Interview

Rex Stephen, avocat des droits humains : «La charge provisoire a ses mérites»

Rex Stephen

Navin Ramgoolam, Anil Bachoo, Veekram Bhunjun, Om Lombard. Ils sont plusieurs à avoir vu les charges provisoires qui pesaient sur eux être rayées cette semaine.  Il ne faut pas pour autant s’en débarrasser et simplement y remettre un peu d’ordre. C’est l’avis de l’avocat Rex Stephen.

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Plusieurs cas ont été rayés en Cour cette semaine, avec des charges provisoires qui ne tiennent pas la route. Quel enseignement doit-on en tirer ?
Il faut situer le contexte dans lequel ces charges ont été émises. Par qui et contre qui ? Il y a le cadre précis du changement du gouvernement de décembre 2014, une certaine suspicion sur les motivations pour saisir la police, cela ressemblait à un règlement de comptes politique. Avec la radiation des charges, on a l’impression que ces motivations étaient douteuses, que ces dossiers étaient non fondés.

N’est-il pas grave que la police initie des enquêtes sans élément concret ?
La police initie des enquêtes selon une procédure déterminée. Pour qu’il y ait enquête, il faut indiquer qu’une infraction quelconque à la loi a été commise. Ce qui a été fait. Il y a eu sur-médiatisation des cas des politiciens. Il en est ainsi tous les jours.

« Hélas, la perception qui prévaut, c’est que la police arrête d’abord
et enquête ensuite. »

Outre les politiciens, il y a eu le cas Om Lombard, accusé de trafic de drogue. Le problème va-t-il au-delà de la vendetta politique ?
Je vous parle de la procédure de la police. Il y a une perception de vendetta parce que soudain, une série de charges provisoires a été logée après décembre 2014. La procédure, c’est autre chose. Lorsque la police instruit un dossier, elle procède à une enquête. Légalement, elle est tenue de le faire. C’est à l’issue de cette enquête qu’on détermine s’il y a matière à poursuites ou pas.

La police est-elle obligée de recourir systématiquement aux charges provisoires ?
Il y a un débat sur la question de charge provisoire. Je crois qu’il faut nuancer les choses et ne pas tomber dans des extrêmes. Une école de pensée dit qu’il faut à tout prix maintenir les charges provisoires, l’autre dit qu’il faut s’en débarrasser. Pour moi, la question est : à quel moment la charge provisoire entre-t-elle en jeu ? Dans sa philosophie de base, elle intervient dès que la police dispose suffisamment de preuves pour établir un prima facie case.

Quand vous dites philosophie, vous voulez dire en théorie ?
Ce n’est pas du moment que vous faites une déclaration que la police vient m’arrêter !

Pourtant, c’est souvent le cas...
Justement ! J’en viens à cette perception. À quel moment cela doit-il intervenir ? Il faut être raisonnable. Une enquête, c’est un processus dynamique. Il n’y a pas deux enquêtes identiques. Cette charge provisoire ne doit pas intervenir automatiquement après une déclaration à la police. C’est inacceptable. Mais je n’irais pas à l’autre extrême pour affirmer que la charge provisoire n’a pas sa raison d’être. Dans certains cas, si cette charge n’existait pas, cela compromettrait la sérénité de l’enquête. La charge provisoire a le mérite de faire entrer la personne concernée dans le système juridique, de la placer sous contrôle judiciaire. Hélas, la perception qui prévaut, c’est que la police arrête d’abord et enquête ensuite. C’est tout le contraire qui devrait se faire. Je n’invente rien : c’est inscrit dans la loi. Mais dans la pratique, c’est perverti par la police.

La police devrait donc procéder à des enquêtes préliminaires à l’image de l’Icac avant d’énoncer ses charges provisoires ?
Oui, il faut une enquête. On n’arrête pas une personne sur la base d’une simple déclaration. La police doit enquêter et collecter suffisamment de preuves pour établir un cas.

Le Commissaire de police doit-il intervenir pour que les enquêteurs agissent ainsi ?
Oui. Mais il faut également une politique claire au niveau de la police. Il faudra réaffirmer les modalités d’une enquête policière et établir un degré « d’accountability ».

Les policiers auraient donc à s’expliquer auprès de qui ?
Ils doivent pouvoir dire au jour ‘x’ de notre enquête, nous avons collecté telles preuves qui nous permettent de procéder avec la charge provisoire. Si cela est fait en Cour, ce sera un contrôle a posteriori. Cela devrait être clairement établi dans la culture même de la police. Il faudrait le préciser dans les règlements de la police. Allons un peu plus loin également : à un stade de l’enquête, il faudrait, dans certains cas, solliciter les conseils du bureau du Directeur des poursuites publiques.

Vous parliez de ‘philosophie des charges provisoires’. Cela ne veut-il dire que ces règlements existent déjà ?
Non, ces règlements se trouvent dans certaines jurisprudences. Je vous cite un jugement datant de la fin des années 90, qui dit : « you do not arrest somebody on a mere hunch ! » Il faut de la matière solide et vérifiable.

Le Police and Criminal Evidence Bill pourrait-il résoudre ce problème ?
Le Police and Criminal Evidence Bill part du principe que la charge provisoire ne devrait pas exister. Je le répète : cette charge provisoire a ses mérites. Le problème n’est pas la charge provisoire en soi, mais a quel moment elle est logée.

La charge provisoire est-elle spécifique à Maurice ?
À un moment de l’enquête où il faut mettre la main sur des suspects qui deviendront éventuellement des accusés. C’est ce passage de l’enquête qui pose problème. Parfois, il importe qu’un suspect soit arrêté. Je suis un défenseur des droits humains, mais je fais la part des choses. Après l’instruction du dossier, on peut toujours estimer que la charge provisoire n’était pas la bonne. Ainsi, une charge de vol peut se transformer en recel ou escroquerie ou détournement.

On accuse beaucoup la police, mais que dire des magistrats ? Sont-ils tenus d’accepter des charges provisoires avec un dossier vide ?
À ce stade, le rôle de la Cour est le contrôle de l’incarcération des suspects. La Cour n’a pas la possibilité et la juridiction, à ce stade, d’entrer dans les détails de l’enquête qui reste secrète! Révéler les détails, ce serait pervertir l’enquête. Régulièrement, des avocats loge une action pour strike out the provisionnal en arguant qu’il n’y a pas de preuves. Les statistiques montrent que, le plus souvent, ces motions sont rejetées.

Le problème n’est-il pas que les policiers manquent de formation et ignorent quand et comment utiliser les charges provisoires ?
Vous abordez là un sujet beaucoup plus vaste. La formation continue, les techniques d’investigation, il importe de les renouveler. Nous avons hérité d’une police coloniale. Nous avons préservé des réflexes qui ne sont plus à l’ordre du jour. C’est un débat qui mérite d’être enclenché. Vous avez raison : vous êtes un policier digne de ce nom, non pas parce que vous portez l’uniforme, mais parce que cela inclut un ensemble de choses. La formation est importante.

La formation fait-elle défaut ?
Je ne dirais pas ça, mais une politique de formation ne ferait pas de mal. Même nous les avocats, nous sommes en formation continue. Et en plus, c’est obligatoire ! C’est la démarche qui m’intéresse.

 

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