Interview

Salil Roy, président de la Planters Reform Association : «La main-d’œuvre étrangère résoudrait la pénurie de bras dans les petites plantations»

Salil Roy, président de la Planters Reform Association, partage son inquiétude face au projet du gouvernement de transformer Maurice en un ‘Web refinery’, qui verrait les importations de sucre supplanter la production de petits planteurs. Plus loin, il reconnaît que les petites exploitations sont confrontées au vieillissement de la main-d’œuvre.

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Comment les petits planteurs ont-ils accueilli le Budget 2016-2017 ?
Nous nous attendions beaucoup à une hausse substantielle du prix de la bagasse, or elle n’a été que de Rs 25. Une misère lorsqu’on sait qu’à La Réunion, la bagasse est à Rs 1 500 la tonne contre Rs 250 à Maurice.

« ….un jour, il faudra bien refondre notre manière de travailler, de manière à pouvoir embaucher les jeunes diplômés…»

Certes, il y a eu des développements de taille dans l’industrie cannière, grâce à la diversification. Mais notre grande déception, qui ne date pas d’hier, tient au fait que les petits planteurs de canne à sucre ne profitent toujours pas des profits réalisés dans ce secteur, les bénéfices sont inégalement répartis. C’est une des raisons majeures qui expliquent que les jeunes ne sont pas intéressés à prendre le relais de leurs parents dans ce secteur. Les revenus sont trop étriqués.

Mais n’est-ce pas aussi vrai que les petits planteurs de canne à sucre n’ont jamais envisagé une véritable modernisation de leurs activités ?
Il faut l’admettre, mais il faut aussi se dire que ce secteur est très conservateur et les opérateurs sont vieillissants et partout dans le monde, les petits agriculteurs en général sont confrontés à la difficulté de la transition vers la modernisation. Cela dit, un jour, il faudra bien refondre notre manière de travailler, de manière à pouvoir embaucher les jeunes diplômés en administration, marketing et autres filière éducatives dans ce secteur. Mais cette transition ne saurait se faire aussi longtemps que les usiniers camperont sur leurs positions lorsqu’il en vient au partage des bénéfices. Dans l’immédiat, seule la main-d’œuvre étrangère résoudrait la pénurie de bras dans les petites plantations. Mais il faudra que le gouvernement l’autorise, comme il l’a fait pour favoriser le développement du secteur textile.

Pourquoi les petits planteurs n’envisagent pas la diversification, en se lançant dans la culture vivrière pour contribuer à l’autosuffisance-alimentaire avec des usines de transformation, comme dans le secteur de la pêche ?
Ce serait là un véritable changement d’orientation, qui exige de revoir la vocation des terres et la mise sur pied de structures, telles que des intermédiaires et un secteur de transformation. C’est une idée intéressante, mais il faudrait avant tout résoudre le problème des intermédiaires. Ce sont de gros investissements qui doivent faire l’objet d’étude, car dans ce type de secteur, il faut des marchés garantis, comme celui qu’offre l’industrie touristique. Or, on sait que ce secteur fonctionne en circuit fermé, laissant peu d’espace à des sous-traitants extérieurs, comme c’est le cas avec le ‘all-inclusive’. C’est ce type de problématique qu’il convient d’abord de régler.

Comment sont les relations entre sucriers et petits planteurs ?
Il y a un respect mutuel entre ces deux groupes socioprofessionnels, car l’un et l’autre sont liés historiquement par le métier. Les petits planteurs sont partis de très loin, de l’époque où ils étaient des travailleurs engagés, avant de devenir des partenaires importants dans le secteur sucrier. Les usiniers le savent et, à ce titre, ils vouent un respect non-dissimulé aux petits planteurs.

Dans son Budget, le gouvernement souhaite que les terres marginales soient mises à profit…
Il était grand temps de venir avec ce projet. Il faut permettre la conversion des terres marginales, car les petits planteurs veulent aussi avoir la possibilité d’investir dans les grands projets immobiliers

Est-ce que les amendements à la Sugar Industry Efficiency Act (SIEA), proposés par le ministre Mahen Seeruttun, ne seront-ils pas bénéfiques aux petits planteurs de la canne à sucre ?
Ce sont des amendements taillés sur mesure pour les usiniers et qui n’ont pas été le résultant d’un consensus avec les petits planteurs de la canne à sucre. En ce moment, le gouvernement envisage de transformer Maurice en un ‘Refinery Web’, qui verrait la création de deux raffineries supplémentaires, autres que celles d’Alteo et d’Omnicane. Auparavant, le sucre importé passait par le Syndicat des sucres, mais avec l’amendement à la SIEA, ce sucre ira directement aux sucriers. Ils seront libres d’importer de gros volumes de sucre destinés à la réexportation. Dans cette perspective, nous ne voyons pas où irait le sucre des petits planteurs. Sans doute au bout de la file d’attente.

Est-ce l’augmentation du cours du sucre sur le marché mondial ne profite-t-elle pas aux petits planteurs ?
Ca, c’est un scandale. Si les avances aux planteurs avaient été effectuées dans les délais, soit vers la fin de 2015, ils auraient acheté les fertilisants, entre autres, pour obtenir un meilleur rendement dans les champs, donc plus de sucre, en aval. Mais, les versements ont été faits avec retard, avec pour résultat que les petits planteurs ne tirent aucun bénéfice de l’augmentation du prix mondial du sucre.

En parlant de fertilisant, le Budget entend réglementer plus sévèrement son usage dans les cultures, à commencer par les champs de canne. Est-ce qu’il existe un épandage excessif de pesticides, nocifs à la santé ?
Pas à ma connaissance. Je vous en donne deux preuves : d’abord, toutes les personnes domiciliées à proximité des champs où aurait lieu ce type d’épandage seraient malades de manière régulière, montrant des symptômes d’une pathologie spécifique. Or, nos services de santé n’en font aucunement état. Ensuite, concernant la culture maraîchère, les produits de notre terreau sont sains et se conservent longtemps. En revanche, vous noteriez que certains fruits importés se détériorent rapidement. Je sais que la vente des pesticides est rigoureusement réglementée et les services de l’AREU (N.D.L.R. : Agricultural Research and Extension Unit) exercent un contrôle rigoureux dans les champs. Cela dit, il existe peut-être des planteurs qui en font un usage excessif, mais de toute façon, cela se saurait. Puis, il serait naïf de croire que l’usage des pesticides pourrait être réduit dans l’état actuel des choses, car dans leur grande majorité, les planteurs, quelque soit leur importance, sont très conscients des risques qu’ils feront courir à la santé des consommateurs s’ils augmentent les volumes.

 

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