People

Rubby Lieutier, rescapée des drogues et des trottoirs

Rubby Lieutier
Rubby Lieutier s’est retrouvée sous les feux des projecteurs à cause de sa plainte contre le ministre de la Santé, Anil Gayan, qui veut mettre fin à la distribution de la méthadone. La ‘passionaria’ de la méthadone, activiste sociale, sans couleur politique, proche du Dr Rajah Mahadewoo, fait valoir que les ‘méthadomanes’ sont en voie de guérison. Elle revient sur sa vie où drogue et prostitution étaient intimement liées. Dans sa cité, nichée dans un faubourg des Plaines-Wilhems, nul n’a jamais soupçonné que lorsqu’elle prenait le dernier bus à la tombée de la nuit, c’était pour racoler sur la grande route. Mince, la peau cuivrée, la chevelure noire et abondante, Rubby, la quarantaine a conservé l’accent français, seule trace de sa vie en Belgique où elle était mariée à un riche homme d’affaires bruxellois. [blockquote]« C’est la drogue qui conduit à la prostitution. Pas l’inverse. Parce que je n’avais plus d’argent pour me payer ma dose quotidienne », explique-t-elle d’une voix éraillée.[/blockquote] Rubby veut tout déballer. Pour que son histoire, qui s’embrouille parfois, serve de leçon à d’autres. C’est à 12 ans qu’elle quitte le collège pour rejoindre sa mère qui s’est remariée en Belgique. Son père, tailleur aux Casernes centrales, avait rendu l’âme à 59 ans. « À Bruxelles, je passais pour une Indienne ou une Pakistanaise. C’était l’époque où Gaëtan Duval faisait la promotion de Maurice en Belgique, sauf que les Mauriciens préféraient la France », se souvient Rubby. Sa scolarité dans la capitale belge est erratique, jusqu’à ses 22 ans où elle croise un homme d’affaires de huit ans son ainé. «J’avais entamé des études de droit. J’ai tout abandonné pour le suivre. Ce fut ma première erreur. Ma mère m’avait suppliée de bien réfléchir, mais je voulais ma liberté. Le type gérait une boîte réputée en Europe. J’ai fini par l’épouser et je me suis occupée de son service anglophone», ajoute-t-elle. Durant dix ans de vie commune, la Mauricienne explique avoir subi le martyre sans broncher. « Je ne voulais pas affoler ma famille. Je suis restée à cause de mes deux enfants. » Un jour, la coupe finit par déborder. Rubby quitte le toit conjugal avec ses enfants et emménage chez une amie. Elle se cherche un travail, économise et s’achète un lopin de terre de deux arpents à Chamarel. Peu après, le couple se réconcilie, le Belge émet le souhait de s’installer à Maurice. « Je ne voulais pas rentrer à Maurice, explique Rubby, mais c’était un moyen d’échapper aux coups ».

Le terrain du Chamarel

En 1996, Rubby rentre seule à Maurice, et loue une maison. Un mois après, son mari et sa fille la rejoignent. « Il voulait savoir si j’allais vendre le terrain pour empocher une partie de l’argent de la vente. Nous étions mariés en communauté. C’était devenu son obsession. Je suis rentrée à Bruxelles pour rapatrier mes affaires. Un jour, sur l’internet, je tombe sur une annonce qui disait: « Jeune divorcé cherche épouse pour relation durable ». Mon mari avait compris qu’il n’avait aucun droit sur le terrain de Chamarel, le contrat de vente n’était pas recevable en Belgique. » Rubby s’installe définitivement à Maurice. Elle vend son terrain de Chamarel, inscrit ses deux enfants au lycée Labourdonnais et rencontre un ami d’enfance devenu toxicomane. « Il était calme, attentionné, célibataire. Entrepreneur (‘contractor’), il disait avoir arrêté de se droguer. On s’est mis ensemble peu après. Je vivais de mes intérêts bancaires. Un jour, je lui ai offert une moto à Rs 80 000 pour remplacer celle qu’il utilisait pour aller travailler ». C’est là que Rubby sera rattrapée par cette main maudite qu’elle croyait avoir lâchée.

Les économies s’envolent

Son compagnon recommence à boire. Sur sa moto, il fera un grave accident qui le clouera au lit six mois durant. Tout l’argent de Rubby servira à payer son hospitalisation dans une clinique. Entre-temps, elle découvre qu’elle est enceinte de son concubin. En 1999, elle accouche d’un enfant. Les économies partent en fumée et Rubby quitte les Plaines-Wilhems pour emménager dans l’Ouest. Son mari belge venait souvent voir les enfants à Maurice et leur faisait miroiter une vie meilleure. La descente aux enfers commence pour Rubby. Son compagnon, à cause de son opération, prend des calmants qui, peu à peu,  développeront une accoutumance. « Il était passé à la drogue dure sans que je ne m’en rende compte. Il en ramenait à la maison. De mon côté, l’argent commençait à manquer pour le loyer, les frais scolaires. Mon mari avait appris que je ne payais plus les frais de scolarité des gosses. En 2000, il les a emmenés en vacances en Belgique. J’ai eu le pressentiment que j’allais les perdre. Cela est arrivé, mais ils étaient heureux, c’était l’essentiel». Les choses vont se bousculer pour elle. Rubby sombre dans la dépression, devient suicidaire. « S’il n’y avait pas eu mon troisième enfant, je l’aurais fait ». Un jour, son compagnon lui offre une cigarette bourrée d’héroïne. Elle refuse, mais du bout des lèvres. Puis, elle accepte. « J’étais bien, je ne pensais plus aux enfants demeurés auprès de leur père. J’en redemandais. Je suis passée d’une ligne à trois par semaine. J’ai puisé dans mes économies, j’ai vendu mes meubles pour m’en procurer. Puis je me suis installée chez une tante.» Un jour qu’elle est en manque, elle rencontre une jeune prostituée qui l’emmène sur le trottoir pour se faire de l’argent. Doucement, elle deviendra une habituée de la grande rue de sa ville et du littoral nord durant le week-end. «J’ai gagné beaucoup d’argent. J’ai eu des clients de la haute société, mais je n’ai jamais commis de frasques. Dans les Plaines-Wilhems, lorsqu’un ado de mon quartier sollicitait mes services, je lui demandais de rentrer chez lui… » Aujourd’hui encore, dans sa tête, défilent les infimes détails de cette vie tumultueuse, de la Belgique aux trottoirs du Nord. «J’ai rencontré des voyous, des dangereux trafiquants  lorsque je dealais. Cela ne s’oublie pas…» Désormais engagée au sein du Regroupement des travailleurs sociaux, aux côtés d’Eddy Sadien et du Dr Mahadawoo, Rubby a jeté toutes ses forces dans le combat en faveur du programme de traitement par la méthadone. « Je vais parler aux méthadomanes dans l’enceinte du poste de police, dans ma localité, on me connaît. Je suis crédible parce que je connais leur vie, j’en suis moi-même une victime. Tout est dans l’approche. Médecins et personnel paramédical ont appris à me connaître.» Même traquée par ses vieux démons, Rubby affirme que sa cause est devenue sa raison de vivre, pour donner un nouveau sens à sa vie.
Publicité
Related Article
 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !