Mise à jour December 28, 2025, 5:30 pm

Roshi Bhadain : la dette et le retour

Ajagen Koomalen Rungen 

De Curepipe aux cabinets londoniens, Roshi Bhadain a suivi un parcours marqué par l’influence paternelle. Ce portrait retrace l’itinéraire d’un avocat passé du secteur privé international à la scène politique mauricienne.

Curepipe, ses brumes, ses silences de ville d’altitude. Roshi Bhadain y a grandi avec une histoire qui pesait plus lourd qu’elle n’en avait l’air. Son père, Chand Bhadain, avait voulu devenir avocat. Les circonstances – ce mot pudique qui dit tout et rien – en ont décidé autrement. Le rêve est resté là, en suspens, comme une créance non soldée. Roshi l’a réalisé.

Pas de drame, pas de scène fondatrice. Juste cette compréhension progressive, presque banale, qu’il irait là où son père n’était pas allé. Une forme de transmission par défaut, courante dans les familles où l’ascension sociale se joue sur plusieurs générations. Le fils devient l’exécuteur testamentaire d’une ambition qui n’était pas la sienne au départ.

Au Collège Royal de Curepipe, il obtient de bons résultats, participe aux débats intercollèges, garde les buts de l’équipe de football. Avec ses camarades, pendant les pauses, il traîne près du tribunal voisin. Ils écoutent plaider. Plus tard, il appellera cela une « leçon de vie », mais sur le moment, c’était surtout de la curiosité adolescente, cette envie de voir comment ça marche, les adultes, le pouvoir, les mots qui font basculer les choses.

L’Angleterre, ensuite. Comptabilité d’abord, puis droit. Pour payer le second cursus, il travaille comme expert-comptable. Trois activités en parallèle : étudier la comptabilité, étudier le droit, travailler. Une jonglerie épuisante mais nécessaire quand on n’a pas de filet de sécurité. Cette période lui apprend ce que tous les étudiants étrangers qui bossent à côté apprennent : tenir, gérer, ne pas craquer. Des compétences moins nobles que la « passion » ou le « talent », mais infiniment plus utiles.

Quand il devient avocat, il sait qu’il accomplit quelque chose qui le dépasse. Le rêve paternel prend corps, la dette symbolique est payée. Reste à savoir quel genre d’avocat il sera. Il choisit les causes : Dharmanand Dhooharika et la liberté de la presse, des travailleurs municipaux licenciés, une femme squatteuse qui a perdu son fils. Des Mauriciens sans moyens viennent le voir. Souvent, il ne facture pas. Un choix qui dit quelque chose de sa conception du métier, mais aussi de sa position.

Une rencontre déterminante

À ses côtés, Reena, son épouse. Son pilier. Ils se sont rencontrés à Beau-Bassin, pendant les cours de GP. Elle fréquentait le Queen Elizabeth College. Amitié, puis amour. Elle part elle aussi en Angleterre, devient experte-comptable. Ils se marient en juillet 1997 à Maurice, repartent ensemble. Deux jeunes professionnels mauriciens qui construisent leur vie à Londres, comme des milliers d’autres.

Leur premier enfant naît prématurément en Angleterre. Reena souffre. Ils se rendent à l’hôpital. Hasard du calendrier : ce soir-là, il y a un match de Liverpool, son équipe préférée. Les médecins suggèrent au couple de rentrer, de revenir le lendemain. Roshi rentre, cuisine, rassure, revient. Leur fils Rishon naît le 17 août 1998. Une anecdote qui en dit long sur comment on raconte sa propre vie : le match de foot devient le faire-valoir d’un choix qui devrait être la norme.

Leur fille Rishna naît au Botswana en 2001, où ils travaillent tous deux chez PwC. Angelina, la dernière, naît à Maurice en 2010. Trois enfants, trois pays. Une vie professionnelle mobile, comme celle de beaucoup de cadres internationaux dans la finance et le conseil.

À Londres, Roshi est Senior Manager chez KPMG Forensic, en voie de devenir partenaire. Une carrière qui roule. Il choisit de revenir à Maurice. Les raisons qu’il donne – amour du pays, envie d’être utile – sont sincères, probablement. Mais le retour dit aussi autre chose : une forme de nostalgie, peut-être, ou ce sentiment diffus qu’on n’a jamais tout à fait sa place ailleurs, même quand tout réussit.

La politique

En 2014, il entre en politique. Un baptême du feu électoral couronné de succès. Il devient ministre, reçoit le titre de GCSK. Ça ne dure pas. Il quitte son poste en janvier 2017, avant de démissionner comme député quelques mois plus tard, en juin, en opposition au projet Metro Express. 

La même année, il fonde le Reform Party. Réformer, rassembler, avec intégrité. Un programme ambitieux dans un paysage mauricien où les extraparlementaires peinent à se faire une place face aux partis traditionnels, et où les alliances se font et se défont au gré des joutes électorales. 

Il insiste : le pouvoir comme moyen et non comme fin. Quand on l’interroge sur ce qui compte vraiment, il évoque les personnes aidées, les familles défendues. 

Le dimanche, il cuisine. Son plat fétiche : le rougail chevrettes appris de sa grand-mère. Un détail qui humanise, qui ancre. La lecture, la musique, la famille : les ingrédients classiques d’un portrait d’homme accompli qui garde les pieds sur terre.

Roshi Bhadain croit au destin, au grand amour, en Dieu. Sa foi guide ses choix sans les imposer aux autres. Il se dit fidèle à ses parents, à sa femme, à ses enfants, à ses valeurs, à son pays. Une fidélité qui structure toute sa narration personnelle, qui donne du sens à une trajectoire qui pourrait n’être qu’une succession de choix pragmatiques.

Son parcours n’est ni exceptionnel ni ordinaire. C’est celui d’un homme qui a porté un rêve qui n’était pas le sien, qui a réussi professionnellement, qui est entré en politique, qui a fondé un parti, qui défend des causes. Ce qui intrigue, peut-être, c’est moins ce qu’il a fait que la manière dont il le raconte : comme une ligne droite, guidée par des principes, alors que toute vie est faite de hasards, d’hésitations, de calculs. Mais c’est peut-être ça, aussi, la fidélité : construire une cohérence narrative là où il n’y a, au fond, que du vivant qui avance.

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