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Sanjay Matadeen, économiste : «Le ciblage aurait été encore plus impopulaire» 

Sans vouloir se muer en Robin des Bois, l’économiste Sanjay Matadeen prend position sans détour sur un sujet qui fâche actuellement : la réforme de la retraite. Pour lui, il faut trouver le juste milieu en adoptant un ciblage des plus nantis.

La décision de repousser l’âge d’accessibilité à la pension de retraite de 60 à 65 ans entraîne inévitablement la création d’une zone grise, notamment ceux qui ne toucheront pas de pension et ne seront pas soutenus par un emploi, ni même par un système intermédiaire. Votre avis d’économiste ?
Le cumul salaire-pension pour les 60-65 ans alourdissait considérablement la charge fiscale, tandis que le vieillissement démographique et les déficits de la Contribution sociale généralisée (CSG) rendaient inévitable une réforme du système de retraite – une nécessité macroéconomique plutôt qu’un choix politique. 

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Cette urgence a été exacerbée par le démantèlement du National Pensions Fund (NPF) – pourtant contributif – et son remplacement par la CSG, elle-même grevée par des déficits chroniques. Une rationalisation s’imposait donc pour rétablir l’équilibre des comptes sociaux.

La cause à effet est qu’il existe un fort risque de problème social latent, avec des inégalités creusées entre les différentes couches de notre société. Explications ?
Le vrai défi concerne ceux qui, en raison de la pénibilité de leur métier (maçons, ouvriers d’usine, travailleurs manuels, etc.), auront du mal à poursuivre leurs activités jusqu’à 65 ans. À cela s’ajoute le cas des femmes au foyer, qui comptaient sur cette pension comme un soulagement financier dès l’âge de 60 ans. 

Paradoxalement, les travailleurs indépendants bénéficient d’une certaine flexibilité : ils choisissent librement leur âge de départ et nombreux sont ceux qui continuent bien au-delà de 65 ans.

Le report de l’âge de versement de la pension à 65 ans ne peut être acceptable que si l’État renforce parallèlement l’accès aux services de santé et aux filets de sécurité pour préserver le pouvoir d’achat. Il est impératif que le gouvernement mette en place des mesures d’accompagnement pour soutenir ceux qui se retrouveront en difficulté. Les solutions peuvent prendre diverses formes.

Y aurait-il unanimité pour repousser cette mesure, prise sans consultation préalable ni dispositif d’accompagnement, ne serait-ce que pour garantir aux personnes concernées l’accès à leur pension de retraite le moment venu, même si cela implique de maintenir temporairement certaines aides sociales ?
Le ciblage était une alternative, mais cela aurait été encore plus impopulaire que le report à 65 ans. Seuls les ménages à faibles revenus continueraient à percevoir la Basic Retirement Pension (BRP), tandis que les plus aisés y renonceraient.

Une solution équilibrée pourrait être celle-ci : combiner un ciblage modéré des hauts revenus pour limiter l’impact budgétaire, tout en préservant l’âge de départ à 60 ans pour les métiers pénibles – via un fonds dédié – et en renforçant les services publics (santé, transport) afin de faciliter l’activité professionnelle prolongée pour les autres.

L’inégalité entre les classes sociales, notamment entre ouvriers et cadres, est criante. Comment combler cette lacune ? Ne faudrait-il pas privilégier un accompagnement plutôt qu’un simple report de l’éligibilité à la BRP à l’âge de 65 ans ?
Il est évident que les travailleurs vulnérables doivent être soutenus, mais une contribution équitable de leur part reste nécessaire. Prenons l’exemple des métiers manuels (maçons, électriciens, plombiers, aides-maçons) dont la rémunération quotidienne oscille entre Rs 1 500 et Rs 2 000. Avec un salaire moyen de Rs 1 500 par jour, sur 6 jours par semaine, cela génère un revenu mensuel d’environ Rs 36 000 – totalement exonéré d’impôt grâce au nouveau barème (seuil à Rs 500 000 par an).

Plutôt qu’une approche passive, le gouvernement pourrait mettre en place des caisses de retraite contributives par corps de métier (Fonds des pêcheurs, des petits planteurs, ou même un Fonds des maçons), ou créer un Fonds consolidé pour les travailleurs indépendants. Cette solution permettrait aux volontaires de cotiser afin de bénéficier d’une retraite anticipée à 60 ans. Parallèlement, le retour annoncé du NPF et l’abandon progressif de la CSG offrent une opportunité de réforme.

Cela pourrait aussi être l’occasion idéale d’introduire la Chambre des Métiers pour encadrer les travailleurs, professionnaliser leurs services, revaloriser leurs métiers et leur donner une voix forte pour porter leurs revendications.

En complément, des mesures ciblées pourraient inclure quoi, à titre d’exemple ?
Une allocation de solidarité pour les femmes au foyer à partir de 60 ans et une aide sociale transitoire pour ceux incapables de poursuivre leurs activités. Les solutions existent – il reste à les articuler avec justice et pragmatisme.

Il y a une école de pensée majoritaire qui estime qu’il fallait effectivement reporter l’âge d’accessibilité à la BRP, car le ratio de 1,5 contribuable pour un pensionnaire est insoutenable. Qu’en pensez-vous ?
La situation était devenue intenable. Nous nous dirigions vers une explosion du système de protection sociale à Maurice. Déjà, la protection sociale représente un budget annuel d’environ Rs 65 milliards. Cela exerce une pression énorme sur les ressources de l’État et engendre un coût d’opportunité considérable. À lui seul, ce montant dépasse les budgets annuels combinés des secteurs de la Santé et de l’Éducation. Des réformes audacieuses sont indispensables pour remettre Maurice sur la voie de son ambition : devenir une économie inclusive à haut revenu.

Il s’agit, certes, d’un premier pas, mais la population exige désormais que nos décideurs fassent preuve de vigilance et œuvrent concrètement à l’amélioration du quotidien des citoyens. Cela passe par une optimisation de l’ensemble des services publics – qu’il s’agisse du système éducatif, de la santé, des transports ou d’autres secteurs clés – afin d’en accroître l’efficience et l’accessibilité.

Nos décideurs doivent également montrer la voie et donner l’exemple en matière de gestion des finances publiques, en intégrant les principes de bonne gouvernance et de redevabilité (accountability). Il est crucial que le prochain rapport de l’Audit ne vienne pas invalider les sacrifices demandés à la population, au risque de saper la confiance dans les réformes.

 

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