tout aussi important que cette liste reste dynamique et subisse des mises à jour régulièrement. Il faudrait qu’elle contienne les ruses utilisées par les criminels financiers, lesquelles sont en constante évolution.
Cadre anticorruption plus solide
Tahir Wahab est d’avis que la collaboration avec la FCC peut aider les comptables à identifier et à signaler des transactions suspectes, contribuant ainsi à garantir un cadre anticorruption plus solide. « Les implications des nouvelles commissions de lutte contre la criminalité financière peuvent inclure des efforts renforcés pour lutter contre des crimes financiers, tels que le blanchiment d’argent, la fraude et la corruption », ajoute-t-il.
Examen accru des institutions financières
Tahir Wahab estime que la création de la FCC pourrait entraîner un examen accru des institutions financières, des cadres réglementaires améliorés et des mécanismes d’application plus efficaces. De plus, dit-il, cela pourrait avoir des implications sur les entreprises en matière de conformité et de gestion des risques. « L’objectif global est de renforcer l’intégrité du système financier et de réduire la prévalence des activités illicites », rappelle-t-il.
Crimes en col blanc
Les crimes en col blanc, également appelés délits financiers, font référence à des activités criminelles commises par des personnes occupant des postes de pouvoir, souvent dans le cadre professionnel ou des institutions financières. Ils impliquent généralement la manipulation, la fraude ou le détournement de ressources financières à des fins personnelles.
Quelques exemples courants de crimes en col blanc : la falsification de documents ; la manipulation des états financiers et des moyens frauduleux pour obtenir un gain financier illégal ; le processus par lequel des fonds obtenus illégalement deviennent légitimes après être passés par des transactions financières complexes ; l’abus de pouvoir pour obtenir des avantages personnels, que ce soit sous forme de pots-de-vin ou de faveurs ; ainsi que la production et la distribution de biens contrefaits, tels que des produits pharmaceutiques, des œuvres d’art ou des produits de luxe.
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Comment accueillez-vous la création de la FCC ?
La mise sur pied d’une institution spécialisée dans la détection et l’investigation des cas de blanchiment d’argent, de crimes et de fraudes financières est une initiative louable. Sur le papier, elle semble promettre une grande efficacité.
Maurice avait été critiqué par des organismes internationaux. Il s’était retrouvé sur la liste noire de l’Union européenne pour « failure to demonstrate that law enforcement authorities have capacity to conduct complex money laundering investigations, including parallel financial investigations and complex case ». La commission pourrait contribuer à combler cette lacune technique identifiée par les instances internationales et démontrer la volonté de Maurice d’être une juridiction transparente.
Dans quelle mesure la commission peut-elle aider à consolider davantage la réputation de Maurice en tant que juridiction solide ?
Il est impérieux d’avoir les capacités nécessaires et surtout une expertise incontestable, avec des connaissances poussées en matière de moyens utilisés par les malfaiteurs tant dans le domaine du blanchiment que dans le trafic de stupéfiants, afin de détecter à temps les crimes en col blanc. Cela pourrait renforcer la confiance des investisseurs étrangers dans notre pays et à terme, consolider la réputation de Maurice en tant que juridiction solide qui applique les principes de l’OCDE.
Quelles sont les implications de la FCC ?
Le système de type « all in one » et centralisé permet, en théorie, de réagir avec une plus grande rapidité, de prendre des sanctions efficaces et d’éviter la fuite d’informations entre différentes institutions. Cependant, en tant qu’avocate, je me dois d’être prudente : un des fondamentaux de notre Constitution demeure la séparation des pouvoirs, ce qui va bien au-delà des partis politiques de tous bords.
La lecture du projet de loi pourrait sous-entendre une concentration des pouvoirs dans les mains d’une seule et même personne dont l’indépendance pourrait également être questionnée. Le pouvoir d’accuser, d’enquêter et de sanctionner simultanément, sans une contrebalance clairement définie, peut être dangereux.
Business Mauritius étudiera les aspects du projet de loi
Au niveau de la communauté des affaires, Business Mauritius devra étudier les aspects du projet de loi avant de se prononcer sur le sujet.
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