Carpe Diem. Cette maxime, Bayou, âgée de 52 ans, en a fait sa devise. Elle savoure les plaisirs simples de la vie dans l’instant présent. Rencontre avec celle qui a fait le choix de vivre au jour le jour, au gré de ses envies et de son humeur…
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Des rêves, Bayou en a eu mais ils se sont peu à peu estompés de sa mémoire. L’âge y est pour beaucoup. Plutôt que de perdre son temps à rêvasser, elle sirote la vie comme un bon vin, pour savourer chaque instant comme si c’était le dernier. Dans sa bicoque en tôle sise à l’entrée de la Résidence EDC à Rivière-Noire, elle vit sans eau ni électricité depuis des décennies. Bayou s’est habituée à sa condition de vie. Elle ne s’en plaint pas car cela ne servirait à rien. D’où sa décision de suivre le courant de la vie, en acceptant la réalité de son présent. Elle ne songe même pas à l’avenir. Si elle a de l’aide tant mieux, au cas contraire tant pis.
Bayou vit dans la précarité depuis sa naissance. Fille d’un père pêcheur et d’une mère, ancienne coupeuse d’aloès, elle déserte les bancs de l’école après la STD IV. « Je ne voulais pas étudier », dit-elle avec une fausse honte. Elle passe une bonne partie de son enfance à faire le ménage à la maison.
À 15 ou 16 ans, elle met le cap sur les marais salants de Tamarin. Sous un soleil de plomb, la paludière récolte le sel. « Je devais fournir 35 paniers de sel par jour et les transporter sur la tête sur une bonne distance. L’eau salée ruisselait sur moi. Cela n’a pas été facile. »
Bayou exerce ce métier pendant un an avant de passer à autre chose. Entre-temps, elle convole en justes noces avec un maçon de la localité. De cette union naissent cinq enfants. Toutefois, après quatre ans de vie commune, Bayou quitte son bourreau de mari. Victime de violence domestique, elle ne peut plus supporter les disputes interminables. Avec l’aide de sa mère, elle élève ses enfants.
Des repas à la lueur d’une bougie
Contre une somme de Rs 70 par jour, Bayou offre ses services pour arracher les mauvaises herbes dans diverses chasses de Rivière-Noire. Ce travail, dit-elle, n’est pas fixe car elle doit attendre chaque repousse pour continuer à gagner sa vie. Elle ne veut pas refaire sa vie pour ne pas froisser ses enfants. Aujourd’hui, elle est contente d’avoir opté pour le célibat. « Mo bien kot mo ete. Mo pena lamerdman. »
En 2018, Bayou est une des rares personnes à ne pas adhérer à la modernité, surtout parce que les moyens font défaut. Elle souffre d’atroces douleurs aux pieds et au dos. « Je suis trop fatiguée pour travailler. » Ce n’est pas pour autant que son emploi du temps quotidien n’est pas chargé. Elle mène sa vie comme bon lui semble. Pour cuisiner, Bayou se rend au bord d’une rivière pour ramasser des brindilles et des morceaux de bois qu’elle ramène en paquets.
C’est à la lueur d’une bougie qu’elle prépare ses repas dans une cuisine d’antan faite de tôle et de bois noircis par le temps. « Pou gete si manze inn kwi, mo tir karay lor dife, mo amenn li deor, apre mo remet li lor foye ziska li kwi », confie-t-elle dans un éclat de rire. Le soir venu, Bayou raconte que le dîner se fait aux chandelles. Pas en charmante compagnie mais avec son fils, un skipper de 19 ans qui habite chez elle. Il y a 24 heures, un travailleur social de Rivière-Noire, qui a repéré Bayou, n’est pas resté insensible aux conditions de vie de la quinquagénaire. Son initiative a permis à cette dernière de recevoir un four et une bonbonne de gaz. Ce beau geste vient désormais soulager Bayou, qui n’hésite pas à mettre de côté son « foye ».
En ce qui concerne ses autres enfants, Bayou explique que ses filles sont mariées et mènent leur vie ailleurs. Ses fils passent de temps en temps pour lui donner à manger et des babioles. Si la marmite est vide, elle frappe à la porte de sa mère qui vit à quelques pas. Elle en profite pour voir des films français, histoire de tuer le temps avant de se mettre au lit. Au fil de la conversation, Bayou confesse maladroitement son pêché mignon. Réticente, elle est rouge de honte pour en parler mais elle avoue finalement qu’elle caresse la bouteille.
Sapée comme jamais
En soirée, elle est souvent chez la voisine où se rencontrent ses copines autour d’un verre, voire deux ou trois, dépendant de la taille de la bouteille. « Avec ou sans gajak », dit-elle en rigolant. Elle confie que cette retrouvaille nocturne peut aussi être matinale, dépendant de la personne qui offre la bouteille. Ce moment de détente est souvent ponctué de discussions sur tout et rien. « Nul besoin de vous dire que les commères se lâchent quand elles se rencontrent. »
Avec un bandana à la tête par pure tradition familiale, Bayou porte une chemise à rayures sur une jupe rouge écarlate dont les paillettes scintillent au moindre rayon de soleil. Sapée comme jamais, elle n’a pas froid aux yeux. « Je me contente de ce que j’ai… » Son look d’enfer est complété par du vernis à ongle pourpre maladroitement appliqué.
Donc mesdames, si vous avez des vêtements, des chaussures ou du maquillage que vous n’utilisez plus et qui encombrent votre penderie, n’hésitez pas à en faire don à Bayou. Elle sera ravie de changer de look de temps en temps. Mais ce dont elle a surtout besoin ce sont de vivres, boîtes de converse et aliments de base inclus.
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