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Santé : défis persistants surtout avec un manque accru d’effectif dans les hôpitaux

Malgré les annonces de recrutement et les investissements prévus dans le budget 2025-26, les professionnels de la santé restent sceptiques quant à l’amélioration des services hospitaliers face au manque chronique de personnel.

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Pour avoir une bonne qualité de service dans les hôpitaux, il faut avoir les ressources humaines nécessaires, font comprendre nos différents interlocuteurs. Pour eux, il ne suffit pas d’avoir des infrastructures et des équipements modernes, il faut aussi avoir suffisamment de personnel pour travailler dans les divers départements et services disponibles.

Depuis ces dernières semaines, des annonces pour le recrutement de personnel pour le compte du ministère de la Santé ont été publiées. Parmi les professionnels de santé demandés actuellement, on retrouve des médecins urgentistes, Medical and Health Officers et Senior Medical Health Officers ainsi que des Community Health Development Motivator.

Dans le budget, le recrutement de 1 000 trainee nurses (échelonné sur trois ans), de même que 50 médecins généralistes et 30 spécialistes ainsi que la formation de 50 sages-femmes sont prévus. Le budget pour l’année financière 2025/26 prévoit également Rs 44 millions pour la formation et le renforcement des capacités dans le secteur de la santé.

Soulagement insuffisant 

Si ces recrutements sont bien accueillis, ils ne seront pas suffisants pour améliorer la qualité des services. Car les différents départements et services font face à un manque cruel de personnel depuis plusieurs années et la situation n’a fait qu’empirer. Ainsi, le nombre qui est proposé ne va apporter qu’un petit soulagement parce qu’il faut aussi prendre en considération que, dans certains cas, les personnes qui seront recrutées vont mettre trois ans avant d’être pleinement opérationnelles. Par exemple, les aspirants infirmiers. Il y a aussi ceux qui sont sur le point de prendre leur retraite.

« Il faut avoir du personnel pour travailler », avance le Dr Meetheelesh Abeeluck. Pour le président de la Government Medical and Dental Association (GMDOA), les diverses annonces de recrutements qui ont été effectuées sont une bonne chose, mais encore faut-il pouvoir trouver du personnel.

Recrutement des retraités

Dr Abeeluck a commenté l’annonce du recrutement des infirmiers qui ont déjà pris leur retraite jusqu’à l’âge de 70 ans. Il est d’avis que cette mesure ne va pas apporter un soulagement ou une amélioration dans la qualité des services. « Les personnes à cet âge souffrent peut-être de diverses maladies chroniques. Ainsi on ne peut s’attendre à ce qu’ils aient la même énergie que les plus jeunes », dit-il. « Comment va-t-on les distribuer dans le service ? Va-t-on leur donner un travail plus léger en comparaison avec les autres ? » 

Pour lui, il y a le risque de discrimination, d’autant plus que ces infirmiers qui se sont déjà retirés du service, mais appelés en renfort, ne seront peut-être pas disposés ou disponibles pour effectuer le shift de nuit. « Vont-ils travailler dans les dispensaires ou les Mediclinics ? »  Selon lui, certains membres du personnel ont « tiqué » quand ils ont vu l’annonce du recrutement des infirmiers déjà à la retraite.

Concernant l’annonce d’anesthésistes ou encore de radiologues, le Dr Abeeluck affirme qu’il n’y en a pas sur le marché actuellement. Il se demande si le salaire qui pourrait être proposé aux spécialistes étrangers sera suffisamment attrayant pour les attirer. « Ceux qui travaillent en Inde par exemple ont déjà une bonne rémunération et ils ne vont sûrement pas quitter ce qu’ils ont déjà pour venir travailler à Maurice », estime le Dr Abeeluck. Pour lui, on ne peut comparer aux salaires que peut offrir le service privé, qui offre de nombreux avantages en comparaison avec celui du public.

Il soutient également qu’il a des réserves quant aux compétences des médecins spécialistes qui pourraient venir. Selon lui, il y a eu divers problèmes avec certains des médecins étrangers qui avaient été recrutés dans le passé et le ministère de la Santé a dû annuler leur contrat. D’autre part, il est d’avis que le salaire proposé pour les premières années de service d’un médecin – Rs 41 250 – n’est guère attrayant selon lui.

Concrétiser les mesures

Concernant les autres annonces faites dans le budget, le Dr Abeeluck explique que divers services existent déjà et qu’il faut avoir suffisamment de personnel pour pouvoir les mettre en œuvre. « Il faut avoir du personnel pour concrétiser les mesures qui ont été annoncées », insiste-t-il. Il cite en exemple l’e-health qui a besoin de personnel pour numériser les dossiers des patients et faire la collecte et l’input des données dans le système.

