Roland Dubois : «Il faut créer à Maurice une chambre des métiers»

Le directeur de Roland Dubois Consulting Ltd regrette qu’à un moment où dans divers pays, l’enseignement technique et la formation professionnelle sont la voie suivie pour promouvoir le développement durable, la croissance économique et l’inclusion sociale, aucune mention n’en est faite dans le discours du Budget 2023-24.

Quelle lecture faites-vous du Budget 2023-24  ?
Traditionnellement, le Budget est présenté de manière à permettre un examen des ressources mobilisées par le gouvernement et de l’utilisation qui en sera faite. Plusieurs mesures ont été annoncées  comme la construction de 8 000 unités de logement dans 18 mois, mais hélas, aucune mention n’est faite de l’Enseignement technique et formation professionnelle (ETFP). Cela, alors que l’Allemagne, l’Australie, l’Afrique du Sud et le Canada, ont positionné l’ETFP pour répondre aux préoccupations nationales, telles que le manque de compétences et le chômage des jeunes. 

Savez-vous qu’au Ghana, l’éducation professionnelle et technique est reconnue comme une voie essentielle pour promouvoir le développement durable, la croissance économique et l’inclusion sociale. Une somme additionnelle de 16 millions d’euros y a été allouée pour promouvoir ce secteur et plus de 40 000 jeunes se sont fait enregistrer pour une formation de l’ETFP en 2022. Toujours sur le continent africain, au Rwanda, l’ETFP compte absorber 60 % des jeunes issus du Nine Year Basic Education Graduates en 2024. 

En Europe, l’ETFP des pays comme la Suisse et l’Allemagne est complètement intégré dans leur système d’éducation et leur culture. Ainsi, il est cité comme un élément fondamental de leur succès économique. Deux tiers des jeunes choisissent l’ETFP à la sortie de leur éducation obligatoire. Ils sont ainsi formés pour le monde du travail avec pour résultat un taux de chômage des jeunes très faible. C’est un système qui combine l’aspect théorique en classe et un stage en entreprise, à travers le système de l’alternance. Ce n’est pas une surprise que la première école vocationnelle de Suisse qui combinait les aspects théorique et pratique était l’école d’horlogerie en 1924. Où en sommes-nous ici à Maurice ? Il est primordial de valoriser la formation professionnelle et d’assurer que toutes les personnes qui en bénéficie obtiennent la reconnaissance de leur expérience en ayant un diplôme. D’où la nécessite de mettre en place une chambre des métiers à Maurice.

Le Budget prévoit la formation de 2 000 personnes dans l’agro-industrie, la construction, l’énergie renouvelable et l'ICT-BPO. Qu’en pensez-vous ?
C’est une bonne initiative et j’espère que ces programmes de formation se feront en collaboration avec les employeurs car toute formation sans le monde industriel est vouée à l’échec. Cependant, je trouve que ce nombre est grandement insuffisant. Le seul secteur hôtelier a besoin de plus de 3 000 personnes formées. Ma lecture est que tous les Mauriciens de tous les secteurs demandent à être formés, et pour cela il faut faire un relevé du nombre de personnes qui ont besoin d’une formation au niveau de chaque secteur.

Faut-il toujours investir dans la formation professionnelle alors que des métiers vont disparaître avec le développement de l’intelligence artificielle (IA) ?
Toute chose évolue dans le monde et bien sûr, la formation professionnelle et technique ne peut rester statique. Il faut revoir de fond en comble l’ETFP pour qu’elle puisse mieux répondre aux besoins de nos industries. Comme je l’ai dit, certains pays s’y sont déjà lancés. De tout temps, la formation technique et professionnelle a évolué en suivant les développements technologiques car les entreprises sont dans l’obligation de les adopter pour rester compétitives. Il faudra aussi assurer une formation pour les employeurs à tous les niveaux, selon une méthodologie bien réfléchie.

Quels métiers résisteront au développement de  l'IA ?
Qu’on le veuille ou non, l’IA va graduellement intégrer notre vie sociale et industrielle. Plusieurs métiers seront appelés à disparaître. Toutefois, je ne pense pas que tous les métiers vont disparaître du jour au lendemain. Certains secteurs comme le transport, l’hôtellerie-restauration et la maintenance, entre autres, vont longtemps résister à l'IA.