Interview

Rita Venkatasawmy, Ombudsperson for Children: «Mon souhait : qu’aucun enfant de la République ne souffre»

La Défenderesse des enfants Rita Venkatasawmy
Après trois semaines en poste, Rita Venkatasawmy, la nouvelle Ombudsperson for Children, prend toute la mesure de sa tâche. Parmi les dossiers qui l’interpellent : la situation dans les abris pour enfants en détresse et les centres de réhabilitation pour mineurs. Vous êtes en poste depuis le 9 décembre. Quelle a été votre première tâche? Je me suis attelée à faire un audit de l’équipe en place. Avant de commencer à travailler, ma priorité a été d’apprendre à les connaître. Il était important de savoir quelles sont les ressources à ma disposition. J’ai une grande expérience dans le domaine de la protection et du développement des enfants. Cela m’aide à comprendre la situation. Je suis très exigeante dans mon travail. Je sais qu’on attend de moi des résultats, rapidement. Je ne peux donc rester les bras croisés. Un constat après la première prise de contact? Je travaille pour les enfants de la République. La complaisance n’a pas sa place dans mon planning. Mon constat, c’est que ce travail réclame beaucoup de discipline et de responsabilité. Vous n’avez pas idée du nombre de personnes qui débarquent dans nos locaux et confondent nos services à ceux de la CDU. J’en ai reçu plusieurs et je les ai écoutés avant de les orienter vers les services appropriés.
Et l’équipe vous suit? Bien sûr. Chacun a sa façon de penser. Je leur ai expliqué la mienne. Une chose est sûre : l’Ombudsperson for Children ne peut travailler seule. Vous ne disposez tout de même que de quatre enquêteurs ? Je préfère voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. Il faut situer l’importance de mon bureau dans un contexte régional et international. Maurice a la chance de disposer d’un tel bureau. Ce n’est pas donné à tous les pays africains. Il ne faut pas oublier que je dispose d’un personnel de soutien. Peut-être est-ce trop tôt pour juger ? Pour l’heure, je n’ai aucun reproche à leur faire. Ces enquêteurs sont des professionnels. Le public sait à quoi sert le bureau de l’Ombudsperson? Hélas, non. J’ai reçu des appels de personnes réclamant mon intervention pour des transferts d’école. Je dois expliquer que cela ne relève pas de mes responsabilités. Par contre, j’ai reçu des appels de dénonciation concernant des cas de maltraitance envers les enfants, avec des détails des régions concernées. Toutefois, les dénonciateurs refusent de témoigner à visage découvert. On m’a aussi informé que certains enfants des abris erraient dans les rues jusqu’à tard dans la soirée. On a fait ce qu’il fallait.
[blockquote]« Je me demande si les rapports sont bien lus par les décideurs politiques : parlementaires, Premier ministre, ministres, PPS et backbenchers. . Il faut agir en conséquence, car l'enfant est une priorité »[/blockquote]
Avez-vous rencontré la ministre du Bien-être de la famille et du Développement de l’enfant? Oui. C’était une visite de courtoisie. Je lui ai rappelé que je suis également là pour la conseiller, selon les dispositions de la loi. Vous avez lu le rapport Vellien sur la gestion des abris? Et comment ! Les enquêteurs et moi-même l’étudions - le disséquons même -  à fond. Et? Ce rapport contient 47 recommandations. La moitié de ces recommandations, soit 23 sur 47, figurent déjà dans les rapports annuels de mes prédécesseurs. Gaspillage du temps… gaspillage de fonds publics ? Je n’ai pas dit cela. Il faudrait plutôt se demander ce que les décideurs politiques font des rapports de l’Ombudsperson ! Il serait peut-être temps de leur poser la question ? Peut-être. Je me demande si les rapports sont bien lus par les décideurs politiques. Attention, cela ne concerne pas uniquement la ministre responsable des enfants. Cela concerne tous les parlementaires, y compris le Premier ministre, les ministres, les PPS et les backbenchers. Il faut agir en conséquence, car l’enfant est une priorité. Comment pouvez-vous remédier à ce manquement ? En améliorant la stratégie de communication. Y avait-il nécessité d’instituer un Fact Finding Committee alors qu’il y a un Ombudsperson for Children ? Oui, car même si la moitié des recommandations avaient déjà été faites, il reste l’autre moitié. Vous êtes d’accord avec toutes ces recommandations ? Non. Par exemple ? Par exemple, la recommandation concernant les fonds Corporate Social Responsibility. Je ne vais pas en dire plus pour l’instant. Vous étudiez le rapport et faites des remarques. Partagerez-vous le fruit de ce travail avec la ministre de tutelle ? Je vais lui remettre une copie, avec mes remarques et appréciations pour chaque recommandation. Vous êtes optimiste qu’au final ce rapport ne finira pas dans un tiroir ? Oui, car il ne faut pas oublier que c’est la ministre elle-même qui a institué ce FFC. Je suis sûre qu’elle appliquera les recommandations. Je dois m’assurer que l’intérêt supérieur de l’enfant prime. Autre priorité de l’Ombudsperson ? Les Rehabilitation Youth Centres… Je  pense que l’île Maurice moderne a besoin de structures plus appropriées pour gérer les enfants en conflit avec la loi. D’ailleurs, de telles structures doivent être conformes aux lois internationales. Et ce n’est pas le cas à Maurice. Que préconisez-vous ? Une restructuration complète pour l’instant et à long terme, leur élimination. Cela serait l’idéal. Je maintiens qu’on devrait pouvoir éviter à un jeune une incarcération au RYC, surtout dans sa forme actuelle. Est-ce si mauvais que cela ? J’ai effectué des visites surprises dans les deux RYC, pour filles et garçons. Vous n’avez pas idée de ce qu’il s’y passe. L’infrastructure n’est pas propice à la réhabilitation. Certes, ces jeunes sont en détention, mais ce sont avant tout des mineurs. Qui sommes-nous pour leur voler les plus belles années de leur vie ? Même s’ils sont en conflit avec la loi, il faut respecter leur droit à un abri digne, à des vêtements et à de la nourriture corrects. Y a-t-il eu dans le passé un rapport sur les RYC ? Oui, la Juvenile Justice Administration in Mauritius date de mai 1999. Il a été rédigé par feu le juge Robert Ahnee. Le rapport a dormi dans un tiroir. Je suis tombée dessus en dépoussiérant des dossiers. L’ex-juge a fait un travail excellent. Je suis en pleine lecture de ce rapport. Et qu’allez-vous en faire ? ’A journey of a thousand miles starts with a few steps.’ Je fais mes premiers pas. Je vais entreprendre un travail scientifique : visites, recueil de données, analyses et rapport. J’ai déjà noté qu’il y a un sérieux manque de personnel dans les deux RYC. Les officiers font ce qu’ils peuvent, avec les moyens du bord. En tant qu’Ombudsperson, je n’ai pas le droit d’abandonner ces enfants. Vos deux prédécesseurs sont issus de la profession légale. Vous non ? Cela vous gêne-t-il? Non. Rien dans la loi n’indique que le poste doit revenir à une personne ayant un profil légal. Dans d’autres pays, c’est la même chose. Moi, je compte 30 ans d’expérience sur le terrain. Si j’ai un doute légal, je n’hésiterai pas à prendre conseil. Un souhait pour Noël ? Que tous les enfants aient la chance de grandir dans une famille. Pas nécessairement dans leur famille biologique, mais dans une structure où ils sont aimés, choyés et protégés. Pas dans un abri surpeuplé. Quelles réalisations ambitionnez-vous de laisser à la fin de votre mandat? Changer le visage des centres de détention, s’ils existent toujours ; que le Children’s Bill devienne législation ; que le combat contre la pauvreté devienne l’affaire de tous et qu’aucun enfant de la République ne souffre.
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