Live News

Salaire minimum à Rs 15 000 : les implications pour les employés, les entreprises et l’économie

La hausse du salaire minimum apportera un soulagement, en particulier à ceux au bas de l’échelle.
Publicité

Le salaire minimum, actuellement fixé à Rs 11 075, devra connaître une hausse à partir du 1er janvier 2024 pour atteindre Rs 15 000. Grâce à l’allocation supplémentaire de Rs 2 000 de la Mauritius Revenue Authority, les employés au salaire le plus bas bénéficieront ainsi d’un revenu garanti total de Rs 17 000. Comment cette augmentation est-elle accueillie ? Quelles seront les répercussions ? Le point.

Rs 3 925

C’est la hausse que le salaire minimum connaîtra à  partir de l’année prochaine, passant de Rs 11 075 à Rs 15 000. Le National Wage Consultative Council (NWCC) a déjà finalisé sa proposition et a soumis son dossier au ministère du Travail ce mardi 28 novembre. En conséquence, la recommandation devrait être approuvée lors de la réunion du Conseil des ministres d’ici la fin de cette semaine. D’autre part, les allocations de soutien déboursé par la MRA seront maintenues, ce qui fait que le revenu minimum garanti  passera à Rs 17 000.

Hausse du niveau de vie

L’économiste Takesh Luckho explique que l’augmentation du salaire de base constitue une initiative destinée à accroître le montant minimal qu’un employeur est tenu de verser à ses travailleurs. « Cela permettra ainsi aux employés de disposer de revenus plus élevés afin d’améliorer leur niveau de vie », dit-il. Selon lui, la société, dans son ensemble, bénéficiera également de cette augmentation, étant donné que la pauvreté est associée à de nombreux problèmes dans le tissu social. « De plus, les employés concernés pourront entreprendre d’investir dans de nouveaux projets », soutient-il. 

L’expert-comptable Tahir Wahab avance qu’il est certain qu’une hausse du salaire minimum contribuera à atténuer les problèmes de fin de mois. Cela apportera aussi un soulagement aux ménages à faible revenu, en particulier en ce qui concerne l’approvisionnement en produits de base. « Cela dit, nous devons comprendre que le maintien d’un prix élevé du carburant a eu un impact énorme sur le coût des produits de base », rappelle-t-il. Claude Canabady, secrétaire de la Consumers’ Eye Association, abonde dans le même sens. « Évidemment pour les employés au bas de l’échelle, ce sera une mesure qu’ils accueilleront avec joie, parce que cela devient de plus en plus difficile pour eux de joindre les deux bouts avec une hausse continue du coût de la vie », dit-il. Ainsi, poursuit-il, une hausse conséquente permettra à ceux en situation précaire de subvenir à leurs besoins et d’améliorer leur niveau de vie.

Nouveau coup de massue pour les entreprises

L’augmentation du salaire minimum entraîne naturellement une hausse des coûts de main-d’œuvre pour les entreprises. Cela est particulièrement problématique pour les petites entreprises qui opèrent avec des marges bénéficiaires serrées et pour celles qui emploient un grand nombre de travailleurs manuels, fait comprendre l’économiste Takesh Luckho. Pour sa part, Tahir Wahab est d’avis que les implications pour les entreprises sont doubles. « D’une part, les compagnies doivent faire face à une augmentation des salaires qui devient de plus en plus énorme avec déjà le fardeau de la Contribution sociale généralisée (CSG) et de la Portable Retirement Gratuity Fund (PRGF) », indique notre interlocuteur. Il est d’avis que la rentabilité des PME sera affectée. 

Claude Canabady, secrétaire de la Consumers’ Eye Association.
Claude Canabady, secrétaire de la Consumers’ Eye Association.

« En second lieu, il est essentiel de prendre en compte la compétitivité. À mesure que les coûts opérationnels augmentent, cela aura inévitablement des répercussions sur les entreprises tant au niveau local qu’international, pouvant entraîner la perte de clients », prévient-il. Une situation que ne dément pas l’industriel François de Grivel. « C’est un grand risque d’augmenter le salaire minimum de manière significative. La majorité des entreprises auront des difficultés à absorber ce coût », déplore-t-il. Selon lui, il est certain que cette augmentation est liée à des raisons politiques. « Mais on ne peut pas mêler la politique avec le travail et les affaires », insiste-t-il. 

Astrid Vuddamallay,  Talent Management Lead  chez Myjob.mu.
Astrid Vuddamallay, Talent Management Lead chez Myjob.mu.

Astrid Vuddamallay, Talent Management Lead chez Myjob.mu, affirme que les répercussions de la hausse du salaire minimum dépendront du secteur d’activités. « Pour les grandes entreprises qui proposent déjà des salaires au-dessus de Rs 15 000 comme salaire de base, il n’y aura pas d’impact. En revanche, ce sera sans doute un coup dur pour les PME », dit-elle. Par exemple, pour deux employés seulement, il faut trouver un montant additionnel d’environ Rs 8 000 afin de se mettre en règle avec le salaire minimum. « C’est énorme pour une petite compagnie », fait-elle remarquer. 

Les prix revus à la hausse

François de Grivel dit comprendre que le but du gouvernement est de maîtriser l’inflation. « Toutefois, une majoration conséquente du salaire va encore faire augmenter l’inflation. Le contrôle des prix aurait été la meilleure solution pour combattre l’inflation », indique notre interlocuteur. Ce dernier, par ailleurs, soutient que face à une hausse du salaire minimum, certaines entreprises seront contraintes de répercuter les coûts supplémentaires sur les prix de leurs produits ou services, ce qui pourrait affecter leur compétitivité sur le marché. « Une diminution de la rentabilité pourrait être préoccupante, en particulier pour les secteurs déjà confrontés à des défis économiques », ajoute-t-il.

Tahir Wahab, expert-comptable.
Tahir Wahab, expert-comptable. 

Tahir Wahab partage le même avis. « L’impact de l’injection de plus de revenus disponibles dans l’économie augmentera encore le taux d’inflation. À terme, nous pourrions nous retrouver dans une spirale où l’augmentation du salaire minimum pourrait ne pas être suffisante », fait-il ressortir. Selon lui, la question cruciale est de savoir jusqu’à quand nous allons continuer à augmenter le salaire minimum plutôt que de mettre en place une politique économique plus soutenable.

L’économiste Eric Ng, pour sa part, explique que pour financer le revenu minimal à Rs 17 000, le gouvernement n’aura pas d’autres choix que d’augmenter les taxes afin de remplir la caisse de l’État. Cependant, il souligne qu’augmenter les taxes directes risque de décourager les investissements, ce qui aura un impact négatif sur l’économie dans son ensemble.

Pertes d’emplois

François de Grivel, industriel.
François de Grivel, industriel. 

Face à des coûts de main-d’œuvre plus élevés, François de Grivel affirme que certaines entreprises pourraient même envisager des mesures, telles que la réduction des effectifs pour maintenir leur rentabilité. « Cela pourrait entraîner des pertes d’emploi et avoir un impact sur l’occupation dans certaines industries », prévient-il. De son côté, Astrid Vuddamallay explique qu’avec un salaire minimum de Rs 15 000, le déséquilibre sur le marché du travail va encore s’agrandir. « Les jeunes qui ont terminé leurs études universitaires ne vont pas accepter de travailler pour toucher le salaire minimum.

Leurs attentes seront encore plus élevées. Ainsi, ils vont demander au moins Rs 20 000. Du coup, de multiples sociétés n’auront pas la capacité de payer », dit-elle. Par conséquent, le nombre de chômeurs pourrait augmenter. Tahir Wahab partage une perspective similaire.

Eric Ng, économiste.
Eric Ng, économiste.

« Les implications d’un salaire minimum élevé impliqueraient que les entreprises prendraient plus de précautions avant d’embaucher. Il est possible que des jeunes sans expérience se retrouvent au chômage, car les employeurs pourraient ne pas voir la justification d’embaucher un individu inexpérimenté avec un salaire aussi élevé », dit-il. 

Même son de cloche chez Takesh Luckho. « Certaines entreprises, principalement les plus petites et les moyennes, peuvent être contraintes de licencier des employés pour réduire leurs coûts », dit-il. Une situation qui s’annoncera particulièrement problématique pour les jeunes travailleurs sans expérience ou peu qualifiés, ainsi que pour les employés des secteurs qui sont en grande difficulté, comme le textile. « Pour ces types d’entreprises, les autorités devront soutenir le paiement de cette augmentation à travers des ‘support schemes’ », recommande-t-il.


Vers une compensation salariale de Rs 1 000 à Rs 1 200

La recommandation des syndicats en faveur d’une compensation salariale d’au moins Rs 1 000 pourrait bien se concrétiser. Toujours dans les coulisses des proches du dossier, on laisse entendre que la compensation salariale effective à partir de janvier 2024 oscillera entre Rs 1 000 et Rs 1 200. Cependant, comme indiqué précédemment, la compensation salariale devrait être applicable à certaines catégories de travailleurs.

Questions à… Takesh Luckho, économiste : « Un revenu minimum garanti de Rs 17 000 n’est pas une offrande, mais un dû »

Takesh LuckhoIl est annoncé que le salaire minimum sera porté à Rs 15 000 à partir de janvier 2024. En conséquence, le revenu minimum garanti atteindra Rs 17 000. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
Je trouve que c’est une bonne chose, car cela va améliorer le pouvoir d’achat des économiquement faibles de la société. Toutefois, il faut bien faire la différence entre la hausse du salaire minimum et le salaire minimum garanti. Cela dit, une augmentation du salaire minimum implique une hausse du salaire de base des travailleurs concernés, alors qu’avec une hausse du salaire minimum garanti, ce sont les allocations accordées par les autorités pour leur permettre de bénéficier d’un revenu minimum garanti de Rs 15 000 actuellement, qui sont augmentées tandis que le salaire de base reste le même. 

Comme on le sait, valeur du jour, le salaire minimum mensuel est de Rs 11 575. En incluant l’allocation CSG de Rs 2 000, on arrive à Rs 13 575. Ainsi, le gouvernement complète la différence afin que le salaire minimum garanti atteigne Rs 15 000. Maintenant, si on pousse cette analyse un peu plus loin, avec la compensation salariale d’un quantum de Rs 1 500 à Rs 2 000 - comme proposé par le corps syndical et qui prendra effet à partir de janvier 2024 – le salaire minimum garanti qui passe à Rs 17 000 par mois n’est pas « une offrande » pour les travailleurs, mais plutôt « un dû » avec les sacrifices consentis pendant ces dernières années. 

Certes, cette hausse du salaire minimum garanti va permettre aux travailleurs concernés de toucher Rs 17 000 par mois, tout en améliorant leur pouvoir d’achat. Malheureusement, leur salaire de base va rester à Rs 11 575, ce qui explique que dans la pratique, avec leur faible salaire de base, il leur sera très difficile de bénéficier d’un emprunt bancaire pour concrétiser des projets. Il faut noter que les allocations utilisées pour rehausser le salaire minimum garanti dépendent des fonds accumulés durant l’année financière. En d’autres mots, ces allocations peuvent très vite disparaitre.

En supposant une augmentation de l’allocation CSG de Rs 2 000, ou va-t-on trouver les ressources nécessaires étant donné que ce fonds est épuisé ?
Bonne question. Comment le gouvernement va-t-il financer cette hausse du salaire minimum garanti ? Comme on le sait, les fonds de la CSG accumulés pendant ces trois dernières années, qui se chiffraient autour de Rs 25 milliards, ont été épuisés. Il reste encore deux possibilités pour financer ces allocations, la première étant que fin décembre, plusieurs compagnies et les travailleurs indépendants ont l’habitude de fermer leurs comptes pour l’année et paieront leurs contributions à la CSG. Ainsi, les autorités pourraient utiliser cet argent pour financer en partie le salaire minimum garanti à Rs 17 000 par mois. La deuxième possibilité est que les recettes exceptionnelles générées par la MRA, avec la TVA et « l’inflation tax », soient redistribuées vers cet objectif.    
  
Est-ce que cela ne risque pas de relancer l’inflation ?
Certes, une hausse du salaire minimum garanti aura un impact sur l’inflation. Cependant, de mon point de vue, après d’innombrables sacrifices et vu la reprise graduelle de l’économie, le plus important c’est que les plus faibles de la société puissent renforcer leur pouvoir d’achat. Les autorités n’ont pas hésité à se retrousser les manches pour venir en aide aux grosses compagnies. Maintenant que le gâteau national recommence à grossir et que l’inflation, en termes de pourcentage, est en baisse, une « part équitable » doit retourner à la classe moyenne et aux plus vulnérables afin d’améliorer leur qualité de vie.

Salaire minimum : Influence sur la compensation salariale   

La hausse du salaire minimum pourrait influencer la décision visant à déterminer la compensation salariale effective à partir de janvier 2024, du moins selon les indications provenant des proches du dossier. Avec une augmentation de Rs 3 925 du salaire minimum, il est probable que certaines catégories de travailleurs ne bénéficieront pas d’une compensation salariale l’année prochaine. Il n’est d’ailleurs pas inhabituel que la compensation salariale soit accordée en fonction d’un barème de salaire.

Réactions Deepak Benydin, président de la Federation of Parastatal Bodies & Other Unions : « Un salaire de base de Rs 17 000 est justifié »

Deepak BenydinLe président de la Federation of Parastatal Bodies & Other Unions (FPBOU), Deepak Benydin est en faveur d’un salaire minimum de Rs 17 000 par mois. Il justifie sa demande par le fait que la hausse incessante du coût de la vie ne cesse de grignoter le pouvoir d’achat des travailleurs, surtout les plus vulnérables de la société. « Certes, un salaire de base de Rs 17 000 est encore dérisoire, mais cela leur permettra au moins de faire face plus aisément à la vie », fait-il ressortir.

Se basant sur les statistiques datant de 2017, il explique que le salaire médian à Maurice est de Rs 28 250, soit Rs 14 125 par personne, dans le cas d’un couple. « En considérant une augmentation annuelle estimée du coût de la vie de Rs 1 000, cela équivaut à une somme totale de Rs 6 000 après six ans. En ajoutant Rs 14 125, on arrive à Rs 20 125. Cela justifie une hausse du salaire minimum à Rs 17 000 par mois », fait-il ressortir. Avec l’allocation CSG, les travailleurs toucheront un salaire minimum garanti de Rs 19 000 par mois. 

Pour le dirigeant syndical, plusieurs grosses compagnies ont réalisé des profits mirobolants cette année et sont en mesure d’accorder un salaire de base de Rs 17 000 à leurs employés qui sont au bas de l’échelle.  

En conséquence, il estime que le gouvernement devrait apporter son assistance uniquement aux entreprises qui éprouveront véritablement des difficultés pour offrir ce salaire de base. « Il est nécessaire de mener préalablement une enquête approfondie sur leurs chiffres d’affaires afin de déterminer si elles rencontrent réellement des obstacles », dit-il. 

Ajay Beedassee, président de la SME Chambers : « Un véritable coup de massue »

Ajay BeedasseePour le président de SME Chambers, Ajay Beedassee, la proposition d’un salaire minimum de Rs 17 000 par mois est un véritable coup de massue pour les petits entrepreneurs. «  A fors pe fer la bous dou, nou lavi pe vin amer », déplore-t-il. Selon lui, la majorité des PME sont toujours asphyxiées par des dettes auprès de la DBM. «  Contrairement aux entreprises de plus grande envergure qui profitent de multiples avantages, nous, les entrepreneurs de petite et moyenne taille, sommes obligés de rembourser les emprunts, y compris les intérêts, contractés pendant la période de Covid-19 », indique-t-il.

Il souligne également que de nombreuses grandes entreprises ont choisi de s’implanter dans des pays à bas salaires et ne rencontrent pas de problèmes, à l’inverse des PME qui opèrent exclusivement à Maurice. D’après ses estimations, avec un salaire minimum de Rs 17 000 par mois, les dépenses des entreprises par employé avoisineraient Rs 20 000, si on inclut le paiement des heures supplémentaires, des congés de maladie et des « local leaves », entre autres.

  • defimoteur

     

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !