Live News

Réinventer la lutte contre la drogue : le défi de la NADC

Le nombre d’infractions liées à la drogue s’élevait à 4 373 en 2024, contre 4 205 en 2023.

Mise en place après la dissolution de la NATReSA, la NADC suscite autant d’espoirs que de critiques. ONG, travailleurs sociaux et experts en addiction s’interrogent sur sa capacité réelle à impulser une réponse coordonnée et humaine à la crise actuelle.

Publicité

Avec la création de la National Agency for Drug Control (NADC), les autorités mauriciennes affirment vouloir reprendre le contrôle face à une problématique de la drogue devenue hors de contrôle. Présentée comme une structure dotée de pouvoirs élargis par rapport à la défunte National Agency for the Treatment and Rehabilitation of Substance Abusers (NATReSA), la NADC se positionne comme l’ultime espoir pour une jeunesse en perdition et une société qui en subit les conséquences.

Sur le papier, l’ambition est noble. Sur le terrain, les voix s’élèvent. Souvent critiques, parfois inquiètes. S’ils accueillent la nouvelle structure, plusieurs acteurs engagés depuis des décennies dans la lutte contre la drogue – psychologues, travailleurs sociaux, membres d’ONG –, expriment leur scepticisme quant à sa capacité réelle à changer la donne. Les attentes sont nombreuses. L’urgence, réelle, à la fois sanitaire et sociale.

En effet, le fléau de la drogue touche plusieurs sphères : santé, sécurité, éducation, emploi, logement. Les personnes les plus vulnérables – jeunes, femmes, sans-abri, personnes atteintes de troubles mentaux – sont les premières à en souffrir. « La situation est d’une gravité sans précédent. Des décès dus à la drogue ont été rapportés ces dernières semaines, la consommation s’étend dans les établissements scolaires avec un phénomène de rajeunissement et de féminisation. Il y a également de la violence et des trafics dans les écoles », s’inquiète Danny Philippe, travailleur social et chargé de prévention à l’ONG DRIP (Développement, Rassemblement, Information et Prévention).

Le travailleur social évoque une image saisissante : « Des usagers de drogues errent comme des ‘zombies’, phénomène jusque-là observé dans d’autres pays, mais désormais bien présent à Maurice. » Il qualifie sans ambiguïté la situation de « catastrophique » et exige « un état des lieux clair et honnête ».

Paralysie et Board critiqué

Or, la lenteur de la mise en place effective de la NADC exaspère les acteurs de terrain. « Cela fait plus de six mois qu’aucune consultation n’a eu lieu avec les ONG travaillant auprès des populations clés. Il aurait fallu instaurer une cellule d’urgence en attendant qu’elle devienne pleinement opérationnelle », regrette Dany Philippe.

José Ah Choon, ancien membre du Board de la NATReSA et responsable de l’ONG Anoula, confirme cette paralysie : « Depuis sept ou huit mois, rien n’a été fait en ce qui concerne la problématique de la drogue. Des campagnes de prévention doivent être menées dans les établissements scolaires, car la situation est alarmante. »

Et c’est peut-être là justement que le bât blesse. La composition du Board de la NADC est montrée du doigt. « Certains membres ne sont même pas au courant des réalités de la problématique de la drogue. Le combat contre la drogue ne se gagne pas en restant autour d’une table à faire de grands discours. Il faut aller sur le terrain », dénonce José Ah Choon.

À ce propos, Danny Philippe note l’exclusion d’organismes clés : « Certaines ONG de terrain comme AILES et CUT, ou encore la Harm Reduction Unit du ministère de la Santé, sont écartées à tort. »

Kunal Naïk, addictologue et psychologue, déplore particulièrement l’absence des acteurs de la réduction des risques sur le Board : « C’est une erreur. Les ONG spécialisées dans la réduction des risques n’ont pas été intégrées au processus décisionnel. Leur expérience de terrain est essentielle. Leur absence dans la composition du Board est un manque criant, notamment celle des éducateurs de pairs qui ont vécu l’expérience de la dépendance. »

D’ailleurs, il met en garde contre « une approche ‘top-down’ qui ignorerait les réalités de terrain », et insiste : « Il faut inclure les éducateurs de pairs dans le processus décisionnel. Ils sont les mieux placés pour savoir ce qui fonctionne. »

S’il reconnaît des lacunes, Imran Dhannoo, responsable du centre Idrice Goomany, adopte une position plus constructive : « Je me réjouis que des ONG siègent dans l’agence, mais tous les membres – y compris ceux issus des ministères – doivent être techniquement formés avant le début des travaux. Chaque membre doit savoir quelle est la mission de cette agence, et ne pas y faire de la figuration. »

Il recommande « des formations régulières, des échanges avec des structures internationales, mais aussi une veille scientifique constante », citant « des pays ayant adopté des politiques pragmatiques et humaines, qui ont donné des résultats probants, comme le Portugal, la Suisse ou le Canada ».

« On ne peut pas gérer une crise aussi complexe sans expertise », martèle-t-il, appelant à « un leadership éclairé, sensible aux réalités du terrain et aux bonnes pratiques innovantes ».

Cependant, fait remarquer Danny Philippe, sans diagnostic clair, « il est difficile d’établir des priorités, d’identifier les manques ou d’évaluer les effets des actions mises en œuvre ». Il met le doigt sur une lacune fondamentale : « Le pays manque cruellement de données récentes sur la consommation de drogues et leurs impacts. Il faut un observatoire indépendant, capable de fournir des indicateurs fiables pour guider les décisions politiques. »

Éviter les erreurs du passé

Kunal Naïk redoute que la NADC reproduise « les erreurs des anciennes structures » avec « la persistance d’une rhétorique guerrière et répressive, qui continue d’envoyer les consommateurs en prison ». Il critique « un système qui, tout en sanctionnant, ne prévoit aucun dispositif de réhabilitation ni d’accompagnement structuré ».

« On continue à faire les mêmes erreurs sans innover ni s’inspirer des avancées scientifiques et des neurosciences », déplore-t-il. Imran Dhannoo partage cette inquiétude : « J’espère que la répression ne prendra pas le dessus sur les approches humaines », d’autant que « le mandat de la NADC couvre à la fois la demande et l’offre de drogue, ce qui pourrait déséquilibrer les priorités ».

Les experts plaident unanime-ment pour une approche rationnelle. Kunal Naïk exhorte les décideurs à « ne pas se laisser enfermer dans des idéologies » et appelle à « plus de flexibilité, à une capacité à se remettre en question ». « Ce sont les avancées scientifiques, les réalités du terrain et les attentes de la population qui doivent guider les politiques publiques », avance-t-il. « Le combat exige la participation de tous, basé sur la science, pas sur des idées dépassées », renchérit Imran Dhannoo.

José Ah Choon rappelle une réalité souvent occultée : « L’addiction ne concerne pas uniquement la personne dépendante, mais affecte aussi son entourage. Les proches deviennent souvent des co-dépendants, vivant eux aussi dans une détresse silencieuse. » Il plaide pour un accompagnement psychologique des familles et une prise en charge globale qui ne s’arrête pas à la désintoxication, rappelant que « la drogue est une maladie, et que les familles sont les premières victimes ».

Les acteurs de terrain pointent des manques béants dans l’offre de soins. José Ah Choon souligne « l’absence de structures résidentielles pour accompagner ceux qui veulent s’en sortir » et appelle à « des programmes concrets pour aider à changer les mentalités des usagers et les aider à se réinsérer ».
Imran Dhannoo demande « un meilleur accès à des traitements comme la Suboxone pour accompagner les patients de manière efficace ». Il plaide également pour une position claire sur « les drogues synthétiques, responsables de souffrances extrêmes ».

Changement radical

Pour Kunal Naïk, le changement doit être radical : « Tant que nous continuerons à stigmatiser les consommateurs, à les considérer comme des délinquants au lieu de personnes en souffrance, nous échouerons. » Il appelle à « une véritable révolution des mentalités, où l’éducation, la sensibilisation et l’empathie seraient au cœur des politiques publiques ».

Danny Philippe partage cette vision humaniste : « Il faut revoir notre système, l’adapter à la réalité d’aujourd’hui et surtout, replacer l’humain au cœur de nos actions » avec « une refonte complète : prévention dès l’enfance, réduction des risques, réhabilitation, réinsertion ».

Kunal Naïk place ses espoirs dans « la promesse d’une approche multisectorielle » de la NADC, insistant pour que la lutte « intègre pleinement la réduction des risques, extrêmement importante ». Il prône « une approche holistique qui passe par une évaluation rigoureuse des services existants – ONG, ministères, centres de réhabilitation – et une coordination cohérente du plan d’action ».

Face à cette consultation manquée, Danny Philippe réclame « une consultation ouverte, immédiate, pour évaluer la situation actuelle ». 

La NADC suscite ainsi autant d’attentes que d’interrogations. Sa mission est complexe, son mandat large, et la situation sur le terrain dramatique. ONG, travailleurs sociaux et experts en addictions lancent un appel unanime : il est urgent d’agir autrement. Sans consultation réelle, sans inclusion des acteurs clés, sans ouverture à la science et sans volonté d’innovation, l’agence risque de rater sa cible.

L’épineuse question de la légalisation du cannabis

La question de la légalisation du cannabis illustre la résistance au changement. Kunal Naïk estime que « Maurice doit envisager sérieusement un débat sur la légalisation du cannabis, comme cela se fait ailleurs », mais constate que « le Chairman du Board de la NADC s’est déjà positionné contre toute forme de légalisation ». Sans débat ni ouverture aux nouvelles approches, « nous continuerons à faire du surplace, pendant que la situation empire », prévient-il.

De son côté, Imran Dhannoo souhaite que « le débat sur le cannabis, tel que proposé dans le rapport Lam Shang Leen, soit abordé avec objectivité ».

Il a dit

« Les attentes sont légitimes, et la pression est réelle. Nous devons obtenir des ‘victoires rapides’ visibles à court terme, tout en jetant les bases d’un changement durable. » : Dr Fayzal Sulliman, CEO de la NADC

drogue

La composition du Board de la NADC

Le Conseil des ministres a pris note, le vendredi 27 juin, de la composition du Board de la NADC. Le Chairman, nommé à temps partiel, est l’ancien ministre et travailleur social chevronné Sam Lauthan. À ses côtés, le Dr Fayzal Sulliman occupe le poste de CEO. 

nadc

 

  • Nou Lacaz

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !