L’avocat et ex-député du n˚5 (Pamplemousses/Triolet) revient sur la scène politique avec un nouveau mouvement : le Congrès citoyen mauricien. La formation revendique une rupture nette. Majoritairement composée de jeunes, notamment issus de la Gen Z, elle ambitionne d’offrir une plateforme alternative à ceux qui veulent faire de la politique autrement.
Quelle est la raison derrière la création du Congrès citoyen mauricien (CCM) : réparer un système défaillant ou rompre radicalement avec lui ?
Le CCM est né d’une urgence : offrir enfin une structure aux jeunes qui souhaitent s’engager sans être écrasés par les machines politiques traditionnelles.
Dans le passé, à chaque fois que l’État de droit était menacé, j’étais en première ligne pour dénoncer activement toute dérive totalitaire. Dans de nombreux cas, nous avons déposé des private prosecutions, car le système judiciaire était en panne, le criminal justice system ne fonctionnait plus, et la police n’enquêtaient plus sur les puissants, les corrompus, les mandarins ou les potentats. Le cover-up était généralisé.
Je suis intervenu dans plusieurs affaires concernant les violations des droits humains : torture de détenus dans les postes de police et à la prison, arrestations arbitraires d’activistes sociaux et d’avocats des droits humains, scheme de la carte d’identité biométrique, réenregistrement des cartes SIM, vaccination imposée, légalisation du cannabis médical, et plus récemment, l’élévation de l’âge d’éligibilité à la Basic Retirement Pension (BRP) à 65 ans, mesure figurant dans le Budget 2025-26. À chaque fois, l’objectif était le même : prévenir l’arbitraire.
La différence aujourd’hui, c’est que j’ai compris qu’il ne suffit plus d’adopter une posture réactive. Il faut aussi être politiquement proactif et créer les conditions pour que la nouvelle génération devienne les décideurs politiques de demain.
Le CCM rassemble pour l’heure une vingtaine de jeunes professionnels totalement engagés. L’idée n’est pas de bâtir un parti autour d’une personnalité, mais de créer une équipe collégiale de jeunes politiciens de la génération Z issus de la classe moyenne, qui n’ont ni réseaux ni millions de roupies à injecter dans une campagne électorale. Nous voulons briser le plafond de verre et révolutionner la manière de faire de la politique active à Maurice.
Si la masse silencieuse ne se mobilise pas à nouveau, il n’y aura jamais de ‘printemps mauricien’»
Vous décrivez le CCM comme un « rempart ». Quelles sont les dérives concrètes qui vous ont poussé à fonder une nouvelle formation, plutôt que d’intégrer un parti existant ?
Il faut être lucide : Maurice vit sous le règne d’un monopole quadripartite depuis l’Indépendance. Le Parti Travailliste (PTr), le Mouvement militant mauricien (MMM), le Mouvement socialiste militant (MSM) et le Parti mauricien social démocrate (PMSD) : les noms changent, mais les alliances se font et se défont entre eux. Ces partis monopolisent la scène politique depuis plus de 40 ans.
Pour beaucoup, la politique à Maurice, c’est l’affaire de certaines familles et dynasties, de professions à plein temps, de réseaux occultes, de népotisme, de lobbies sectaires, d’opportunistes financiers et d’entreprises sans scrupules gravitant autour du pouvoir. Et, surtout, du blanchiment d’argent sale via des contributions aux politiciens et aux partis, provenant de sponsors locaux et internationaux, ainsi que de contrats lucratifs se chiffrant à des centaines de millions (on a eu un aperçu lors de l’enquête judiciaire dans l’affaire Kistnen), sans oublier des schemes pour dilapider l’argent public. La politique traditionnelle représente la corruption institutionnalisée et le népotisme.
Le financement des partis politiques est entièrement opaque. On ignore souvent l’origine de certains fonds : est-ce lié à la vente d’armes, au terrorisme, au trafic de drogue, ou à d’autres activités ? Des centaines de millions de roupies circulent sans contrôle. Tout cela déforme la démocratie : certains partis monnayent des tickets à des candidats qui, une fois élus, cherchent avant tout à récupérer « l’argent investi ». Beaucoup de politiciens, en cas de victoire, deviennent otages de leurs sponsors et ne servent plus le peuple.
Avec cette logique, comment voulez-vous que les jeunes s’intéressent à la politique ? D’abord, ils n’ont aucune chance : les appareils sont verrouillés par des dinosaures politiques qui ne cèdent pas un millimètre. Alors oui, le CCM est un rempart, un véritable contre-pouvoir et une alternative crédible.
On doit absolument détruire ce système de « money politics ». Si la loi fixe un plafond de dépenses de Rs 150 000 par candidat, il faut le respecter. Il existe une masse silencieuse qui vote de manière rationnelle et dépassionnée. Dépenser de l’argent ne garantit pas de gagner une élection : si c’était le cas, pourquoi Navin Ramgoolam a-t-il été battu dans son fief du n˚5 en 2014 par des néophytes, et pourquoi Pravind Jugnauth a-t-il connu la défaite au n˚8 en 2024, également face à des néophytes ?
Une majorité de la population rejette ce système archaïque et refuse d’être prise en otage par les mêmes familles politiques. C’est en raison de cette majorité silencieuse que nous sommes en train de constituer et de structurer le CCM.
Doit-on comprendre que vous vous positionnez comme potentiel Premier ministre, si votre formation perce aux prochaines élections ?
Soyons clairs : je ne m’engage pas par ambition personnelle, mais par devoir patriotique. Je serais beaucoup plus tranquille en restant dans ma profession, dans ma zone de confort. Si je m’engage en politique, c’est parce que je ne peux pas laisser la situation se détériorer. Ce n’est pas une quête personnelle. Pour moi, la politique est un sacerdoce ; je ne cherche ni richesse, ni empire.
Le choix du Premier ministre et des autres ministres doit nécessairement revenir aux élus du CCM en cas de victoire. Je ne fais pas de politique pour devenir député, ministre ou Premier ministre. Mon objectif est de transformer le système et de promouvoir une nouvelle génération de politiciens. Si je suis choisi par les membres du CCM, je ne m’éterniserai à aucun poste.
La vision du CCM est simple : une équipe arrive, travaille pendant cinq ans, puis passe le relais aux générations suivantes. Je suis fasciné par George Washington, qui refusa de briguer un second mandat comme président des États-Unis après avoir accompli son devoir avec honneur et succès.
Le pouvoir ne m’intéresse pas. Mais si je ne m’engage pas, qui va promouvoir les jeunes de ce pays ? Qui va empêcher que Maurice ne devienne un champ de ruines pour les générations à venir ? Je veux que chaque jeune puisse aspirer à devenir député, ministre, Premier ministre, président ou ambassadeur. Aujourd’hui, beaucoup sont déçus ou frustrés par des nominations souvent politiques, parfois absurdes. Ils constatent le manque de méritocratie et partent : c’est l’exode de jeunes professionnels, le brain drain.
Demain, Maurice risque de devenir un pays de vieillards encadré par des travailleurs étrangers. Et pendant ce temps, nos talents servent d’autres nations. Je ne peux rester passif face à cela. Je dois agir pour laisser un héritage aux jeunes avant de mourir. Je ne dis pas aux jeunes de descendre dans la rue pour manifester, mais je leur demande de s’engager dans la politique active pour changer le destin de nos concitoyens.
Je ne m’engage pas par ambition personnelle, mais par devoir patriotique»
Vous avez employé l’expression « masse silencieuse ». Qui sont-ils, selon vous ?
Je vais vous donner un exemple concret. La grande marche citoyenne du 29 août 2020, organisée pour dénoncer la gestion catastrophique par le gouvernement du naufrage du MV Wakashio au large de Pointe-d’Esny, n’a été pilotée par aucun parti politique. Très peu de gens savent que nous n’étions que quatre derrière ce mouvement : Rajneesh Bunjun, Bruneau Laurette, Aman Ramchurn et moi-même. Pourtant, le jour-J, plus de 100 000 citoyens ont marché dans les rues de Port-Louis.
Ce jour-là, la masse silencieuse s’est exprimée. Elle a démontré qu’elle pouvait prendre position face à l’incompétence des autorités dans la protection de notre environnement et de notre souveraineté territoriale. La population n’était ni apathique ni résignée. Le peuple attend simplement une raison valable pour se lever et agir en tant que nation.
Aujourd’hui, le pays traverse une période chaotique. L’appauvrissement s’accélère, tandis que quelques opportunistes politiques accumulent des fortunes colossales. Si la masse silencieuse ne se mobilise pas à nouveau, il n’y aura jamais de « printemps mauricien ». Les citoyens devront choisir : soit la Terre promise, celle d’un renouveau politique et institutionnel, soit la continuité dans la médiocrité, où les forces occultes règnent, où la corruption est institutionnalisée, où le népotisme est flagrant, et où l’affairisme politico-financier, ainsi que le blanchiment d’argent sont omniprésents.
Si en France, Emmanuel Macron est devenu président, si au Canada, Justin Trudeau est devenu Premier ministre, si en Angleterre, Rishi Sunak est devenu Premier ministre, si à New York, Zohran Mamdani est devenu maire, si en Italie, Georgia Meloni est devenue Première ministre, et si au Burkina Faso, le capitaine Traoré est devenu président, où sont les jeunes Mauriciens, les érudits et les professionnels de notre pays ?
Vous dénoncez l’opacité des marchés publics. Quels mécanismes concrets de contrôle propose le CCM pour garantir la transparence et l’indépendance des appels d’offres ?
Nous allons légiférer pour instaurer un système intègre et efficace, capable de contrer la fraude, la corruption et le blanchiment d’argent. Il est indispensable de mettre fin aux extravagances des princes et princesses qui nous gouvernent et de rétablir la crédibilité de nos institutions.
Le CCM proposera un cadre rigoureux pour assainir le système : obligations de transparence totale concernant toutes les dépenses des deniers publics, chaque appel d’offres et tous les recrutements dans le secteur public et parapublic.
Regardez l’Inde : en peu de temps, Narendra Modi a mis fin au système de black money, en changeant les billets de banque overnight pour traquer l’argent sale. Pourquoi Maurice n’en serait-il pas capable ?
Dans un contexte d’inflation, de hausse des prix et de tensions sociales, quelles mesures économiques le CCM met-il en avant ?
Nous devons revoir notre politique monétaire et fiscale. Il faut d’abord assainir l’économie et développer de nouveaux piliers économiques, notamment l’économie bleue et la valorisation des ressources marines. Il est essentiel d’encourager davantage la production locale et d’améliorer la gestion des terres. Nous devons également restructurer en profondeur le port pour réduire le prix des articles importés. Aujourd’hui, les compagnies maritimes privilégient d’autres destinations au détriment de Port-Louis. Résultat : le fret explose. Nous dépendons trop de l’importation, ce qui nous rend vulnérables aux fluctuations mondiales.
L’inflation ne se combat pas uniquement avec des subventions : une restructuration de fond est indispensable. Une baisse du prix des carburants pourrait entraîner une diminution des coûts des produits transportés quotidiennement.
Ensuite, il faut arrêter les nominations politiques qui plombent nos institutions. On ne peut pas placer des retraités ou des proches du pouvoir à des postes stratégiques. Une réforme profonde de la justice et de la police est également nécessaire.
Le CCM propose un ensemble de mesures cohérentes : une hausse mesurée des salaires, la stabilisation des prix des produits essentiels, le renforcement des instances régulatrices et la relance de la production nationale. Il faut réviser la TVA à 10 %. En parallèle, il est nécessaire de revoir progressivement le taux de Corporate Tax, surtout pour les entreprises qui réalisent des centaines de millions, voire des milliards de roupies de profits. Le seuil d’assujettissement à la TVA pour les petits entrepreneurs et les petites entreprises devrait être relevé de Rs 3 millions à Rs 10 millions.
La population n’est ni apathique ni résignée. Le peuple attend simplement une raison valable pour se dresser en une nation»
La « sécurisation des citoyens » fait partie de vos priorités. Votre plan ?
La sécurité des citoyens et des touristes doit être la priorité. Il faut restructurer le GIPM, la SMF et la police. La prévention et la détection du crime doivent se faire de manière professionnelle, moderne et fondée sur la science. Il faut mettre en place un véritable protocole de « scene of crime » - je le répète depuis l’affaire Michaela Harte devant les Assises. Beaucoup de crimes restent impunis. Des enquêtes doivent être rouvertes sur les cold cases.
Il faut mettre l’accent sur la formation continue, tout en garantissant une réelle indépendance aux enquêtes internes, afin de mettre fin aux abus et aux tentatives de cover-up. Parallèlement, une profonde réforme du système judiciaire est indispensable pour garantir une justice rapide. Comme le disait Martin Luther King, « Justice delayed is worse than injustice ».
Nous misons aussi sur la consolidation de l’État-providence et la prévention des fléaux sociaux. Les politiciens ne voient que les vote-catching areas et négligent les problèmes de société et les marginaux du système. Nous devons promouvoir le travail communautaire, la protection de l’environnement, l’accompagnement des jeunes en rupture et l’intervention dans les quartiers vulnérables, mais aussi mettre en place une stratégie de lutte contre tous les fléaux – y compris la drogue – fondée sur les données et non sur la propagande médiatique.
La modernisation des équipements suivra, mais elle doit s’inscrire dans une logique de transparence totale. C’est pourquoi nous voulons instaurer un mécanisme d’intégrité financière et institutionnelle destiné à assainir l’utilisation des fonds publics. Enfin, nous rédigeons une charte sociale réaffirmant les droits fondamentaux et les droits socio-économiques, comme préconisé par l’IPCC, afin de protéger efficacement la liberté des citoyens.
Votre parti étant encore jeune, comment comptez-vous gagner rapidement des suffrages ? Avez-vous déjà identifié des candidats pour les prochaines législatives ?
Notre parti est jeune, oui, mais il avance avec une vision claire : nous ne sommes pas là pour remplir des cases ou distribuer des tickets à la va-vite. Nous sommes en pleine structuration, et je refuse de transformer le CCM en machine à candidatures improvisées. Notre démarche consiste à créer un cadre solide et transparent, où les responsabilités seront attribuées en fonction des compétences professionnelles et de la volonté personnelle.
Le CCM est avant tout une invitation lancée aux jeunes professionnels compétents : sortez des gradins, entrez dans l’action politique, prenez la parole, prenez votre place. Il faut penser comme Corneille : « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. »
Nous ne visons pas l’instantané. Notre plan est réaliste et stratégique : l’objectif, c’est 2029. Gagner des suffrages, pour nous, ne signifie pas faire du bruit ou multiplier les effets d’annonce. Les Mauriciens ne demandent pas de miracles ; ils attendent simplement un espace politique crédible. C’est exactement ce que nous allons construire.
Quelques mots par rapport à la lutte contre la drogue. Quelle est votre position exacte ?
La drogue détruit le pays et des milliers de familles. Et je vais être franc : certaines personnes censées diriger la lutte contre ce fléau sont totalement dépassées. Le problème doit être traité à la racine. Il faut une stratégie nationale, indépendante, transparente et scientifique. Le CCM a un plan structuré, que nous dévoilerons dans un proche avenir, pour contrer les fléaux sociaux et les maux qui rongent notre pays.
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