Entre optimisme et inquiétudes

Rajshree Thylamay, présidente de l’Union des travailleurs du ministère de la Santé, ajoute que c’est encourageant de voir le gouvernement prendre des mesures concrètes pour moderniser le système de santé face aux défis actuels. Il y a notamment les maladies non transmissibles, le vieillissement de la population et les effets du changement climatique. « Le programme 'Path to Remission' semble prometteur, surtout avec un soutien financier important et une approche centrée sur la prévention », dit-elle.

Mesures positives

« L’augmentation des taxes sur les produits nuisibles à la santé comme l’alcool, le tabac et le sucre est une mesure courageuse et nécessaire dans la lutte contre les maladies non transmissibles », ajoute-t-elle. « Il est également rassurant de voir des efforts concrets pour renforcer la gestion hospitalière, assurer le contrôle qualité à travers la création d’une National Health Quality Commission et introduire un bureau de l’Ombudsperson pour protéger les patients contre les abus. »

Nombreux sont les spécialistes qui après leur formation préfèrent exercer dans le service privé que dans le service public.»

Rajshree Thylamay fait aussi ressortir que la numérisation des services de santé avec les dossiers médicaux électroniques et les téléconsultations est aussi un pas important vers l’efficacité et la modernisation. « J’espère que ces transformations seront accompagnées par une formation adéquate du personnel de santé et une consultation active avec les partenaires sociaux afin d’assurer une mise en œuvre inclusive et durable de ces mesures », dit-elle.

Équation infrastructures-personnel

La présidente de l’Union des travailleurs du ministère de la Santé fait aussi ressortir que les investissements annoncés, notamment dans les infrastructures, les équipements et les ressources humaines, sont des signaux forts de l’engagement du gouvernement en faveur d’un système de santé plus réactif et accessible. Cependant, à quoi serviront-ils s’il n’y a pas suffisamment de personnel pour travailler ?

Rajshree Thylamay cite en exemple l’ouverture prochaine du nouvel hôpital ophtalmologique de Moka, le nouveau centre de transplantation rénale et de dialyse à l’hôpital Jawaharlal Nehru ou encore le SAJ Hospital. « Où allons-nous trouver du personnel pour ces nouveaux services et ces infrastructures plus spacieuses ? » demande-t-elle.

Le renforcement de la formation avec un doublement du budget, le recrutement d’élèves-infirmiers, de sage-femmes, de médecins généralistes et de spécialistes est particulièrement encourageant pour relever les défis actuels, dit-elle. Cependant, le nombre ne sera pas suffisant. Avec l’accroissement de la population et les diverses demandes, mais aussi avec le départ à la retraite d’une partie du personnel, c’est une trentaine de sage-femmes qu’il aurait fallu recruter tous les ans. En ce qui concerne les infirmiers, les 1 000 échelonnés sur trois ans seront vite absorbés.

« Si on ne recrute que ce nombre de personnes, le système de la santé sera malade », estime-t-elle. Elle déplore que le recrutement de personnel médical et paramédical ait été annoncé. Mais aucune mention n’a été faite en ce qui concerne les travailleurs manuels. Et le système public de santé dépend d’eux. « Il y a un grand manque de cette catégorie de travailleurs dans les hôpitaux alors qu’on a besoin d’eux pour maintenir la propreté dans les hôpitaux », souligne notre interlocutrice.

Rajshree Thylamay avance qu’avec un budget total de Rs 18,5 milliards, il sera essentiel que la mise en œuvre se fasse de manière transparente et inclusive. Elle devra se faire en collaboration avec les professionnels de santé et les partenaires sociaux afin de garantir une amélioration réelle des soins pour toute la population.

Il aurait mieux fallu lancer l’e-health dans son intégralité et non partiellement.»

Motivation du personnel

Selon la Medical Records Power Union, les mesures énoncées dans le budget ne vont pas grandement améliorer la qualité des services dans les hôpitaux. « Il faut avant tout que les membres du personnel aient envie de travailler », lance un membre de ce syndicat. Selon lui, les jeunes qui entrent dans le service de santé public n’ont pas autant d’engagements que leurs aînés.

Notre interlocutrice est aussi d’avis qu’il ne faut pas non plus recruter ceux qui possèdent de grandes qualifications et qui sont rapidement « over qualified » pour le travail qu’ils font. « S’ils possèdent de trop grandes qualifications, ils ne vont pas accepter les conditions de travail actuelles. Ils vont venir uniquement pour toucher un salaire, mais sans chercher à faire plus que cela », fait observer le membre du syndicat. Notre interlocutrice ajoute qu’il y a de nombreuses déceptions en ce qui concerne les rémunérations et les conditions de travail.

E-health

Parlant de la mise en place du e-health dans le service de santé public, le membre du syndicat est d’avis que ce sera une bonne chose. Mais une implémentation partielle du système ne va pas changer grand-chose dans le service qui est donné, fait remarquer notre interlocuteur. Il n’y a que les noms des patients qui seront numérisés, alors que toutes les informations médicales vont continuer à se faire selon le système actuel, selon notre interlocuteur.

Pour le syndicat, il aurait mieux fallu lancer l’e-health dans son intégralité et non partiellement. Même si la modernisation du service et l’amélioration de l’environnement de travail du personnel et des patients sont bien accueillies, elles ne suffisent pas pour améliorer la qualité de service.

Il y a un manque chronique de personnel à tous les niveaux dans les services de santé.»

Qualité des soins

Le manque de ressources humaines ne va pas permettre un service plus personnalisé ou une qualité de temps nécessaire aux patients pour leurs soins, fait comprendre le syndicat. « Une personne qui a accompli son shift normal et qui se retrouve à la fin de la journée à devoir faire des heures supplémentaires pour remplacer un collègue absent pour le service de nuit deux jours de suite n’a pas le même courage pour continuer à travailler », explique notre interlocuteur. Bien qu’ils soient payés pour ces heures supplémentaires, il est clair que ceux qui doivent cumuler les heures supplémentaires en raison du manque de personnel n’ont pas le même entrain, souligne le syndicat des Records Officers.

Le manque de place pour ranger les dossiers des patients est aussi décrié. C’est le manque d’espace qui fait que les documents sont parfois mélangés et qu’il faut du temps pour retrouver certains dossiers, soutient notre interlocuteur.

Médecine de pointe

Même s’il accueille assez favorablement les mesures concernant le secteur de la santé, le Dr Bhooshun Ramtohul, président de la Government Medical Consultant in Charge Association (GMCiCA), considère que ce n’est pas suffisant. Il s’interroge ainsi sur l’image que le ministre de la Santé a projetée du ministère dont il a la responsabilité. Selon lui, il n’y a pas suffisamment de mesures en ce qui concerne la médecine de pointe. « Il est grand temps de penser à la médecine de pointe avec des unités spécialisées dans divers domaines », dit-il. Le Dr Ramtohul ajoute qu’il est « sceptique » en ce qui concerne la pratique de la télémédecine à l’hôpital national Sir Seewoosagur Ramgoolam de Pamplemousses depuis une dizaine d’années. Celle-ci n’a pas véritablement marché, selon lui. Ainsi, pour lui, ce n’est pas une nouveauté dans le présent budget.

Changement de mentalité

Pour une véritable transformation du service de santé public, c’est la mentalité du personnel qu’il faudrait avant tout changer, ajoute le Dr Ramtohul. « L’approche de tous les membres du personnel devrait être complètement différente avec un accueil beaucoup plus cordial ; pas de longues heures d’attente au niveau du service des urgences (casualty) ; le personnel paramédical ne devrait pas 'kwi vide' avec les patients. »

Avec un changement global de mentalité de tout le personnel, la qualité du service serait grandement améliorée, selon lui. Ce qui passe par un meilleur environnement de travail, de meilleures conditions de travail et un nombre suffisant de ressources humaines, indique-t-il. « Il y a un manque chronique de personnel à tous les niveaux dans le service de santé et qui se fait cruellement sentir jour après jour. »

Selon lui, il y a un exode du personnel du service de santé public vers le secteur de santé privé ou à l’étranger. L’exode s’expliquerait par des conditions de travail peu avantageuses dans le service de santé public en comparaison avec le secteur privé. « On est très mal rémunéré. Il faut revoir les salaires. » Il plaide ainsi pour un changement en profondeur du service de santé public et pour le recrutement de personnel pour assurer le service. Il réclame aussi de meilleures rémunérations pour les retenir et les encourager à donner le meilleur d’eux-mêmes. Selon lui, le nombre de « trainee nurses », de médecins et de spécialistes n’est guère suffisant pour pallier le manque actuel de personnel. « Nombreux sont les spécialistes qui après leur formation préfèrent exercer dans le service privé que dans le service public. » C’est en raison des salaires pas suffisamment attrayants.

Le Dr Ramtohul déplore également les transferts de personnel d’un hôpital à un autre. Ce qui ne permet pas la mise en place et le suivi adéquat des programmes mis en place par les médecins ou consultants en charge. « Les transferts réguliers ajoutés à l’ingérence politique contribuent à la démotivation du personnel », fait comprendre le Dr Ramtohul. Pour lui, les gestionnaires des hôpitaux devraient être des médecins qui comprennent mieux la médecine qu’un gestionnaire professionnel qui n’a pas exercé dans le monde médical.

Nous avons sollicité le ministère de la Santé pour en savoir un peu plus sur la mise en place des différentes mesures énoncées. Un cadre nous a fait comprendre que les commentaires viendront après l’intervention du ministre de la Santé, Anil Bachoo,  lors du débat sur le Budget.

  • Nou Lacaz

 

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