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SAJ et les années du ‘miracle économique’

Plus patriote que nationaliste, il en appela à la population pour résister au dictat du Fonds Monétaire International (FMI).
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‘Un homme qui attend des résultats’ : c’est ainsi que Herbert Couacaud me décrivait Sir Anerood Jugnauth durant une interview du CEO de Beachcomber au Défi en 1988. Aussi un homme qui avait les convictions chevillées, qui croyait à sa bonne étoile, s’inspirait de Lee Kwan Yu et était convaincu que rien ne s’obtenait sans efforts.

Est-ce lui le ‘Père du miracle économique’, ce terme qui fit son apparition dans le vocabulaire mauricien pour la première fois grâce à l’ouvrage ‘Economic Miracle in the Indian Ocean’ (1993) ? Ou encore ‘ le tigre économique de l’Océan indien’, en comparaison aux ‘tigres’ du sud-est asiatique que furent Singapour, Taiwan et Hongkong ? Rien n’est sûr, les observateurs préférant accorder le crédit au flair des entrepreneurs mauriciens – le Pr Edouard Lim Fat, Jose Poncini, entre autres -, le carnet d’adresses d’un Gaëtan Duval, ou encore la décision de certains hommes d’affaires de fuir Hongkong, avant sa rétrocession à la Chine en 1997…

Cassure de l’alliance MMM-PSM

Ce qu’on doit à Sir Anerood Jugnauth, en cette fin 83-début 84, c’est surtout sa capacité à apporter la stabilité politique et sociale à une île Maurice, profondément marquée par la cassure de l’alliance MMM-PSM, après les espoirs suscités pas le premier 60-0 aux élections générales de 1982. L’affaire des ‘Amsterdam Boys’, du nom des quatre députés du gouvernement Jugnauth trouvés en possession de drogue en Hollande, vint fragiliser davantage un gouvernement encore aux abois. C’est durant cette période appelée ‘les années de braise’ que SAJ comprit qu’il lui fallait concilier son proverbial sens du pragmatisme – par opposition à l’‘idéologique’ du MMM -, et une gestion rigoureuse des dépenses publiques. 

Plus patriote que nationaliste, il en appela à la population pour résister au dictat du Fonds Monétaire International (FMI), qui voulait que le gouvernement adopte des sévères mesures d’austérité en contrepartie de son soutien financier, dont une réduction des subsides sur la farine, la réduction des dépenses publiques et l’abolition de l’éducation gratuite. C’est à ce moment qu’il entre en conflit avec Paul Bérenger, alors ministre des Finances dans le gouvernement issu de la victoire historique dite de 60-0. Ce dernier, dans son premier Budget, se voit contraint d’appliquer les recommandations du FMI dont les conditions- réduction des subsides sur le riz et la farine -, avaient déjà été discutées par Sir Veerasamy Ringadoo, ministre des Finances de Sir Seewoosagur Ramgoolam. Mais, le conflit, qui prend des allures sectaires entre Harish Boodhoo, leader du PSM et des dirigeants du MMM, dont Rama Poonoosamy, partisan du Kreol, finira par casser le gouvernement.

C’est à partir de là et lorsqu’il créera le MSM à l’occasion d’un meeting à Vacoas, que la personnalité de SAJ va gagner en consistance pour s’affirmer en véritable chef d’État et pour fonder un véritable pacte social avec la population. Comme dans pareil cas, ce sont les circonstances qui favoriseront cette stature : d’abord une situation économique, politique et sociale défiante, puis et tour à tour des opposants coriaces, à commencer par Paul Bérenger – dont on a dit que c’est son ‘Sales Tax’ qui a permis au gouvernement de redresser ses finances -, puis Harish Boodhoo, Gaëtan Duval et, enfin, Navin Ramgoolam.

Sir Anerrod Jugnauth avait participé à la manifestation Change The World.
Sir Anerrod Jugnauth avait participé à la manifestation Change The World.

Parfaite alchimie

Il est bon de rappeler que SAJ, lui-même, ne s’est jamais attribue la paternité du ‘miracle économique’. Les plus fins observateurs politiques et économiques parlent d’une parfaite alchimie qui régnait entre Vishnou Lutchmeeraidoo et Gaëtan Duval, alors respectivement ministre des Finances et ministre des Affaires étrangères, et SAJ lui-même. Plus modeste et moins flamboyant, à cause de sa personnalité et sans doute à cause de la lourde défaite des travaillistes en 1982, Sir Satcam Boolell a pesé d’une influence déterminante dans le secteur sucrier avec les différentes négociations qu’il a su mener avec l’Union européenne. SAJ était un ferme partisan du laisser-faire et avait eu la judicieuse idée de laisser le champ libre à ses ministres.
Certains observateurs voyaient souvent en lui un homme aux allures ‘rustiques’ – entendez par-là, insensible au ‘savoir-vivre’ occidental -, alors qu’il était en fait un homme simple, un pur produit de la ruralité, fuyant les mondanités et convaincu que le ‘fruit ne tombe jamais loin du fruitier’.

Il avait expliqué qu’il avait démissionné de son poste de ministre du Travail en 1967 en désaccord avec l’emploi de quelque 20 000 personnes comme ‘4 jours à Paris’. Pour lui, c’était un véritable gaspillage de fonds publics. C’est avec ce même sens de la rigueur, de la discipline et du sacrifice qu’il envisagera le développement de l’île Maurice, qu’il quittait rarement pour de longs séjours officiels. Mais la nature de la discipline qu’il voulait imposer au nom du développement et de la stabilité économique et politique l’avait aussi conduit à combattre les syndicats et parfois la presse. 

Fermeté et rigueur ont marqué son  parcours  eintransgo qualifiant.
Fermeté et rigueur ont marqué son  parcours  eintransgo qualifiant.

Pragmatisme

Comme tout homme politique, son sens du pragmatisme l’amena aussi à ruser, lorsqu’il fallut choisir entre la Chine et Taiwan. En 1983, alors que l’ile Maurice faisait face à une grave pénurie de riz, Taiwan offrit du riz gratuitement, en contrepartie de l’ouverture d’un Bureau de commerce taiwanais à Port-Louis, mais sans aucune représentation diplomatique de la Chine nationaliste. Ce qui fit dire SAJ a des détracteurs : « Sa kalite moralité-la na pa rempli ventre ». 

Une des grandes réalisations du gouvernement de l’alliance bleu-blanc-rouge était la formation des petits entrepreneurs par le défunt IVTB, qui allait ensuite se décliner en différentes formules pour dynamiser et réactualiser les PME. La réforme du logement social en vue d’attribuer un toit aux plus démunis a été aussi au centre de sa politique, de la même manière qu’il soutenait une réforme dans l’industrie sucrière – dont la viabilité était déjà questionnée dans le rapport de la Commission Avramovitch en 1985.

Dans leur immense majorité, les observateur politiques s’accordent à reconnaître que c’est le retour de SAJ sur la scène politique - avec Vishnu Lutchmeenaraidoo à ses côtes -, au sein de l’Alliance Lepep en 2014, qui a emporté l’adhésion des électeurs, ces derniers ayant encore en tête, à ce moment-là, que SAJ incarnait à lui-seul les glorieuses années du ‘miracle économique’ et que le duo était encore porteur de tous les espoirs.  


 

 

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