Live News

Réinsertion des détenus : un consensus national nécessaire

Réduire l’incarcération à sa simple portée punitive, c’est créer un climat favorable à la récidive et à la montée de la délinquance, martèlent les travailleurs sociaux. Ils s’accordent à dire qu’il faut efficacement préparer, réhabiliter et réinsérer les détenus à la vie sociale.

Publicité

« Je m’occupe de la mosquée. Je passe mes journées ici. Je m’occupe des plantes et de l’embellissement de la cour. La mosquée offre des formations aux frères musulmans pour qu’ils puissent réintégrer la société. » En 1999, un incendie criminel ravage la maison de jeu, L’Amicale, faisant sept morts. Quatre personnes sont condamnées pour ce crime d’incendie, dont Imran Sumodhee. Ce dernier a toujours clamé son innocence dans cette affaire.

Aujourd’hui basé à la prison ouverte de Richelieu, Imran Sumodhee attend le jour de sa libération prévu en 2019. Après 18 ans derrière les barreaux, il se dit prêt à affronter le monde extérieur. Pour lui, sa réinsertion a débuté et passe par sa foi. « Je suis mal vu dans la société à cause de l’affaire L’Amicale. Ce n’était pas facile au début quand j’étais à la prison de Beau-Bassin. On me prenait pour un terroriste, mais grâce au soutien de ma famille et de mes amis, je me reconstruis petit à petit », dit-il.

La réinsertion d’un détenu passe par plusieurs étapes, selon Imran Sumodhee. Le détenu qui fait un travail sur lui-même et la société qui l’accepte à sa sortie. C’est ce qui devrait arriver dans un monde merveilleux. Quelque peu amer, Imran Sumodhee veut dénoncer cette société qui refuse de donner une deuxième chance aux ex-détenus et principalement ces compagnies qui refusent de les embaucher.

« Il ne faut pas que la prison représente un obstacle à notre réinsertion dans la société. Quand on fait de la prison, c’est qu’on paie nos dettes envers elle. Nous devons avoir une deuxième chance. Un travail peut aider un ex-détenu à se reconstruire ». Pour Imran Sumodhee, afin d’assurer une transition vers la liberté, être à la prison ouverte de Richelieu est peut-être une escale que tout détenu devrait connaître. « L’environnement de la prison de Richelieu est bénéfique, j’ai pu avoir ma famille avec moi pour la fête Eid et cela m’a beaucoup aidé. »

Les Inquiétudes et L’Amertume de pierre

Condamné en décembre 2015 pour attouchements sexuels sur sa nièce, Pierre purge une peine de quatre ans au sein du même établissement pénitentiaire. Les journées passent et entre les quatre murs de la prison, il a le sentiment que sa vie s’est arrêtée. « Je me réveille à 6 heures tous les matins. Nous suivons les procédures du matin. Ensuite, je m’occupe du nettoyage de l’église. Je déjeune à 10 h 45 avant de reprendre le travail une heure après. Je rejoins mon dortoir à 16 h 45. »

C’est avec la même amertume que Pierre exprime ses inquiétudes pour retrouver un travail à sa sortie. « J’étais superviseur dans une société fournisseuse d’électriciens mais à ma sortie, je vais devoir travailler à mon propre compte. Aucune boîte ne voudra m’employer. »

Il a 35 ans. Son histoire tourmente ceux qui la connaissent. Il lui reste encore trois ans sur les cinq qu’il doit purger. Yessu a été trouvé coupable d’homicide involontaire pour coups et blessures sans intention de tuer. Il avait 22 ans et il étudiait la médecine quand il a commis l’irréparable. Sa vie a entièrement basculé. « Je me retrouve à zéro. Tout le monde m’a rejeté. La société, ma famille, mes amis... Je n’avais jamais imaginé faire de la prison. C’est un accident de parcours que je dois assumer. »

La vie lui a accordé une deuxième chance, il y a un an. L’Open University offre deux bourses chaque année aux détenus et Yessu a été sélectionné l’année dernière. « La prison nous offre des facilités et grâce à cette bourse, je passe toutes mes journées à étudier. Je compte poursuivre mes études à ma sortie. Je vais me spécialiser dans la finance. J’ai des ambitions et je vais réaliser mes rêves », dit-il.

Prison ouverte de Richelieu

Il n’y a ni caméras de surveillance, ni maîtres-chiens susceptibles d’effectuer des rondes la nuit, ni clôture, ni zone tampon. Bienvenue à la prison ouverte de Richelieu…

Inaugurée en 1953, la Richelieu Open Prison est considérée comme un centre de réhabilitation. L’administration pénitentiaire entend accorder des conditions de détention de qualité à certains prisonniers ayant fait preuve d’un bon comportement et ayant envie de changer de vie

L’administration pénitentiaire n’a pas la surveillance des détenus pour unique mission. Elle doit aussi prévenir la récidive et contribuer à l’insertion ou plutôt la réinsertion des personnes qui lui sont confiées par la justice.

Réinsertion rime avec obligation. Une journée de labeur pour beaucoup. À la prison de Richelieu comme à celle de Petit-Verger, plusieurs formations professionnelles sont proposées aux détenus. Menuiserie, métallurgie et production alimentaire, entre autres et même des cours affiliés au MITD, explique Raj Juleeman, Prison’s Welfare Officer.

Cependant, il conçoit que le succès d’une réhabilitation ne dépend pas que de la prison. « La prison fait la réhabilitation mais que se passe-t-il quand le détenu sort d’ici ? Nous devons être réalistes. Il y a des barrières à sa réinsertion comme le rejet de sa famille et la stigmatisation, etc. On ne peut pas dire que la prison ne fait pas assez en termes de réhabilitation et que c’est à cause de cela qu’il y a récidive. Notre travail s’arrête quand le détenu s’en va. C’est à la société de prendre la relève. »

Kemlal Rampall, en charge de la prison de Richelieu, abonde dans le même sens. « Nous faisons de notre mieux ici. Certains des détenus ne veulent pas sortir de la prison. On ne sait pas pourquoi. Nous demandons aux familles de les soutenir. C’est un facteur important à leur réinsertion. »


Dominique Chan Low,  coordinateur de l’ONG Kinouété : « Une des barrières, c’est le certificat de caractère »

Est-ce qu’aujourd’hui un détenu peut espérer bénéficier d’une deuxième chance ?
Chez Kinouété, nous avons un credo : chaque détenu a droit à une deuxième chance. Nous faisons la réhabilitation à l’intérieur de la prison et la réinsertion quand ils sont libres. S’ils n’ont pas un casier vierge, ils n’obtiennent pas un travail. Au final, ils se retrouvent sans argent, sans nourriture, sans maison. Ils ont envie de changer mais le système ne le leur permet pas. Certains arrivent à s’en sortir mais les 67 % de récidivistes mentionnés dans le rapport du bureau des Statistiques sont ceux qui n’arrivent pas à se réinsérer et c’est souvent dû au certificat de caractère, mais aussi par manque de soutien familial.

Comment se passent la réhabilitation et la réinsertion ?
Dans le meilleur des cas, nous commençons à suivre la personne à l’intérieur même de la prison. Nous avons un programme intitulé Pre-Release Programme. Nous le faisons dans les différentes prisons de l’île. Nous avons aussi un programme sur la prévention du suicide. Nous faisons ces programmes avec l’expertise de nos counsellors et travailleurs sociaux qui interviennent pour travailler avec la famille aussi. Ce sont les détenus qui nous approchent. Malheureusement, nous ne pouvons toucher toute la population carcérale.

Seuls 400 prisonniers sont concernés par nos programmes de réhabilitation et de réinsertion. Nous avons un nombre limité de counsellors et de travailleurs sociaux mais nous faisons le maximum et quand ils sortent, nous assurons le suivi. Nous travaillons aussi avec la famille pour l’aider à accepter l’ex-détenu. Nous leur donnons un soutien social. Nous les aidons à trouver un emploi pour qu’ils puissent subvenir aux besoins de leur famille.

Quel est le profil des détenus qui vous approchent ?
Nombre d’entre eux sont des consommateurs de drogue, qui veulent s’en sortir, mais ce n’est pas facile en raison du regard de la société. Ce sont surtout des gens qui vivent dans l’extrême pauvreté et avec leur incarcération, c’est une double punition pour eux. Il y a plus de 800 personnes qui sont sous le coup d’une charge provisoire.

67% de récidivistes dans nos prisons
Dans un récent rapport du bureau des Statistiques, il est noté que 67 % des détenus sont des récidivistes. Sur 10 détenus répertoriés en 2016, six d’entre eux ont déjà fait de la prison. La population carcérale compte 61 % de prisonniers qui purgent une peine alors que les 39 % restants sont en détention en attendant leur procès.


Jackie Kamanah, ancien surintendant des prisons : « La réhabilitation ne sert à rien sans la réinsertion »

Pour l’ancien surintendant des prisons, la liberté d’une personne n’a pas de prix. Il assure que si le bureau des Statistiques annonce 67 % de récidive, c’est que nous sommes sur la bonne voie.

« En 2012, nous avons tenu un atelier de travail pour trouver des solutions à la récidive qui était alors chiffrée à 85 %. L’atelier avait vu la participation de l’Université de Technologie de Maurice, le secteur judiciaire et le service pénitentiaire. Nous avions constaté que le taux d’alphabétisation était relativement bas et que les détenus n’avaient pas de vocation professionnelle. Ce qui réduisait leurs chances de trouver un travail après la prison. Nous avons ensuite contracté un partenariat avec l’Open University pour offrir des bourses aux détenus qui souhaitent poursuivre leurs études. »

Quant à la réhabilitation des détenus au sein des prisons, Jackie Kamanah soutient qu’elle ne sert à rien si la réinsertion sociale n’est pas une réussite. « La réintégration familiale est importante. Elle est indissociable. Le certificat de caractère est aussi un problème. Il est important que la société ait un nouveau regard sur les détenus. Il est crucial de continuer la lutte contre la récidive. Le plan stratégique 2013/2023 a pour but de réduire le taux de récidive de 50 %. Nous sommes sur la bonne voie, mais il y a encore beaucoup à faire. »

Selon lui, 75 % de la population carcérale sont récupérables si la réhabilitation et la réinsertion sont adaptées. « Beaucoup de consommateurs de drogue sont en prison et il faut les traiter et les envoyer en désintoxication. »

Commentant le rôle des Prison Welfare Officers, Jackie Kamanah dit reconnaître qu’ils ont un très grand rôle à jouer, mais est d’avis qu’ils n’ont pas la formation spécialisée et appropriée en matière de réhabilitation. « Hormis les Prisons Welfare Officers, il y a les Dynamic Security Support Unit Officers mais il faut augmenter leur nombre.

Celui des Welfare Officers et de DSSU Officers est moindre comparé à la population carcérale. Leur travail est important dans la réhabilitation des détenus. Il faut savoir que réhabilitation ne rime pas avec répression. »

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !