Alors que le ministère de la Santé annonce l’embauche de plus d’une centaine de praticiens, les syndicats médicaux dénoncent un trompe-l’œil qui ne résout pas la pénurie chronique de personnel.
Le 18 novembre dernier, le ministre mauricien de la Santé, Anil Bachoo, célébrait l’intégration de nouveaux médecins dans le service public. Saluant « la persévérance, le courage et la détermination de ceux qui ont choisi de se consacrer à cette profession noble mais exigeante », il affirmait que l’arrivée de ces officiers contribuerait à renforcer le système et à améliorer la qualité des soins.
Sur le papier, les chiffres impressionnent : 111 médecins généralistes recrutés. Mais dans les faits, les syndicats du service de santé public dénoncent un écart considérable entre l’annonce ministérielle et la réalité du terrain. Loin de résoudre le manque chronique de personnel qui perdure depuis des années et s’accentue avec les départs à la retraite, ce recrutement ne serait qu’« un coup d’épée dans l’eau ».
Le Dr Vinesh Sewsurn, président de la Medical Health Officers Association (MHOA), et le Dr Meetheelesh Abeeluck, président de la Government Medical and Dental Health Officers Association (GMDOA), sont unanimes : il ne faut pas « faire preuve de malhonnêteté intellectuelle » dans la présentation de ces chiffres. Leur analyse converge sur un constat implacable : le recrutement effectué ne fait pas de grand changement dans le service de santé public.
Le Dr Sewsurn dévoile les dessous de ces statistiques flatteuses. Dans la fonction publique coexistent deux types de contrats : les contrats temporaires, renouvelés mensuellement ou annuellement, et les contrats permanents sous l’égide de la Public Service Commission (PSC).
« Si les médecins ‘recrutés’ étaient déjà employés selon un contrat temporaire et sont recrutés sous un contrat permanent, il n’y a pas de nouveau effectif car c’est le contrat du même médecin qui change », explique-t-il. Le nombre de personnel n’évolue donc pas réellement.
Une quarantaine des 111 médecins recrutés sur une base permanente travaillaient déjà sous contrat temporaire. Les autres exerçaient dans le secteur privé, en clinique ou à leur compte. « S’ils sont à leur compte, ils peuvent se joindre au service public sans délai, mais si c’est dans une clinique privée, ils doivent donner un préavis au préalable », précise le Dr Sewsurn.
Ce qui explique que certains n’ont pas encore rejoint leur poste. « Il ne faut pas faire un amalgame entre le recrutement par la PSC et l’absorption des médecins qui sont déjà dans le système de la santé public », insiste-t-il.
Les chiffres officiels se heurtent à la réalité des établissements de santé. En moyenne, seulement 2 à 5 médecins par hôpital régional se sont effectivement présentés, selon le Dr Sewsurn. Un médecin chef de service, qui a requis l’anonymat, illustre cette contradiction : sur une liste d’une vingtaine de médecins qui devaient rejoindre son établissement, seulement quatre se sont présentés. Un nombre insuffisant pour combler le manque aigu de personnel.
Le Dr Abeeluck confirme : « Il n’y a pas beaucoup qui ont fait le reporting. » Parmi ceux qui ont reçu leur lettre de la PSC, certains ne se sont jamais présentés. « Ce n’est que quand ils vont venir pour le ‘reporting’ qu’on pourra dire concrètement qu’ils ont rejoint le service public en acceptant les conditions de travail », souligne-t-il. Selon lui, un scénario similaire s’est déjà produit à deux reprises dans le passé. En fin de compte, le nombre de nouveaux arrivants est donc inférieur à 100. « La situation reste critique et chronique malgré les recrutements qui ont été annoncés », alerte le Dr Abeeluck.
Un impact limité sur le terrain
Cette pénurie a des conséquences concrètes : selon un chef de service hospitalier, certains dispensaires ne peuvent plus opérer l’après-midi faute de personnel, tandis que certains médecins refusent de faire des heures supplémentaires, le paiement de celles déjà effectuées n’ayant pas été honoré après plusieurs mois. Le service de santé public, avec son manque chronique de personnel, serait « au bord de l’asphyxie ».
Les conditions de travail demeurent au cœur des préoccupations. Selon le Dr Sewsurn, le salaire est dérisoire pour ceux qui débutent dans le service public : Rs 41 000, contre le double dans le privé, auquel s’ajoutent diverses allocations.
« Pour moi, il y a un mismatch », soutient-il. Le système de rotation mal planifié laisse de nombreux praticiens « à bout de souffle à la fin de leur service ».
Malgré ces critiques, le Dr Sewsurn se félicite que le ministère poursuive ses efforts de recrutement. Le syndicat a toujours milité pour cela et plaide pour des embauches régulières, non sporadiques. « Il devrait y avoir des recrutements chaque année pour pallier le manque d’effectif, remplacer les médecins généralistes qui vont faire des études de spécialisation, mais aussi ceux qui prennent leur retraite », explique-t-il.
Ces recrutements devraient également permettre de doter en personnel les nouvelles unités et services proposés, tant au niveau national que régional. La demande pour des médecins généralistes reste constante.
Le président de la MHOA salue d’ailleurs ceux qui ont effectivement rejoint le service public. « Ce n’est pas quelque chose de facile de travailler dans le service de santé public avec la pression qui existe au niveau des hôpitaux régionaux et les divers centres de santé qui y sont attachés. Nous sommes très heureux qu’ils se sont joints au service public pour nous donner un coup de main. »
Nombreux sont les médecins qui attendent désormais la publication du Pay Research Bureau (PRB) pour décider de leur avenir dans le service public, rapporte un chef de service hospitalier. D’autres ont déjà pris la décision de quitter le secteur public. Le PRB n’aide pas non plus à améliorer les conditions de travail, selon le syndicaliste. « Mais tout est fait pour faire fonctionner le système malgré tout », affirme le Dr Sewsurn.
Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !

