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Saisies erronées : fausses drogues, vraies victimes

Entre graines de chia, poudre pour bébé, sachets de thé et produits à base de plantes, la brigade antidrogue a multiplié les saisies de substances qui se sont avérées ne pas être de la drogue. Pendant ce temps, des innocents croupissent en détention préventive pendant des mois, voire des années.

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Une expérience traumatisante dont les victimes peuvent garder des séquelles à vie. Le récent cas impliquant Taslim Oozeer, arrêté pour importation de Rs 15 millions de drogue synthétique, qui s’est révélée être un produit médicinal valant Rs 2 500, remet sur le tapis les méthodes de détection de la police, notamment de l’Anti-Drug and Smuggling Unit et de la Special Striking Team. Innocentées par le Forensic Science Laboratory, la plupart de ces victimes, une fois libérées, tentent de reprendre leur vie, mais sont hantées par l’angoisse. Elles refusent souvent de commenter le sujet par peur de représailles ou de stigmatisation.

45 jours en détention pour 12 sachets de thé

Le 28 janvier 2018, Uteem, un commerçant de 42 ans, est arrêté par les enquêteurs de l’Adsu de Mahébourg, alors qu’il était au volant de sa voiture. « Ils m’ont fouillé et n’ont rien trouvé. Ils m’ont emmené à leur bureau et quelques minutes plus tard, ils m’ont informé qu’ils avaient découvert 12 sachets soupçonnés d’être de la drogue synthétique. »

Ce dernier explique qu’après avoir été victime de brutalité policière, il a fini par « avouer ». Il a passé 45 jours en détention préventive à la prison de Beau-Bassin, avant d’être libéré contre une caution de Rs 25 000 et une reconnaissance de dette de Rs 100 000. Face à sa famille, ses amis et ses clients, il maintient son innocence. Ses dires s’avèrent lorsque le rapport du Forensic Science Laboratory tombe au début du mois de novembre 2018, démontrant qu’il s’agissait de 12 sachets de thé. 

Feroz Karamuth arrêté pour une poudre blanchâtre

ferozLe 1er février 2023, la SST interpelle le tiktokeur Feroz Karamuth. À la suite d’une descente des hommes de l’ASP Jagai à son domicile, une certaine quantité de poudre blanchâtre est saisie, ainsi qu’un « taser » et une somme de Rs 34 500. Après vérification, il s’avère que la poudre blanchâtre n’est pas un produit illicite. 

Un pâtissier passe 4 mois en détention

En décembre 2022, Mohamed Farwez Pokun, un pâtissier de Souillac âgé de 41 ans, est arrêté après que la Special Striking Team a saisi à son domicile un colis soupçonné d’être de la drogue synthétique d’une valeur de Rs 1,3 million. Il passera quatre mois en détention. Mais en avril 2023, le Forensic Science Laboratory révèle que le colis saisi ne contenait aucune drogue.

Trois semaines à l’ombre pour des produits médicinaux

Le 20 avril 2023, Taslim Oozeer, âgé de 40 ans, est arrêté par l’Adsu de Plaine-Magnien. Il est soupçonné d’un trafic de drogue synthétique d’une valeur de Rs 15 millions. Lui insiste qu’il s’agit d’un produit médicinal contre la douleur, sous la marque Shilajithills, qu’il a importé de l’Inde pour la somme d’environ Rs 2 500. Il passera trois semaines en détention. Le 8 mai, le Forensic Science Laboratory confirme qu’il ne s’agit pas de drogue synthétique. Tasleem Oozeer avait retenu les services de Mes Anoup Goodary et Jeshna Boodram.

Des graines de chia prises pour de la drogue synthétique 

brunoEn novembre 2022, Bruneau Laurette est arrêté pour possession d’environ 46 kilos de haschisch et 700 grammes de drogue synthétique lors d’une perquisition à son domicile à Saint-Pierre. Trois semaines plus tard, le Forensic Science Laboratory fait savoir que les 700 grammes de drogue synthétique sont, en fait, des graines de chia.

Un étudiant en marketing passe un an et demi en détention

Vinesh Reetun, âgé de 23 ans, est arrêté le 18 mai 2018. L’Adsu affirme avoir saisi 1,2 kg de drogue synthétique d’une valeur de Rs 6 millions à son domicile. L’étudiant en marketing passe plus d’un an et demi en prison. En cour, le rapport du Forensic Science Laboratory est produit ; il s’avère que la substance saisie n’était pas de la drogue. L’accusation provisoire retenue contre lui est alors rayée. Ses parents avaient également été arrêtés. Sa mère avait été libérée sous caution après trois mois et son père avait été relâché un mois après.

Toute drogue saisie est « présumée »

drogueCes saisies de drogue erronées remettent en question les méthodes de l’Anti-Drug and Smuggling Unit (Adsu). Plusieurs questions se posent, notamment sur la façon dont procèdent les limiers lors des saisies et les procédures d’identification.

Selon un officier de la brigade antidrogue, cette unité est équipée d’un « Drug Test Kit », ainsi que d’un « Portable Mass Spectrometer » et d’une trousse contenant une solution chimique pour effectuer des tests préliminaires sur les substances saisies.

Il explique que le « Portable Mass Spectrometer » est un outil technologique avancé dont l’Adsu a fait l’acquisition au prix de Rs 1 million l’unité. D’autre part, des « Drug Test Kits » ont été offerts par l’UNODC (United Nations Office on Drugs and Crime) et le Forensic Science Laboratory (FSL) à la brigade antidrogue. Cet outil permet la détection de quatre drogues principales : l’héroïne, la cocaïne, le cannabis et les cannabinoïdes synthétiques. Grâce à sa portabilité, il offre à l’officier la possibilité de mener des opérations sur le terrain et d’obtenir rapidement des informations sur la composition des substances suspectes.

La trousse chimique fournie à l’Adsu est un complément au « Portable Mass Spectrometer ». Elle contient une solution chimique réactive qui change de couleur en présence de certaines drogues spécifiques. Ce test préliminaire permet à l’officier de déterminer rapidement la présence potentielle de substances illicites. Cependant, pour des raisons pratiques, le personnel de l’Adsu préfère souvent effectuer ces tests préliminaires au bureau.

Une fois les substances saisies et les tests préliminaires effectués, la brigade antidrogue doit transmettre les échantillons au FSL. Le FSL dispose également de spectromètres de masse et de trousses chimiques pour effectuer des tests préliminaires sur les drogues saisies. Cela permet une double vérification des résultats obtenus par l’Adsu et d’obtenir une analyse plus détaillée.

Le FSL est en mesure de fournir un résultat préliminaire quant à la présence de drogues dans un délai d’une heure, fait savoir l’officier de l’Adsu. Un rapport plus détaillé est généralement produit dans les 24 heures, souligne-t-il. Cette étape supplémentaire garantit une évaluation approfondie des échantillons et une plus grande fiabilité des résultats.

Selon notre interlocuteur, en vertu de l’article 52 du Dangerous Drugs Act, toute saisie de drogue effectuée par l’Adsu est présumée jusqu’à preuve du contraire. Toute drogue saisie, que ce soit la drogue dure, le cannabis ou la drogue synthétique, doit être envoyée au FSL pour analyse. Par conséquent, dans chaque cas de saisie de drogue, l’officier écrira dans son enquête « suspected to be » jusqu’à ce que le FSL rendre son rapport. 

Comment garantir la transparence lorsqu’un colis soupçonné d’être de la drogue est saisi ? L’officier explique que la pièce à conviction sera scellée. Les enquêteurs placeront celle-ci dans une enveloppe qu’ils scelleront à l’aide d’un tampon de l’Adsu avant de la transmettre au FSL. Si l’enveloppe n’est pas scellée, le FSL la renverra aux enquêteurs chargés de l’affaire.

Une fois les analyses effectuées, le FSL retournera l’enveloppe scellée avec son propre tampon au bureau de l’Adsu. Le colis sera conservé sous haute surveillance dans la salle des pièces à conviction de la police, appelée « Exhibit Room ». Lorsque l’affaire sera présentée devant le tribunal, un Forensic Scientific Officer (FSO) viendra certifier qu’il a effectué les analyses et déterminera si la substance est une drogue ou non.

Selon notre interlocuteur, à la suite d’une recommandation de l’UNODC concernant la procédure d’échantillonnage lors des saisies, le FSL a commencé à effectuer des échantillonnages sur les produits saisis depuis novembre 2022, afin de déterminer s’ils sont réellement des drogues. Ainsi, au lieu d’analyser l’intégralité de la quantité, par exemple un kilogramme de produits suspectés d’être de la drogue, seulement environ 10 % sera analysé. Cela permet d’obtenir les résultats plus rapidement, ce qui contribue à la libération plus rapide d’une personne arrêtée lors d’une saisie de drogue erronée.

Nos sollicitations pour un complément d’informations auprès du FSL sont demeurées vaines. 

Le rôle de la MRA

En plus des analyses chimiques, la Customs Anti-Narcotics Section (CANS) de la MRA dispose également de « Drug Test Kits » pour détecter les drogues. Le port et l’aéroport sont équipés de scanners pour inspecter les bagages. Ces scanners utilisent des rayons pour détecter les substances illicites et les moniteurs affichent des couleurs spécifiques en cas de détection de drogues. Cela permet une détection rapide et efficace des drogues potentielles.

Pour renforcer davantage les mesures de sécurité, les autorités avaient envisagé d’installer des scanners corporels dans le port et l’aéroport pour une détection plus approfondie des drogues dissimulées. Cependant, cette décision a été retardée en raison de la résistance de certains milieux, notamment en raison de préoccupations liées à la vie privée et aux droits individuels.

Un couple détenu 20 jours pour rien

Le 15 juin 2018, les Salahuddeen, un couple de commerçants, sont arrêtés après que la Mauritius Revenue Authority a découvert une poudre suspecte dans une bouteille isotherme (Thermos) qu’ils avaient importée avec d’autres produits envoyés par leur fournisseur. Ils passent 20 jours en détention préventive, jusqu’à ce que le rapport du Forensic Science Laboratory les innocente en déclarant que ce n’était pas de la drogue.

Shah-Baaz passe 467 jours à la prison centrale

shahLe 14 juin 2020, Shah-Baaz Choomka est présenté devant le tribunal de Pamplemousses sous trois accusations provisoires : possession d’héroïne, d’amphétamine et drogue synthétique pour la vente. Il passera 467 jours à la prison centrale de Beau-Bassin. Il retrouve la liberté sous caution le 24 septembre 2021, après avoir eu recours à la Bail and Remand Court et la Cour suprême par l’entremise de son avocat, Me Sanjeev Teeluckdharry. Le Forensic Science Laboratory n’a décelé aucune trace de drogue.

Me Erickson Mooneapillay : « Les méthodes archaïques ouvrent la porte à des abus »

Face aux saisies de drogues erronées, faut-il plus de moyens de détection et de formation ? À cette question, Me Erickson Mooneapillay répond qu’une panoplie d’outils est déjà à la disposition de la police. Il mentionne, entre autres, le « Police Evidence Bag ». Il s’agit de sacs en plastique munis d’un code-barres unique et d’une bande adhésive, rendant le sac utilisable une seule fois. 

Or, constate l’homme de loi, ce sac est rarement utilisé lors des saisies de drogues. « Pour des raisons obscures, la police préfère toujours envoyer les drogues saisies dans des enveloppes postales scellées à la cire au laboratoire. Cependant, ces enveloppes postales ne sont pas munies de code-barres ni de bandes adhésives », dit Me Erickson Mooneapillay.

Ainsi, selon lui, la police doit se mettre au diapason en utilisant des outils « forensic » qui sont déjà à leur disposition. Ensuite, insiste l’homme de loi, il faudrait que tous les acteurs du système pénal jouent leur rôle pleinement. « Il ne suffit pas de suivre les procédures de manière mécanique, mais de se poser des questions sur le bien-fondé de ces procédures. Saviez-vous que la drogue qui a été pesée par le laboratoire et qui est produite en cour n’est jamais pesée en cour ? La cour accorde une confiance totale à un laboratoire, indépendant certes, dont elle ne connaît pas les procédures internes ! »

Me Erickson Mooneapillay plaide en faveur d’une plus grande rigueur de la part des cours de justice lorsqu’il s’agit de défendre les droits des individus, en particulier lorsqu’ils ne sont pas représentés par des avocats. « Il est vrai que nous sommes confrontés à un grave problème de prolifération de la drogue, mais ce n’est pas une raison pour baisser la garde quand il s’agit de procédures mal suivies par la police », martèle-t-il.

Ainsi, fait-il ressortir, si la formation et les méthodes de détection sont déjà en place, il pense néanmoins « qu’on est en train de se heurter à des méthodes de travail archaïques qui ouvrent la porte à des abus ». Il est d’avis qu’« une section de la police et du judiciaire est réfractaire à tout changement ». 

L’homme de loi va plus loin. « Les méthodes scientifiques sont perçues comme un fardeau pour eux et ils continuent de croire que des aveux valent leur pesant d’or. À l’ère technologique, c’est tellement facile d’utiliser son portable pour filmer un suspect lors d’une transaction de drogue et la police est équipée, grâce à l’argent des contribuables, de dispositifs de surveillance sophistiqués. Mais rien n’y fait. Les procès-verbaux sont encore rédigés à la main dans le bureau du sergent, même si la police dispose de laptops, de caméras et d’‘Interview Rooms’ (NdlR, salles d’entretien). » 

Me Erickson Mooneapillay n’en démord pas : « Il faut simplement arrêter de se voiler la face. »

 

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